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Épisode #6 Les veaux pleurent, et on en fait tout un fromage - Élise Desaulniers

14 mars 2022
Comme un poisson dans l’eau - #6 Les veaux pleurent, et on en fait tout un fromage - Élise Desaulniers
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Description

Bienvenue dans Comme un poisson dans l'eau, le podcast contre le spécisme ! Les produits laitiers sont-ils nos amis pour la vie ? Avec mon invitée Élise Desaulniers, autrice et chercheuse indépendante et Directrice générale de la SPCA de Montréal, on a fait le tour des mythes qui entourent l’industrie laitière qu’elle examine et réfute dans son livre Vache à lait. Dix mythes de l'industrie laitière. La grille d’analyse du carnisme s’applique particulièrement bien à la question des produits laitiers, car elle montre que contrairement aux fausses croyances entretenues par des décisions politiques, du lobbying et de vastes campagnes de publicité, les produits laitiers ne sont ni nécessaires, ni naturels et que notre attachement au lait comme un produit normal et nice est le produit d’une action volontariste à la fois des États et des industriels. On a aussi parlé de calcium, d’intolérance au lactose mais encore de féminisme et de suprématie blanche !

Transcription

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Victor Duran-Le Peuch : Salut, moi c'est Victor Duran-Le Peuch, et vous écoutez un entretien de Comme un poisson dans l'eau, le podcast contre le spécisme. Dans l'épisode de la semaine dernière, je vous ai présenté le concept de carnisme. C'est l'idéologie qui cherche à justifier la consommation d'animaux. On le résume souvent en parlant des 4 N du carnisme. C'est-à-dire que cette idéologie fait passer la consommation d'animaux pour quelque chose de nécessaire, de naturel, de normal et de nice, donc sympa ou agréable. On a vu la partie un peu plus théorique de cette grille d'analyse dans l'article qui a été lu dans le dernier épisode, et aujourd'hui on la met en pratique avec le cas concret des produits laitiers. Et pour cela, j'ai le grand plaisir de recevoir Élise Desaulniers, dont on a déjà lu deux textes dans le podcast, dont celui sur le carnisme justement. Élise Desaulniers est directrice générale de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux, la SPCA, de Montréal. Elle est chercheuse indépendante et l'autrice de « Je mange avec ma tête », de 2011, de « Vache à lait », pour laquelle je la reçois, écrit en 2013. Autrice également du « Défi vegan en 21 jours », publié en 2016, et elle a dernièrement co-écrit le livre de recettes « Table vegan » avec Patricia Martin, qui est paru en 2019. Enfin, Élise Desaulniers est éditrice à L’Amorce, la revue contre le spécisme. Sans plus de suspense, c'est parti pour l'entretien. Bonjour Élise Desaulniers.

Élise Desaulniers : Bonjour Victor.

Victor Duran-Le Peuch : Alors, dans les deux derniers épisodes, on a parlé de carnisme, qui désigne l'idéologie dominante qui justifie la consommation de viande. En fait, c'est une grille d'analyse qui s'applique aussi extrêmement bien à la consommation de produits laitiers. Donc avec vous, Élise Desaulniers, si vous le voulez bien, on va essayer d'analyser l'industrie du lait en décortiquant les croyances qui encouragent et justifient, la consommation de ces produits. Alors, le carnisme, c'est quatre N : nécessaire, naturel, normal et nice. Peut-être qu'on peut commencer tout simplement par le premier, nécessaire. Et là, en fait, je pense qu'on va pouvoir aller assez rapidement parce qu'en fait, on a vu avec le docteur Sébastien Demange dans l'épisode 5, qu'on peut être en parfaite santé sans produits d'origine animale et donc y compris sans produits laitiers. Une chose que vous dites dans votre ouvrage « Vache à lait », c'est que le lait ne contient aucun nutriment qui lui soit propre et qu'on ne puisse pas trouver ailleurs. En fait,

Élise Desaulniers : Absolument pas. Donc, le lait, c'est quoi ? C'est des nutriments, c'est un liquide de croissance qui sert à faire grandir les mammifères. Tous les mammifères consomment du lait quand ils sont bébés, du lait de leur maman. L'être humain serait le seul mammifère qui aurait toujours besoin de lait à l'âge adulte. Donc, ce qui, de point de vue évolutionniste, semble super curieux. Avant l'avènement de l'agriculture, il y a dix mille ans, les êtres humains ne consommaient pas de produits laitiers, parce qu'on s'entend que pour consommer des produits laitiers, il faut d'abord traire une vache, ce qui était assez difficile avant la domestication. Tout ça est très très très récent dans l'histoire. Puis ça, il y a plein de nutritionnistes qui tentent désespérément de l'expliquer.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, oui. Alors du coup, si ce n'est pas nécessaire pour être en bonne santé, j'ai l'impression que ça a des implications éthiques énormes, parce qu'en fait, si on tire les fils, ça veut dire qu'il n'est pas nécessaire de faire souffrir les vaches, qui en effet souffrent, pour qu'on leur prenne du lait. Mais en fait, j'ai l'impression que la souffrance est peut-être moins évidente pour beaucoup de personnes, dans le cas des vaches, et dans le cas de l'industrie du lait, de la consommation de produits laitiers, parce qu'on se dit qu'on peut peut-être traire une vache sans avoir à leur faire du mal, en fait. On peut prendre leur lait et ça peut quand même être peut-être dans leur intérêt, mais en fait, ce n'est pas vraiment ce qui se passe, non ?

Élise Desaulniers : Pas du tout. Mais même, on a l'impression qu'on leur rend service en prenant leur lait. Si on ne prend pas leur lait, on va le perdre, de la même façon que si on ne cueille pas les cerises qui sont dans l'arbre, elles vont tomber par terre, puis elles vont pourrir. Et on voit le lait vraiment de la même façon. Quand on regarde l'histoire des droits des animaux, et l'histoire de la modification des habitudes alimentaires en cohérence avec ces droits des animaux-là, les gens sont devenus végétariens bien longtemps avant de devenir véganes. On ne voyait pas, jusqu'à tout récemment, non, non, on parle de la naissance du véganisme et tout ça, mais jusqu'à tout récemment, on ne voyait pas le lien entre la souffrance animale, les oeufs et le lait. Pourtant, et puis, il s'agit d'avoir fait les premiers cours de biologie à l'école secondaire pour réaliser que les vaches ne produisent pas naturellement du lait. Mais c'est con, hein, parce que moi, j'étais bonne à l'école, je suis allée à l'université, je me considérais comme une écolo, mon grand-père était même producteur laitier, et puis, il a fallu que j'aille prendre une marche avec une amie, alors que j'étais devenue végétarienne depuis quelques semaines. Et là, on commence à discuter comme ça sur la rue, comment les vaches produisent du lait, ben, elles produisent du lait naturellement. Et là, mon amie Émilie me dit, mais attends, mais c'est bizarre, elles produisent vraiment du lait, là, mais tout le temps, mais il n'y a aucun autre mammifère qui produit tout le temps du lait. Comme ça, on produit du lait parce qu'on donne naissance à un bébé, là, et là, pour moi, ça a été un choc, j'avais jamais pensé à ça. Et là, je me suis empressée, puis heureusement, on est dans les années 2010, et on a tous un ordinateur dans nos poches qui s'appelle un téléphone intelligent qui permet de chercher sur Wikipédia : « lait » ! Et là, c'est là que j'ai réalisé, mais à un âge très avancé, je suis dans la trentaine, que les vaches produisent du lait parce qu'elles donnent naissance à un veau, et que pour donner du lait à la trailleuse, il faut qu'on leur enlève leur veau, et que ça ne va pas durer comme ça éternellement, il faut qu'on la remette, qu'elle soit enceinte et qu'elle donne naissance à un autre veau pour maintenir sa production laitière, mais j'avais jamais, jamais, jamais pensé à ça. Il a fallu cette conversation sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal et Wikipédia pour me convaincre, parce que c'est invisible, c'est fou.

Victor Duran-Le Peuch : C'est fou, moi aussi, j'étais tombé sur les fesses de ma propre ignorance, en fait, d'un fait qui, une fois qu'on le dit, paraît si évident. Mais je pense que ça dit beaucoup du degré de dissimulation qui a lieu, en fait, pour pouvoir nous vendre ces produits là. On ne pense pas que justement il faut enlever leur veau. Peut-être qu'on peut faire une sorte de déroulé de qu'est-ce que c'est la vie d'une vache laitière, en fait, pour vraiment comprendre ce qui se passe derrière, effectivement.

Élise Desaulniers : Oui, oui. Donc, premièrement, une vache laitière, pour qu'elle soit enceinte, pour produire du lait, on vient de brûler un peu le scoop, on sait tout ça. Il faut d'abord l'inséminer. Il n'y a pas de papa vache et de maman vache qui tombent follement amoureux et qui décident de faire des bébés, ça ne se passe pas comme ça. C'est de l'insémination artificielle. Donc, le producteur ou la productrice laitière insémine la vache. La vache tombe enceinte, donc sa première grossesse. Après neuf mois, donc, même chose que chez les humaines, la vache va donner naissance à son veau. Si c'est une femelle, ce veau-là va devenir une autre vache laitière. Donc, on va le garder dans la production. Si c'est un mâle, il va devenir de la viande de veau. Mais très rapidement, ça change d'un pays à l'autre, généralement, c'est autour de 24-36 heures. On va séparer le veau de sa mère, que ce soit un mâle ou une femelle, pour que la vache donne son lait à la trailleuse. Parce qu'évidemment, si le bébé reste là, le bébé va sucer le lait de sa mère et il n'y en aura pas assez pour la trailleuse. Le bébé, on va le nourrir avec du lait en poudre. Donc, souvent du lait qu'on aura retiré de la circulation pour plein de problèmes. On va... On va le mettre en poudre, rajouter de l'eau. Et c'est comme ça qu'on va nourrir le bébé. Puis c'est important de s'y arrêter un instant. Je travaille dans un refuge pour animaux. Un organisme qui applique les lois de protection des animaux. Pour n'importe quelle autre espèce animale, séparer le bébé de sa mère avant le sevrage, ça serait perçu comme de la cruauté. C'est impensable de séparer un chaton de sa maman. C'est peut-être... C'est vraiment terrible. Tout le monde s'entendrait que séparer un chiot de sa maman. C'est un geste cruel qui va avoir des conséquences sur le développement du chiot. Et pourtant, on fait ça à chaque jour. Chaque jour, chaque jour, systématiquement. Même dans les élevages les plus bio, les plus éthiques, les plus merveilleux du monde. On sépare le veau de sa mère. Et puis, on va... On va le faire grandir. Là, les types d'installations pour les veaux varient d'une région à l'autre. Mais au Québec, pour le moment, c'est... Pour les mâles, donc qui vont devenir de la viande, des petites logettes individuelles. Donc, vous pouvez vous imaginer ce bébé qui, à quelques heures seulement, s'en va dans une logette, loin de ses amis. Il ne peut pas exprimer ses besoins naturels. Il pleure. C'est un bébé. C'est vraiment facile à comprendre. Et la mère, elle, qui vient d'accoucher, qui ne comprend pas trop ce qui se passe, perd son bébé. Et là... Et puis, évidemment, il y a ses hormones qui remontent et tout ça. Et puis, elle va rester comme ça dans sa logette. Si on est au Québec, les vaches sont en stabulation entravée. Elles sont attachées pour la très, très grande majorité. Dans d'autres régions du monde, les vaches ont accès à du pâturage. Mais ce n'est pas beaucoup mieux. Mais donc, la vache, comme ça, va être traillie tous les jours. Et quelques mois plus tard, on va la remettre enceinte pour qu'au bout d'un an, elle donne naissance à un autre veau de sorte que sa production reste stable. Parce que c'est une industrie. Dans n'importe quelle industrie, on veut que la production soit stable. C'est la même chose pour la production laitière. Ce qui veut quand même dire que dans le lait qu'on consomme, il y a des hormones de grossesse. Les vaches qui produisent notre lait sont souvent enceintes. Ces hormones de grossesse-là, on les retrouve dans l'urine des gens qui ont consommé des produits laitiers. Cette phobie de consommer des hormones et tout ça, les gens qui consomment des produits laitiers devraient quand même se dire « Je consomme un liquide de croissance qui est fait pour un autre mammifère et en plus, ça contient des hormones de grossesse. » Je ne suis pas spécialiste de la santé. Mais on a quand même vu une corrélation entre la consommation de lait et certains cancers qui sont hormonodépendants et plein, plein, plein de problèmes de santé. Et ce n'est pas surprenant. Mais si on s'en tient, si on s'en tient aux vaches, parce que c'est d'elles dont on parle ici, ce cycle-là va se répéter 4, 5, 6 fois. Au Québec, la région que je connais, les vaches vont vivre à peu près 5 ou 6 ans, parfois 4, avant d'être transportées dans des encans, dans des enchères où elles vont être achetées par des abattoirs et ensuite transportées dans des abattoirs où elles vont être tuées. Et on appelle ça, et c'est assez terrible, de la « viande de réforme ».

Victor Duran-Le Peuch : Oui, on dit « elles sont réformées ». C'est incroyable cet euphémisme.

Élise Desaulniers : C'est horrible. C'est horrible quand on y pense. Donc, elles sont réformées pour devenir du bœuf haché. Donc, quand on parle de végétarisme, et ça, c'est un des arguments qui m'a vraiment convaincue de militer pour le véganisme et non pas le végétarisme, on se dit « oui, mais tu sais, nous, les végétariens, on ne tue pas d'animaux ». On n'en tue pas directement. D'accord. Mais quand même, les vaches qui produisent le lait vont être abattues après quelques années pour devenir de la viande. Les pays qui sont largement végétariens, comme l'Inde, par exemple, sont des très, très gros exportateurs de viande dans les pays limitrophes. Mais leurs vaches vont quand même être tuées et transformées en viande hachée. Et les veaux mâles, eux, vont aussi devenir de la viande. Donc, industrie de la viande et industrie du lait, c'est vraiment les deux faces d'une même pièce. C'est vraiment la même chose. Ce n'est pas possible de produire du lait sans tuer d'animaux, sans causer de souffrance. Même si on dit « oui, mais moi, le veau qui pleure, je m'en fous, on va trouver une façon de mettre les veaux ensemble avec des nannies ou peu importe, on va laisser le veau quand même avec sa mère », bon, même si tout ça, la vache devrait vivre à l'état naturel une quinzaine d'années. Elle ne va pas produire autant de lait pendant 15 ans. Elle ne peut pas produire autant de lait si on ne lui fait pas donner naissance à des bébés. Et puis, avec des grossesses à répétition, les veaux mâles, ils n'ont pas d'utilité. Donc, le modèle économique ne peut pas fonctionner sans l'industrie de la viande. On ne peut pas avoir d'industrie laitière sans l'industrie de la viande. C'est la même chose. Il ne peut pas y avoir de lait sans souffrance.

Chanson : Combien de pattes ? Ah, quatre, qu’on soit vache ou primate. On aspire à bouger, on aime la liberté ! Pourquoi, si j’en ai quatre, j’ai pas droit de m’ébattre, même pas de me débattre, confinée dans une boîte, tellement trop étroite. Ah vraiment je m’éclate, dans une vie si fôlatre. Je ne peux pas bouger. Je ne peux pas têter. Je ne peux pas brouter. Je ne peux pas me gratter. Encore moins gambader, ni me faire aimer. Je suis bien trop gâtée.

Victor Duran-Le Peuch : Et la rentabilité implique des conditions de souffrance encore pires que ce qu'on pourrait penser. Vous parlez notamment dans votre ouvrage du problème des mammites. Est-ce que vous pouvez expliquer ce que c'est?

Élise Desaulniers : Oui. En fait, les femmes qui ont donné naissance à des enfants le savent. C'est super difficile sur le système d'allaiter. Et c'est évidemment la même chose pour les vaches. Et les mammites, c'est des inflammations du pis qui se développent parce que les vaches sont branchées sur la treilleuse à chaque jour pendant de longues périodes. Donc, c'est des inflammations du pis qui sont super souffrantes, qui peuvent être traitées avec des antibiotiques, mais ça ne fonctionne pas tout le temps. Et c'est intéressant de noter que dans les élevages biologiques où l'utilisation d'antibiotiques n'est pas permise, souvent les mammites ne sont pas traités ou vont être traités avec des produits plus naturels. Donc là encore, ça cause d'immenses souffrances aux vaches. J'ai visité un encan là où on vendait ces vaches de réforme, et le terme m’horripile là, mais où on vendait ces vaches de réforme aux abattoirs et on les voit, les vaches, avec des gros, gros pieds enflés, plein de pus. Et ça, c'est la réalité et on ne peut pas faire autrement. On ne peut pas produire de lait de vache autrement que comme ça.

Victor Duran-Le Peuch : Oui. Donc, décidément, l'image du bio qu'on a qui serait un peu mieux, en général mieux pour le bien-être animal, en fait, pas vraiment. Et parfois même dans certaines situations, plutôt l'inverse.

Élise Desaulniers : Oui. J'ai visité un sanctuaire au Vermont, c'est le sanctuaire VINE de Pattrice Jones, qui est une super activiste LGBT et qui travaille aussi sur la question animale. Et dans son sanctuaire, il y a beaucoup de veaux mâles qui ont été sauvés. Et ça, c'est quand même fantastique, parce qu'on ne rencontre jamais de vaches laitières adultes mâles. Et puis, c'est super beau. Et puis, ils sont super gentils. Mais souvent, la plupart des cas, ces veaux et ces vaches proviennent d'élevage biologique parce qu'on est au Vermont et c'est un état qui est très, très vert et très, très bio. Et elle me décrivait les conditions dans lesquelles arrivaient ces nouveaux pensionnaires. Et elle-même disait, « Je pense que c'est pire que dans certains élevages conventionnels. Donc, il faut vraiment… Oui, évidemment, sur les emballages, sur les cartons de lait, le pâturage est vert et les vaches sont heureuses, mais la réalité, elle n'est pas comme ça. Et je ne pense pas qu'elle soit par sadisme de la part des éleveurs, mais c'est juste le fonctionnement de l'industrie qui est comme ça. Produire du lait en si grande quantité à un prix qui est accessible pour tout le monde, parce que c'est vu comme un besoin de base, le lait, ce n'est juste pas possible en étant respectueux des animaux. Ça ne se fait pas, il n'y en a pas de solution.

Victor Duran-Le Peuch : Il y a une autre chose qui m'a vraiment extrêmement choqué en lisant votre ouvrage, c'est le fait que la viande de veau, elle n'est pas blanche, elle n'est pas censée être blanche. En fait, la raison pour laquelle… Peut-être que vous pouvez la donner, la raison pour laquelle la viande de veau est blanche.

Élise Desaulniers : Oui, parce que les veaux sont en situation d'anémie. Donc, on a l'impression… Je pense que c'est vraiment un truc de marketing, ça, un peu comme le saumon d'élevage qui est rose, mais en fait dans la vraie vie, il n'est pas rose, il est gris, mais personne n'a envie de consommer du saumon gris. C'est quand même appétissant. Je pense que la viande de veau, avec la couleur qu'on a, on a l'impression que ça fait bébé, que ça fait lait. Je ne sais pas, ça fait vraiment longtemps que je n'ai pas mangé de veau et à l'époque où j'en mangeais, pour moi, c'était naturel que ça soit de cette couleur-là. Mais les veaux sont en situation d'anémie. Donc, ils cherchent par tous les moyens à avoir du fer et ils n'ont pas accès à du fer, donc leur viande est très, très blanche. Et on peut imaginer comme ça peut être souffrant pour eux. Les personnes qui nous écoutent qui ont déjà souffert d'anémie le savent, comme on le sent dans notre corps, cette espèce d'état de fatigue-là, les veaux le ressentent aussi. Je ne peux pas m'empêcher de penser à d'autres bébés animaux, mais ça serait impensable que pour avoir, je ne sais pas, tel comportement chez un chien, on dise, ouais, mais on va le priver de fer et puis il va être plus doux, mais ça ne fait pas de sens. Et on le fait pour des veaux.

Victor Duran-Le Peuch : Je suis vraiment atterré par le nombre de souffrances qui sont encore plus inutiles et surajoutées à la souffrance de base pour des choses aussi futiles qu'une couleur de la viande à la fin. C'est vraiment le spécisme à son extrême, le spécisme dans toute sa splendeur, j'ai l'impression.

Élise Desaulniers : Quand on dit qu'il y a plus de souffrance, dans un verre de lait que dans un steak, ça paraît une phrase un peu marketing de militants antispécistes qui veulent déranger, mais quand on regarde les faits, c'est la réalité. La vie d'un bovin d'élevage qui va devenir un steak, évidemment, elle n'est pas extraordinaire. Il est souvent dans des parcs d'engraissement, entassé sur ses congénères, il va être transporté à l'abattoir puis il va être tué, mais c'est, je vais mettre des gros guillemets « que ça », alors que quand on regarde le cycle du lait puis la vie d'une vache où sa souffrance va s'étendre pendant quatre, cinq, six ans, celle de ses veaux, les mâles, les femelles, les mastites, la vie des veaux, tout ça mis ensemble, c'est dégueulasse. Pourquoi? Pour du lait dont on n'a pas besoin. Quand on y pense, c'est un peu con.

Chanson : Qu’on ait deux pattes ou quatre, qu’on soit vache ou primate, on aime les plaisirs et puis pas trop souffrir, Pour mieux m'anémier, mes muscles atrophiés, vous me donnez à manger que du petit lait caillé Vous préférez ma chair blanche et sans aucun nerf, Que ne ferais-je pour vous plaire ? Pour toute liberté, je vais pouvoir tituber sur cette allée en fer, sous vos coups de bâtons Aveugle sous les rayons de cette brusque lumière Vive le sport en plein air

Victor Duran-Le Peuch : Vous avez obtenu le Grand Prix du journalisme indépendant au Canada pour un article qui s'intitule Les vrais mâles préfèrent la viande. Et dans cet article, il y a un passage qui a particulièrement attiré mon attention et j'aimerais vous demander de le lire. Si vous êtes d'accord.

Élise Desaulniers : C'est après être devenue végane et antispéciste que j'ai découvert le féminisme. Précisément, l'épiphanie est arrivée pendant l'écriture de « Vaches à lait » alors que j'avais en pleine face l'exploitation des vaches parce qu'elles sont des vaches. Inséminées artificiellement, séparées de leur veau à la naissance, attachées toute leur vie et forcées de produire pour la trailleuse, les vaches sont exploitées jusqu'à la dernière goutte de lait.

Victor Duran-Le Peuch : Je trouve vraiment intéressant le lien que vous faites ici avec le féminisme. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur ça?

Élise Desaulniers : La découverte des liens entre l'exploitation animale et la place des femmes dans la société a été pour moi, vraiment, comme je l'ai dit dans le texte, une autre épiphanie. Comme cette fois-là que j'ai réalisée en marchant sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal, que les vaches ne produisaient pas naturellement du lait. J'avais déjà entendu parler d'autrices qui sont bien connues dans le monde antispéciste comme Carol Adams. Je n'avais vraiment jamais lu les liens entre l'exploitation... Ça me semblait pas pertinent. J'avais aussi entendu parler de féminisme, évidemment. J'ai fait mes études en sciences politiques. Je voyais que ça existait, le féminisme. J'avais des collègues qui étudiaient en ? féministe. Puis pour moi, j'ai honte de le dire aujourd'hui, mais ça me semblait un petit peu dépassé. J'avais un peu l'impression que ces femmes-là s'inventaient un peu des problèmes, s'intéressaient à des choses un peu poussièreuses et dépassées. Je voyais pas d'enjeu réel. J'ai pu comprendre que dans l'histoire, les femmes ont eu besoin d'accéder aux droits de vote et tout ça. Mais pour moi, jeune étudiante, l'égalité des hommes et des femmes était acquise. Et puis j'aimais vraiment mieux, moi, m'intéresser aux trucs sérieux, genre politique internationale, administration publique et tout ça. Et j'ai honte de moi aujourd'hui. Et donc, j'écris « Vache à lait » dans un café et je suis assise aux côtés de quelqu'un qui va être important dans ma vie plus que moi. Et puis, Martine Delvaux, qui est une prof de littérature à Montréal, autrice féministe, aussi. Et parce qu'on boit plein de café une à côté de l'autre et qu'on est toutes les deux attablées avec nos ordinateurs portables en train d'écrire, on commence à se parler de ce qu'on écrit. Martine est en train d'écrire « Les filles en série », dont on va peut-être reparler un peu plus tard, et me parle des femmes qui sont oppressées par le patriarcat et tout ça. Et là, moi, je suis en train d'écrire Vache à lait. Là, je vois tout de suite qu'il y a un lien. On le voit dans le texte que j'ai écrit quelques mois plus tard qu'on a cité il y a un instant. Et là, je suis vraiment bouleversée et là, je vais commencer à lire Carol Adams que j'avais rejetée pendant tant d'années. Et puis, le lien, le premier lien qu'on peut faire, c'est que le système de domination qui permet l’exploitation des animaux, dont on parle amplement sur ce ? là, c’est ce même système d'exploitation qui rend possible l'exploitation des femmes. L'analogie que fait Carol Adams, qui est très, très facile à comprendre et qui m'a permis de faire ces liens-là en premier, c'est la pornographie, c'est l'exploitation sexuelle des femmes. Par exemple, dans la prostitution, souvent, les femmes vont dire « Je me sens comme un morceau de viande ». Carol Adams a parlé de « référents absents ». Elle a dit que quand on mange de la viande, quand on mange du poisson, on ne mange pas un animal, on ne mange pas une personne. On a tout oublié de sa subjectivité, de sa vie, de ses intérêts, de ses préférences. C'est juste de la viande. On oublie la personne qui était derrière. Mais quand on consomme de la pornographie, quand les hommes vont dans des salons de massage où des femmes en situation d'illégalité, leur procurent des services sexuels, ils ne s'intéressent pas à la personne qui est derrière ça. C'est juste un morceau de viande qui est là à leur service. Et déjà là, on voit ce parallèle-là. Souvent, dans les magazines de porno, on voit cette image, la femme qui est comme de la viande aussi. (Chosifiée.) À partir de là où on voit ça, on voit le parallèle vraiment partout, partout, partout, partout, partout. Et c'est quand même intéressant, même si on regarde dans la langue en anglais, « husbandry », c'est élevage, mais c'est aussi « husband », le mari, le père de la famille.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, ça, c'est fou.

Élise Desaulniers : Et de la même façon que le père contrôle sa famille, sa femme et ses enfants, il contrôle aussi ses animaux. Et puis évidemment, la situation des femmes s'est améliorée au cours des derniers siècles, je ne le nie pas, mais n'empêche qu'encore aujourd'hui, ce déséquilibre-là existe et est davantage présent dans certaines sociétés que dans l'autre. Mais je lisais récemment qu'en Inde, par exemple, les femmes fournissent 80% des organes qui sont transplantés, des reins qui sont transplantés, mais ne reçoivent que 10%. Les femmes disent dans des témoignages qu'elles se sentent comme des machines à produire des organes. Les hommes marient des femmes pour avoir un rein. On n'est pas là un peu comme dans ce qu'on voit avec les animaux aujourd'hui dans l'élevage. Et puis, des parallèles comme ça, je pourrais en faire pendant des heures et des heures et des heures.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, oui, c'est la même logique d'appropriation des corps en fait. C’est fou cet exemple avec l’Inde.

Élise Desaulniers : Oui et même dans des pays comme le Québec où on se dit un peu c'est le paradis du féminisme. Il y a quand même une inégalité entre les hommes et les femmes, une pression sur le corps des femmes qui n'est pas présente sur le corps des hommes et des parallèles à faire avec l'élevage. On peut en faire aussi avec le racisme. Il y a plein d'autrices qui ont travaillé sur des parallèles entre le racisme et la question animale. Mais là-dedans, ce qui reste, c'est les logiques de domination.

Victor Duran-Le Peuch : On a vu dans l'épisode 4 avec Marie-Claude Marsolier que la raison du refus de l'application de termes réservés aux humains humaines à d'autres animaux est le plus souvent spéciste. Donc on devrait pouvoir dire une « vache enceinte », on devrait pouvoir dire à l'inverse une « femme en gestation » par exemple. Mais alors moi, je me demande jusqu'où il faut pousser ce volontarisme dans l'application des concepts aux animaux, peu importe leur espèce. En particulier, je pense à un cas vraiment difficile, celui des inséminations artificielles des vaches, justement, parce que certains défendent qu'on devrait qualifier ces inséminations artificielles de viol. Alors j'aimerais bien avoir votre avis là-dessus. Est-ce que vous pensez que c'est adéquat et juste de le dire de cette façon-là?

Élise Desaulniers : Je ne connais pas l'expérience de viol et j'ai quand même l'impression qu'il y a quelque chose dans le viol qui ne se retrouve pas dans l'insémination artificielle. En tout cas, j'aimerais, j'ai peur que ça puisse réduire l'expérience de viol que de l'associer à une insémination de la même façon que quand on parle, quand on fait des parallèles avec la Shoah, avec les camps de concentration pour parler d'élevage industriel, ça me met mal à l'aise comme personne non juive, qu'il n'y a pas dans ma famille des gens qui, qui qui sont passés par ces camps-là. Je me garde une petite gêne. Donc, je me garde aussi le même genre de petite gêne avec, avec le parallèle avec le viol. Surtout que dans le mouvement animaliste, il a souvent été réutilisé par des hommes et là aussi, j'ai mal à l'aise. Si une survivante du viol a envie de faire ce parallèle-là et qu'elle se reconnaît, je suis parfaitement à l'aise. Mais moi, pour ma part, je garde vraiment le viol. Tout l'aspect émotif, tout le rapport au corps qu'on peut avoir dans le viol des humaines, mais en même temps, on n'en sait rien et ce qui n'enlève rien au fait que l'insémination artificielle, c'est vraiment dégueulasse.

Victor Duran-Le Peuch : Et j'ai l'impression qu'une des questions un peu corollaires par rapport à ça, c'est la question de est-ce qu'on peut parler d'un consentement chez les vaches comme on en parle chez les humains et humaines?

Élise Desaulniers : C’est hyper difficile la notion de consentement chez les animaux. C'est une question énormément et c'est quelque chose qu'on commence à regarder. Dans l'histoire, on ne s'est pas vraiment posé la question sur ce que veulent les animaux, c'est quoi leurs préférences. En fait, quand on les laisse tranquilles, ils agissent selon leurs préférences, mais dès qu'on rentre en relation avec eux, on a tendance à leur imposer des choses sans vraiment leur poser la question. Donc, il y a déjà des expériences qui sont faites dans des sanctuaires sur là où les vaches, celles-là, veulent habiter. à VINE Sanctuary dont je parlais plus tôt, on a fait des expériences où si on laisse les vaches libres, certaines vont avoir envie d'être un peu plus à l'abri, d'autres vont avoir envie d'être en forêt, d'autres vont avoir envie d'être en pâturage. Donc, on voit déjà que lorsqu'on laisse des choix, elles les expriment. Même chose pour la nourriture. Donc, peut-être qu'il y aurait des façons d'avoir le consentement des animaux pour certains trucs, mais ça reste difficile et je me pose la question au quotidien sur des procédures chirurgicales qu'on va faire sur des animaux. C'est assez paternaliste de dire qu'on fait ça pour ton bien, mais l'animal, en est pas vraiment conscient. Comment on fait pour avoir son consentement, je ne sais pas, mais c'est vraiment des questions sur lesquelles il faudrait se pencher. Je pense qu'on a quand même trop tendance comme humain à se dire que notre point de vue est le bon et ce qu'on pense qu’est bon est effectivement bon pour eux. Dans l'histoire, on a été super paternaliste comme ça par rapport à d'autres humains et on a vu que ce n'était pas nécessairement la bonne chose. Donc, ne serait-ce que se poser la question, prendre le temps de réfléchir, discuter avec d'autres humains avant de prendre des décisions pour les animaux, ça pourrait être une bonne chose et quand c'est possible, essayer de voir ce qu'ils préfèrent et qu'est-ce qu'eux voudraient faire. Pour l'insémination, on n’a pas besoin de se poser la question très très longtemps pour se dire que c'est assez peu probable que la vache soit consentante à une insémination qui va lui donner une grossesse à un bébé qu'on va lui enlever, ça n'a pas besoin de faire des grosses recherches pour se dire que je pense que ce n'est pas dans son intérêt à elle.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, très clairement.

Victor Duran-Le Peuch : Les veaux s'en iront pleurer dans les champs J'irai boire à ta coupe le lait sacrificiel, ce lait produit pour ton petit mais que les humains s'approprient. Trop tôt tu seras réformé euphémisme pour dire tué, et de tes membres disséqués, on nourrira nos invités N'ayant cesse de négliger la triste vie présupposée par nos pratiques délétères. Je ne peux pas me taire

Victor Duran-Le Peuch : Alors peut-être qu'on peut passer au deuxième N des quatre N carnistes donc le deuxième c'est « Naturel » Alors déjà bon vous l'avez dit on peut se poser la question de à quel point c'est naturel de boire le lait d'une autre espèce, et de continuer à boire du lait à l'âge adulte Bon ça je pense que voilà on l'a traité, je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose sur ça mais...

Élise Desaulniers : Non mais c'est ça mais de toute façon je pense qu'on a un biais assez largement répandu dans notre société que ce qui est naturel est bon. Mais c'est un sophisme ça de toute façon donc, même si c'était naturel de consommer des produits laitiers ce serait pas nécessairement une bonne chose. Et puis il n'y a absolument rien de naturel pour un mammifère de consommer du lait à l'âge adulte

Victor Duran-Le Peuch : Ce que dit ici Élise Desaulniers est vraiment très important, je ne voudrais pas, en réfutant le fait que boire du lait soit naturel, qu'on renforce par là même l'idée, qui est fausse elle aussi, que ce qui est naturel est bien, ou que ça le rendrait moral. Les deux idées sont fausses mais s'articulent dans l'idéologie carniste. D’autant plus que l’idée de Nature ou de ce qui est naturel est très souvent utilisé pour tenter de justifier l'exploitation ou la discrimination On y reviendra dans le podcast

Élise Desaulniers : D'ailleurs il y a comme une blague qu'on fait souvent avec les enfants, quand on leur demande « une vache qu'est-ce que ça boit ? » les enfants vont répondre « du lait », mais non les vaches ça ne boit pas du lait !

Victor Duran-Le Peuch : c'est fou l'association qu'on fait ! Alors du coup, surtout on pense que c'est naturel de boire du lait, alors que la majorité des gens sur terre sont en fait intolérants, intolérantes au lactose

Élise Desaulniers : Oui, ce que j'aime rappeler là-dedans deux choses d'une part. C'est que c'est une vision du monde qui est très très blanche, qui est très centrée sur les personnes qui sont tolérantes au lactose. La plupart des mammifères après le sevrage cessent de produire les enzymes qui permettent la digestion du lait et des produits laitiers. Et chez certains humains, ceux qui ont vécu dans des régions qui ont été les premières à consommer des produits laitiers, il s'est produit une modification génétique qui permet de continuer de digérer le lait après le sevrage. Ça s'appelle la persistance de la lactase mais c'est une très très très petite minorité des humains qui développent ça. Des blancs essentiellement, donc pour la majorité des gens sur la planète terre c'est impossible de digérer des produits laitiers à l’age adulte. Mais ça l'industrie laitière évidemment, et puis on aura peut-être l'occasion d'y revenir, essaie de nous de nous le faire oublier. Et deuxième chose, c'est que jusqu'au début du 20e siècle la consommation de produits laitiers était assez marginale. Oui on consommait, surtout en Europe, en Amérique du Nord, certains fromages et tout ça mais c'était en toute petite quantité. Le lait on n'avait pas les procédés de réfrigération et tout ça, de pasteurisation qu'on a aujourd'hui. Et donc le lait consommé comme ça, le lait blanc, n'était pas du tout du tout, du tout, approprié pour la santé. Mais on constatait que certaines populations avaient des déficiences nutritionnelles . En même temps on produisait du lait qu'on cherchait des façons de le vendre. Et très très vite au début du 20e siècle les producteurs de lait et les spécialistes de la santé se sont mis ensemble pour convaincre les gens de consommer du lait pour avoir une bonne santé. On le vendait un petit peu comme une police d’assurance. Le lait dans les écoles qu'on a vu en France, qu'on a vu au Québec, qu'on a vu un peu partout en Occident, c'est arrivé dans les années 40-50 où oui il y avait des déficiences nutritionnelles dans les écoles. Le lait était une façon facile d'amener des protéines aux enfants, et c'est comme ça qu'on associe lait et santé. Mais c'est très très très récent et vraiment dans certaines régions du monde seulement. Mais après on le voit bien c'est tout tout tout récent dans l'histoire de l'évolution des êtres humains rappelons-nous simplement que l'agriculture est apparue il y a 10 000 ans et qu'avant ça il n'y avait pas de lait

Victor Duran-Le Peuch : Et en fait même parler d'intolérance au lactose, vous le dites dans votre bouquin ça renverse complètement la proportion comme si c'était la norme de pouvoir digérer le lait, alors qu'en fait en termes de proportion, c'est plutôt une minorité de personnes qui peuvent avoir ce que vous appelez la persistance à la lactase.

Élise Desaulniers : En fait on parle d'intolérance au lactose comme si c'était une maladie mais en fait c'est la norme. C'est fou d'y penser, mais en même temps c'est la norme quand la norme est imposée par les blancs. Donc évidemment pour les blancs c'est la norme de consommer des produits laitiers. Et les gens qui sont intolérants au lactose le voient comme un handicap. J’étais invitée par des chinois dans un chat WeChat avec elle et eux pour parler de lait. Et puis on me racontait que évidemment dans l'histoire de la Chine les produits laitiers c'est très très très marginal. Jusqu'à il y a quelques années on ne consommait pas de produits laitiers, il n'y a pas de produits laitiers dans la culture chinoise. Mais évidemment, l'Occident étant ce qu’il est, avec son pouvoir hégémonique, a amené les produits laitiers en Chine. Et puis ça ne se fait pas d’enlever la lactose du lait. Ce qui est fait, c'est qu'on rajoute un peu, comme les petits médicaments qu'on achète en pharmacie quand on est intolérant au lactose, c'est le lactate, c'est ce qu'on rajoute au lait pour en faciliter la digestion. Donc on n'a pas retiré le lactose du lait, mais c'est extrêmement populaire en Chine et les parents donnent du lait à leurs enfants parce qu'ils pensent que c'est nécessaire pour eux et surtout c'est ce qui m'a troublée pour que leurs enfants deviennent grands comme des occidentaux. Et ça je l'ai entendu à plusieurs reprises, les chinois, chinoises ont honte de leur taille, voudraient être grands, veulent aspirer à des postes haut placés dans les entreprises, les filles veulent devenir agents de bord sur des avions, et puis se disent qu'en étant plus grand, plus grande, ça va être plus facile pour eux. Donc les parents donnent du lait à leurs enfants. Alors que là-dedans tout tout tout est wrong ! Le lait est associé à plein de problèmes de santé

Victor Duran-Le Peuch : Il n'y a rien qui va ! il n'y a rien qui va très clairement !

Élise Desaulniers : il n'y a rien qui va ! mais c'est c'est la puissance, c'est la puissance de l'occident, c'est la puissance des normes sociales, c'est la puissance, c'est la puissance du marketing

Victor Duran-Le Peuch : Voilà, du coup on voit comment, pour le cas du lait, le carnisme est vraiment interconnecté avec d'autres logiques de domination. Et du coup ça m’amène à un article que vous avez écrit pour l’Amorce qui s'appelle « Pourquoi la droite tient-elle tant à son verre de lait ? » où vous analysez l'utilisation du verre de lait par des groupes néo-nazis comme symbole de la suprématie blanche.

Élise Desaulniers : Oui ! Ça fait partie des trucs auxquels on pense pas, que ça, des trucs comme le lait pourraient être récupérés, dont je parlais, pas dans « Vache à lait ». Et c'est fou de se dire qu'on passe des années à travailler sur une question et qu'il y a quand même des groupes d'extrême droite qui réussissent à en voir des aspects auxquels on avait pas pensé ! Donc j'étais tombée sur sur une manifestation de néo-nazis où, pour montrer leur supériorité, ils s'affichaient, et pis là on est aux États-Unis, donc des gros gros gros bidons de de lait. Et leur truc c'est de de dire si tu ne peux pas digérer le lait, retourne chez toi, t'es pas un vrai, t'es pas t'es pas un américain ! Ça a été aussi réutilisé à d'autres fins. On va traiter les hommes de gauche, féministes, pis tout ça de « soy boy » donc on fait l'association que le soja aurait des effets sur la virilité des hommes. Tout ça c'est complètement faux, on le sait depuis des années. Mais il y a cette image que cet homme féministe de gauche, qui va peut-être faire attention, à sa consommation de produits d'origine animale est pas un vrai, en tout cas pas un suprémaciste blanc. Et donc ça va être un « soy boy » donc le lait ça devient l'espèce de ciment qui va relier ce vrai mâle américain. Donc on l'imagine là, il est grand, il a fait son service militaire, il a un pick up, ça lui dérange pas de polluer, il mange de la viande, sa femme reste à la maison, et il consomme des produits laitiers, et il est terrifié par avoir eu un président noir, et de voir des personnes issues de l’immigration qui prennent des pouvoirs, qui prennent du pouvoir autour de lui. Donc sinon non, les vrais américains ça consomme du lait !

Victor Duran-Le Peuch : C'est fou parce que, c'est vrai, qu'on s'attendrait pas à ce que le lait soit en fait au coeur de certaines logiques à la fois racistes et virilistes. c'est vraiment, c'est combo !

Élise Desaulniers : Combo, oui !

Victor Duran-Le Peuch : Alors, par rapport à ça, il y a un autre aspect qui est propre au Canada. Il y a eu récemment une refonte du guide alimentaire, on en a parlé brièvement avec le docteur Sébastien Demange. Cette fois-ci, pour la première fois, le guide alimentaire a été refait sans que les lobbies soient à la table de l'élaboration en fait. Et ça a mené à une suppression de la catégorie produits laitiers.

Élise Desaulniers : Ça relève presque du miracle ! Dans mon livre, moi je présentais le guide alimentaire canadien tel qu'il est, il va ressembler à ce qu'on a en France ou dans d'autres pays européens tel qu'il était, en fait il y a quelques années. Quand j'ai publié mon bouquin donc, on avait les quatre groupes et puis le verre de lait en haut à droite comme aliment. Et je présentais l'assiette développée par Harvard, qui me semblait être un modèle vers lequel on devrait tendre. En haut à droite de l'assiette, ce n'était pas un verre de lait, c'était plutôt un verre d'eau, et puis il n'y avait pas de groupe propre aux produits laitiers parce que comme on l’a dit plus tôt, il n’y a rien dans les produits laitiers qui n’est pas ailleurs. Et puis il y avait un groupe de protéines, il y avait des légumes, il y avait des céréales, et tout ça. Et il y a quelques années, le Canada a entrepris un processus de réforme de son guide alimentaire. Et contrairement à toutes les autres réformes où les lobbies se sont fait entendre, là aussi, ils ont fait leur travail de lobbyistes, mais ils n'ont pas été écoutés. Les fonctionnaires en charge du développement du guide ont décidé d'écouter la science, et non pas les lobbies. Évidemment, quand les premières versions du guide qui sont sorties, on l'appelait, puis là je ne blague pas, mais « la chute de la civilisation » ! Si on enlevait le groupe des produits laitiers, ça allait être terrible et l'industrie laitière canadienne, ce fleuron, dont on est très fiers, allait s'effondrer tout ça ! Trois ans plus tard, à peu près malheureux, mais il n'y a rien que changé, heureusement on a une référence on peut quand même dire, regardez ce n'est pas nécessaire de consommer des produits laitiers ! même le guide canadien alimentaire canadien n'en a plus. Mais dans les supermarchés, partout, on ne voit pas vraiment de différence. Peut-être, partout, en occident on consomme un petit peu moins de lait liquide, mais les fromages et tout ça sont évidemment en croissance la consommation de lait n'a pas vraiment diminué. Et puis même dans les hôpitaux, et partout, il y a des petits berlingos de lait autant qu'il y en avait avant. Je pense que, malgré cet échec, mais qu'on peut quand même voir comme une victoire de la science, le lobbie laitier continue d'avoir leur place prépondérante partout

Victor Duran-Le Peuch : En fait j'ai l'impression que c'est très grave, parce que concrètement, ça veut dire comme vous l'avez dit, les personnes non blanches sont beaucoup plus intolérantes au lactose que les personnes blanches. Ça veut dire que le guide alimentaire avant cette refonte n'était pas du tout adapté pour les personnes non blanches.

Élise Desaulniers : On peut même penser pas adapté pour les populations autochtones du Canada. Les populations autochtones au Canada, qui étaient là avant les Blancs, c'est chez eux, puis on ne va pas entrer dans l'histoire du colonialisme, mais quand même on peut avoir un petit peu honte et se garder une petite gêne. Ces gens-là qui étaient là avant les Blancs ne pouvaient pas consommer de produits laitiers et il y a plein d'histoires qui racontent que dans les écoles et tout ça, on les forçait à consommer quand même des produits laitiers. On les a aussi forcés à oublier leur langue et à adhérer au catholicisme, mais dans l'alimentation il y avait tout autant de racisme. Donc imaginez tous ces enfants autochtones qui ont dû boire du lait et avoir des problèmes de digestion pendant toute leur enfance, et peut-être que c'était le moindre de leur mal par rapport à tout ce qu'on leur a fait subir, mais n'empêche que ça fait aussi partie du portrait. Et moi je raconte dans le livre qu'il y avait des immigrants vietnamiens qui sont arrivés à mon école quand j'étais au primaire, et c'était super bizarre de ne pas les voir consommer de produits laitiers et tout ça et puis ont finit par en consommer comme tout le monde, parce que c'était la norme, parce qu'ils voulaient être des vrais canadiens comme nous les blancs. Donc oui, c'est assez dégueulasse. Aujourd'hui il y a des guides alimentaires qui sont adaptés aux différents groupes issus de l'immigration. Le Canada a quand même une vision très multiculturelle, c'est un peu moins le cas au Québec, le Québec va peut-être ressembler un petit peu plus à la France sur certaines approches. Mais au sein du Canada, c'est très multiculturel et donc il y a des versions du guide alimentaire dans plein de langues. Et c'est super chouette de voir le guide alimentaire adapté à ce que les gens mangent réellement. Ça fait réaliser la suprématie du blanc, parce que un guide alimentaire avec un berlingot de lait, du steak et des pâtes ça ne ressemble pas du tout à ce que la famille Sri-Lankaise mange quand elle arrive au Canada, et puis ce qu'elle va trouver dans ses épiceries Sri-Lankaises de Toronto.

Victor Duran-Le Peuch : On peut passer aux deux derniers « N ». Je pense qu'on peut les mettre ensemble parce qu'ils sont assez proches donc le « Normal » et le « Nice ». J'ai l'impression que c'est quand même beaucoup une question d'habitude donc le côté normal. Mais on a aussi tendance à être accro, notamment au fromage, vous en parlez dans le dernier chapitre de l’ouvrage. Par exemple, j’entends beaucoup dire que à la limite, les personnes pourraient arrêter la viande, mais alors le fromage, pas touche ! Je ne sais pas si c'est parce que je suis en France, mais je crois qu'on a aussi une culture des produits laitiers et du fromage au Québec.

Élise Desaulniers : C'est le cas ici. J'ai grandi dans un pays où le fromage n'était pas très bon, contrairement à la France. Et ça a été super difficile pour moi d'arrêter le fromage. Et même encore aujourd'hui, et puis on le voit encore plus quand on est vegan, tout est gratiné, il y a du fromage partout, c'est super difficile de trouver quelque chose pas de fromage et pourquoi ? Ben je pense qu'une des explications c'est que c'est bon ! C'est bon du fromage, du fromage vegan aussi c'est super bon, mais à la base du fromage c'est bon ! C'est bon pourquoi ? C'est bon parce que c'est gras, c'est bon parce que c'est salé, donc c'est quand même deux choses qui font qu'on va apprécier un aliment. Il y a peut-être quelque chose dans le fromage qui est « l'umami », cette espèce de saveur un peu plus complexe qu'on trouve dans les aliments fermentés. Et c'est peut-être ça qui rajoute la profondeur au goût du fromage, du plaisir au fromage, qu'on n'aurait pas ailleurs dans les autres produits d'origine animale.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, mais alors par-dessus cette couche, peut-être d'authentique saveur et bon goût du fromage, j'ai l'impression qu'il y a aussi beaucoup les habitudes qui jouent et en fait ces habitudes elles ne viennent pas de nulle part, et en particulier elles sont beaucoup construites dès notre enfance. J'aime bien parce que dans votre livre, vous mettez vraiment beaucoup l'accent sur le fait que, vous en avez parlé, il y a eu une augmentation historique massive de la consommation de lait et de produits laitiers, et vous expliquez qu'en fait elle a été orchestrée à la fois par l'industrie et par l'état de façon très volontariste.

Élise Desaulniers : On en parlait, on en parlait. Donc on a des nutritionnistes qui rentrent dans les écoles avec la pesée, puis on donne des berlingots de lait aux enfants dans les écoles pour les faire grandir. On le voit en Angleterre, on le voit au Canada, on le voit aux États-Unis, on le voit en France aussi. Mais rapidement le lait fait son entrée dans le guide alimentaire dans plein d'états dans le monde, et ça, ça arrive à partir du XXe siècle. Et l'État décide que le lait va jouer un rôle spécial dans l’alimentation. On n’a pas d’autres produits, groupes de produits alimentaires, on n'a pas des pubs de poulet ou des pubs de brocoli à la télé, mais on a des pubs de lait qui sont payées par des lobbies de producteurs laitiers. Mais on a presque l'impression que c'est des pubs gouvernementales parce que c'est le produit générique, le lait. On ne parle pas d'une marque de lait, alors que quand on a des pubs de boissons gazeuses, c'est des pubs de Coke, de Pepsi ou des pubs de Nestlé pour certains produits. Là, c'est le lait. On ne voit pas ça ailleurs.

Victor Duran-Le Peuch : Le fameux « en France, les produits laitiers sont vos amis pour la vie ». Je crois qu'au Québec, vous en avez un différent. C'est « un verre de lait, c'est bien, mais deux, c'est mieux ».

Élise Desaulniers : Oui, oui. Et il y a eu plein d'itérations de ça. Et puis les pubs de lait au Québec sont passées dans la culture populaire parce que c'est des pubs qu'on a vues partout, qui font partie de notre histoire, de notre enfance. On se rassemble autour de ces pubs-là. Il y a quelque chose d'assez extraordinaire. Mais même d'un point de vue économique, l'État a aussi fait en sorte que le lait reste un produit accessible et qu'il n'est pas soumis aux droits du marché comme d'autres produits alimentaires. Le brocoli, par exemple, pour parler de lui, ou les lentilles, il y a de l'importation, il y a de l'exportation, de l'offre, de la demande, les prix fluctuent. Dans le cas du lait, et là, ça varie d'un pays à l'autre, puis en France, depuis la création de l'Union européenne, c'est un peu différent. Mais encore ici, donc nous, on est encore dans l'ancien modèle de gestion de l'offre, c'est un marché qui est complètement fermé. Donc, il n'y a pratiquement pas d'importation de produits laitiers. Il y a des grosses, grosses, grosses barrières à l'importation. Il n'y a pratiquement pas d'exportation, mais le prix est contrôlé par l'État. Donc, imaginez-vous, le prix du lait, c'est décidé à la Chambre des communes par des élus qui l'adoptent et tout ça. Puis ça va être le prix de base du litre de lait pour permettre son accessibilité à tout le monde. Comme si c'était l'aliment de base que tout le monde devait pouvoir s'acheter. Mais on n'a pas ça pour le brocoli, puis on n'a pas ça pour les lentilles, puis on n'a pas ça pour d'autres produits, juste le lait. Quand on pense à des soutiens à l'alimentation, par exemple, pour les femmes enceintes qui ont des revenus insuffisants, il y a des fondations qui leur offrent trois produits, du lait, du jus d'orange et des oeufs. Comme si ces produits-là étaient un peu miraculeux, c'est quand même très, très, très, très, très bizarre. Et ça reste la référence ultime, le prix de la pinte de lait, parce qu'on parle encore de « pinte de lait » au Québec, c'est la référence ultime. C'est le produit de consommation que tout le monde doit avoir dans son frigo. Si on n'a pas de lait dans son frigo, on n'est pas des bons parents et on est des gens qui mangent mal. Ça reste vraiment, vraiment, vraiment curieux, tout ça.

Victor Duran-Le Peuch : Et quand ce n'est pas par un système de gestion de l'offre comme au Québec, et quand on est dans un marché libre pour le lait comme on l'est en France, en fait, il y a des énormes subventions étatiques qui viennent compenser le fait que c'est une industrie qui est précaire et parfois déficitaire, donc en fait, qui se nourrit des subventions de l'État pour pouvoir s'en sortir. Donc d'une façon ou d'une autre, en fait, l'État est... maintient de façon volontariste, il crée, alimente l'offre. Donc pour résumer, il y a à la fois construction et protection de l'offre, et en face, il faut bien que les produits soient consommés une fois produits. Et donc il faut aussi créer de la demande. Et c'est là qu'interviennent les croyances que les produits laitiers sont « Normaux » et « Nice ». Le sous-titre du livre d'Élise Desaulniers est « 10 mythes de l'industrie laitière ». On peut bel et bien parler de mythes, car ce sont des croyances créées de toutes pièces. En effet, ces mythes n'apparaissent pas par magie. Ce ne sont pas des idées qui flottent dans l'air. Ces mythes sont façonnés historiquement par certaines institutions et certains acteurs, et se perpétuent par des moyens très concrets, comme la publicité ou les recommandations gouvernementales de nutrition. Et tout ça passe aussi par du lobbying de la part de l'industrie.

Élise Desaulniers : Ils ont, donc on le dit, ils sont extrêmement puissants, ils ont beaucoup d'argent. Quand on regarde les études en nutrition qui sont produites, la plupart, quand on regarde les crédits et tout ça, sont financés par l'industrie laitière. D'ailleurs, au Canada, ça fait longtemps que je ne l'ai pas regardé, mais il y avait une trentaine de nutritionnistes qui travaillaient pour la Fédération des producteurs de lait, et leur département relève du marketing. Donc, c'est quand même un peu fou. Mais il y a aussi des chaires de recherche un peu partout, du financement de recherche universitaire, tout ça. Et là, ça nous amène à se poser des questions sur, sur les études qu'on voit, sur les études en nutrition, sur lesquelles se basent les spécialistes qui vont nous faire des recommandations, parce que je ne suis pas en train de dire qu'ils sont corrompus, mais n'empêche que, est-ce qu'on va vraiment travailler sur des sujets qui vont à l'encontre des intérêts de l'industrie laitière, si c'est elles qui financent notre chaire de recherche ? Est-ce qu'on va vraiment publier ces résultats-là qui vont à l'encontre des intérêts du bailleur de fonds ? Peut-être pas. Donc, pourquoi il y a si peu de data sur, par exemple, l'effet des produits laitiers sur l'environnement en comparaison avec les alternatives aux produits laitiers ? Une des explications est peut-être là. Pourquoi on parle si peu du fait que le lait d'avoine, le lait de soja peuvent être des super alternatives aux produits laitiers ? Pourquoi il y a si peu d'études qui démontrent ça ? Une des explications est peut-être là. Ça change un petit peu depuis quelques années, mais n'empêche qu'on sait que les lobbies étant partout, les chercheurs, chercheuses ne sont pas libres de publier tout ce qu'ils veulent. Et même dans les médias, on le sait, les médias, ça fonctionne à la publicité. Oui, il y a les petits médias indépendants, mais quand on parle de médias mainstream, et moi, ce que j'ai observé, c'est que j'avais déjà écrit un livre, publié un livre avant de faire publier « Vache à lait ». Et mon premier bouquin parlait d'alimentation éthique en général, et j'ai été bien reçue partout, ça s'est super bien passé. Et quand j'ai fait paraître « Vache à lait », c'était complètement autre chose. Soudainement, j'étais beaucoup moins invitée. Peut-être que le livre était moins intéressant, mais ça me semble curieux. Et surtout, et c'est ce qui m'a le plus choquée, c'est que quand on faisait une interview avec moi, à côté, il y avait quelqu'un de l'industrie laitière pour présenter, entre guillemets, les deux côtés de la médaille. Et je n'avais jamais vu ça. Pourquoi ? D'où est cette nécessité quand je décris, les conditions de vie des vaches, d'avoir quelqu'un qui présente l'autre côté de la médaille ? L'autre côté de la médaille, il est partout. Je vais juste dénoncer quelque chose qu'on ne voit pas, mais on redonne de la visibilité à l'industrie laitière. Et là, ça m'a fait me questionner, est-ce qu'en critiquant l'industrie laitière, en critiquant l'omniprésence du lait, je ne suis pas en train de donner encore plus de visibilité à une industrie qui est déjà partout ? Je me mets à la place de monsieur-madame-tout-le-monde qui ne s'intéresse pas tant à ça, qui n'écoute pas des podcasts comme celui qu'on est en train d'enregistrer, qui se dit « c'est un peu controversé cette affaire-là », il regarde, « moi, je ne m'embarque pas là-dedans ». J'ai l'impression qu'à quelque part, et peut-être que les choses changent un peu, mais en dénonçant le lait, peut-être qu'on est en train de mettre un peu plus de force sur le statu quo parce qu'on permet à l'industrie de réagir et d'être encore plus présente. Et les gens font juste, « regarde, moi, je ne vais pas changer ». On le voit aussi dans les alternatives à la viande. Quand on parle de viande de culture, quand on parle de viande végétale, les lobbies sont très, très présents et tout ça. Et pour certaines parties de la population qui n'est pas trop au courant des débats, je pense que ça leur donne un prétexte pour se reculer et de faire, moi, je ne changerai rien. C'est trop controversé.

Victor Duran-Le Peuch : Je crois que vous donnez dans votre livre en exergue une citation de Nicole Dubé qui résume vraiment très bien tout ça. En fait, c'était la directrice nationale du marketing de la Fédération des producteurs de lait du Québec, donc j'imagine le principal lobby de l'industrie laitière au Québec. Elle dit « Notre stratégie a été divisée en deux, la tactique rationnelle et la tactique émotionnelle, la première présentait le lait comme une source importante de calcium et une arme de première force dans la lutte contre l'ostéoporose, alors que la seconde mettait en avant les joyeuses retrouvailles des consommateurs avec le lait ». La stratégie était très claire.

Élise Desaulniers : J'avais oublié cette citation, mais c'est extraordinaire quand l'industrie elle-même dévoile sa stratégie.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, là, c'est très clair, c'est textbook. Eh bien, merci. Merci beaucoup, Élise Desaulniers. Vous le savez, je demande à chacune et chacun de mes invités trois recommandations pour les auditeurices. Alors, quelles sont les vôtres aujourd'hui ?

Élise Desaulniers : On en a parlé brièvement, mais je ne pouvais pas m'empêcher de recommander « Les filles en série, Des Barbies aux Pussy Riot ». D'ailleurs, Martine est en tournée en Europe en ce moment, donc peut-être que vous allez la voir dans une librairie près de chez vous. Dans « Les filles en série », Martine Delvaux parle de cette image omniprésente de la femme blonde, belle, mince qui est partout, la poupée Barbie qui est un peu la référence. Et quand on commence à regarder ça, on voit à quel point c'est quelque chose qui est largement répandu. Ces groupes de filles qui font de la nage synchronisée, qui font du ballet. Et aussi, il y a des parallèles à faire avec les animaux. En tout cas, c'est super chouette à lire. C'est « Les filles en série » de Martine Delvaux. Et il y a plein d'autres essais et romans de Martine à lire. Deuxième suggestion, Jo-Anne McArthur. Vous devez connaître ses images sans la connaître elle. C'est une photojournaliste canadienne. Elle est la vedette d'un super documentaire qui s'appelle « The Ghost in Our Machine ». Qui a été diffusé en 2013, je pense. Peut-être qu'on peut retrouver sur les plateformes de streaming. Donc, c'est une photojournaliste qui fait du undercover dans des élevages, dans des zoos, un peu partout. Elle a publié trois bouquins. Elle a gagné plein de prix. Mais elle a aussi fait un truc vraiment chouette pour les militants, pour les droits des animaux. C'est qu'elle a créé une agence de photos où on peut avoir accès à des photos, faire des recherches par mots-clés. Donc, des photos qu'on peut reprendre dans nos publications et tout ça. Et c'est entièrement gratuit. Donc, c'est vraiment chouette d'aller voir son livre, de consulter ses bouquins. Son histoire est vraiment touchante aussi dans « The Ghost in Our Machine ». Et c'est une Canadienne, donc, je ne peux pas m'empêcher de la saluer. Troisième recommandation. C'est un Français, Martin Page. Un très, très chouette bouquin qu'il a publié il y a quelques années. « Les animaux ne sont pas comestibles ». Qui raconte un peu comment lui a commencé à s'intéresser à la question animale. Et puis, quelque chose qu'on en a plein des livres qui parlent de la question animale et tout ça, mais j'ai souvent l'impression qu'il faut être un petit peu convaincu pour les lire parce que c'est des essais et parce que c'est des lectures qui demandent peut-être un peu plus d'efforts parce que c'est des essais. Martin Page, c'est un romancier, c'est un super bon romancier. Et « Les animaux ne sont pas comestibles », c'est un récit. Ça fait un gros cliché, mais ça se lit comme un roman. Il y a vraiment une sensibilité qui est différente, qui touche l'imaginaire. Peut-être que les personnes qui nous écoutent sont déjà convaincues, mais c'est un bouquin que moi, j'offre souvent à des amis qui veulent une première approche. Je sais que c'est quelque chose qui va être facile pour eux et ils vont passer à travers. Après, ils vont lire plein d'autres choses, mais c'est un livre qui est doux. C'est aussi super bien écrit. Il y a quand même un vrai plaisir littéraire à lire Martin Page.

Victor Duran-Le Peuch : J'espère aussi qu'il y a des gens qui passent dans le podcast d'une façon ou d'une autre et qui ne sont pas forcément encore convaincus. Ça fait un bon endroit pour commencer. Je mettrai toutes les références dans la description de l'épisode. Merci beaucoup, Élise Desaulniers, d'être venue dans le podcast.

Élise Desaulniers : Merci, c'était super agréable.

Victor Duran-Le Peuch : « Il y a probablement plus de souffrances dans un verre de lait ou une glace que dans un steak ». Élise Desaulniers l'a dit dans l'épisode et c'est en fait une citation du juriste et philosophe Gary Francione. J'espère que cet épisode vous a plu. Si c'est le cas, n'hésitez pas à l'envoyer à vos amis qui ne savent peut-être pas encore ce qui se passe dans l'industrie du lait. La semaine prochaine, pas de lecture, mais un épisode spécial. Suivez le podcast sur Twitter ou Instagram pour savoir dans la semaine de quoi il sera question. Un grand merci à Ixabel, chantactiviste égalitariste, pour avoir accepté que je diffuse sa chanson dans le podcast. D'ailleurs, je vous laisse avec la fin de cette chanson qui s'intitule « Ce que vaut une vie ». À la semaine prochaine, bisous !

Chanson : Pour toute tendresse, voilà que l’on me presse, sur les êtres affolés dont on m’a séparé, leurs chairs tremblantes nos sueurs étouffantes quelles caresses charmantes ce voyage en camion sans air ni décor s’est avéré si long que plusieurs en sont morts

Mais alors comme c’est bon quand enfin on nous sort pour la prochaine attraction Qu’on ait deux pattes ou quatre qu’on soit vache ou primate on veut bien soufrir un peu pour vivre un peu plus vieux

Sortir du labyrinthe orienté par les plaintes l’odeur de la terreur suspendu par une patte au manège en hauteur soudain ma tête éclate c’est la fin du bonheur

Dans la charcutuerie vous vous payez ma tête alors vos bouches rient vous faites des théories car le bien-être des bêtes vous fait bien du souci

Crédits

Comme un poisson dans l'eau est un podcast créé et animé par Victor Duran-Le Peuch. Charte graphique : Ivan Ocaña Générique : Synthwave Vibe par Meydän Musique : Ce que veau une vie par Yxzabel / Tender remains par Myuu

6 livres cités :

Le défi végane 21 jours Élise Desaulniers

Le défi végane 21 jours - Élise Desaulniers

ISBN : 9782842215156 · publié le 13 avril 2017

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S'initier au véganisme pendant 21 jours : un vrai défi, déjà relevé par des milliers de personnes dans le monde. Elise Desaulniers les a accompagnées et les a aidées à réussir leur cheminement. Ce livre est le fruit de son expérience : conseils pratiques, nutrition, éthique et déboulonnages des mythes les plus tenaces. II a obtenu un gourmand cookbook award.

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Je Mange Avec Ma Tête · Les Conséquences de Nos Choix Alimentaires Élise Desaulniers

Je Mange Avec Ma Tête - Élise Desaulniers

« Manger avec sa tête, affirme Élise Desaulniers, c'est choisir ce qu'on met dans son assiette, en sachant que les choix qu'on fait ont des conséquences: sur notre santé d'abord, mais aussi sur l'environnement, sur la vie des animaux, ...

ISBN : 9782760410978 · publié le 1 octobre 2011

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Planète Vegane Ophélie Véron

Planète Vegane - Ophélie Véron

C'est aussi une alternative de société, qui vise tout autant à respecter la vie animale qu'à préserver la planète et les générations futures. loin des idées reçues, Ophélie Véron nous explique le pourquoi et le comment du ...

ISBN : 9782501126250 · publié le 24 mai 2017

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La bible du véganisme par l'autrice référence en France Etre végane, c'est vivre en essayant de ne pas exploiter les animaux. Au-delà d'une simple alimentation, le véganisme est un mode de vie, un engagement philosophique et un mouvement politique qui nous invite à changer notre regard sur le monde et sur notre quotidien. C'est aussi une alternative de société, qui vise tout autant à respecter la vie animale qu'à préserver la planète et les générations futures. loin des idées reçues, Ophélie Véron nous explique le pourquoi et le comment du véganisme. Dans cet ouvrage riche en informations, réflexion et découvertes, elle analyse les origines et idées fortes du mouvement et offre tous les outils nécessaires pour s'engager en faveur d'un monde plus juste et solidaire. Que vous soyez omnivore, végé en devenir ou végane de la première heure, l'autrice répond à toutes vos questions et déconstruit les mythes les plus tenaces !

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Les filles en série · des Barbies aux Pussy Riot Martine Delvaux

Les filles en série - Martine Delvaux

Ils se meuvent en synchronie. Ils ne se distinguent que par le détail d'un vêtement, d'une courbe, d'une teinte de cheveux. Les filles en série sont mises à leur place et créent l'illusion de la perfection.

ISBN : 9782890914674 · publié le 1 janvier 1970

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Tables Véganes · Menus D'ici et D'ailleurs Élise Desaulniers, Patricia Martin

Tables Véganes - Élise Desaulniers, Patricia Martin

Une dizaine de personnalités québécoises issues de différentes communautés culturelles, dont un chef (Anto Vargas, du Toqué !), des propriétaires de café (Nicola Vardaro et Isabelle Deschamps, du Café Dei Campi) et une agricultrice ...

ISBN : 9782895687481 · publié le 1 avril 2019

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Une dizaine de personnalités québécoises issues de différentes communautés culturelles, dont un chef (Anto Vargas, du Toqué!), des propriétaires de café (Nicola Vardaro et Isabelle Deschamps, du Café Dei Campi) et une agricultrice maraîchère (MariEve Savaria), ont été invitées à partager leurs recettes véganes préférées.

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Vache à Lait · Dix Mythes de L'industrie Laitière Élise Desaulniers

Vache à Lait - Élise Desaulniers

Serions-nous les vaches à lait de l'industrie? Élise Desaulniers précise, raconte, dénonce. Elle souligne que le lait que nous buvons n'est pas celui que nous pensons boire, et encore moins celui que nous buvions il y a quarante ans.

ISBN : 9782760411043 · publié le 1 mars 2013

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4 autres références :