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Épisode #12 "Le véganisme, c'est un truc de gonzesses" - Nora Bouazzouni

20 juin 2022
Comme un poisson dans l’eau - #12 "Le véganisme, c'est un truc de gonzesses" - Nora Bouazzouni
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Description

On explore dans cet épisode avec la journaliste et autrice Nora Bouazzouni la façon dont le genre influence notre alimentation, et en particulier notre consommation d'animaux. Dans la plupart des pays du monde, il y a beaucoup plus de femmes qui sont végétariennes ou véganes que d’hommes. Et je voulais comprendre pourquoi ! Est-ce que c’est juste une question de pratiques différenciées selon le genre, la norme masculine dominante consistant à aimer le sport, les voitures et… manger des animaux ? Ou est-ce qu’il y a quelque chose de plus profond derrière cela ? Pourquoi est-ce que la viande paraît si essentielle à la masculinité, même à la virilité ? Est-ce que le fait que les femmes sont plus sensibles en général au sort des animaux ne s’explique pas par la perception entre leur oppression commune avec les animaux autres qu’humains, ou peut-être par des liens intimes entre la domination spéciste et la domination patriarcale ? Ce sont autant de questions que j'ai soulevées dans la discussion avec mon invitée, dont les réponses sont passionnantes et très éclairantes. Je vous laisse découvrir, bonne écoute !

Transcription

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Victor Duran-Le Peuch : Salut, moi c'est Victor Duran-Le Peuch, et vous écoutez un entretien de Comme un poisson dans l'eau, le podcast contre le spécisme. Vous l'avez peut-être remarqué, dans Comme un poisson dans l'eau, mes invités mettent souvent le doigt sur des liens ou des interdépendances entre l'oppression spéciste et d'autres systèmes d'oppression. Si vous n'êtes pas convaincu de la pertinence de parler du spécisme comme une oppression, et non seulement comme une discrimination, je vous renvoie vers l'épisode 9. Dans les intersections qu'on a vues, il y a par exemple, dans l'épisode 4, le fait que beaucoup d'insultes sont simultanément spécistes et sexistes ou racistes, ou encore, dans l'épisode 6, que le lait a été utilisé comme symbole du suprémacisme blanc. Dans la plupart des pays, à ma connaissance, il y a beaucoup plus de femmes qui sont végétariennes ou véganes que d'hommes, et je voulais comprendre pourquoi. Est-ce que c'est juste une question de pratiques différenciées selon le genre, du type, la norme masculine c'est d'aimer le sport, les voitures, et manger des animaux ? Ou est-ce qu'il y a quelque chose de plus profond derrière ça ? Pourquoi est-ce que la viande paraît si essentielle à la masculinité, même à la virilité ? Est-ce que le fait que les femmes sont plus sensibles en général au sort des animaux autres qu'humains ne s'explique pas par la perception de leur oppression commune avec eux, ou peut-être par des liens intimes entre la domination spéciste et la domination patriarcale ? C'est pour mieux me dépêtrer dans toutes ces questions que j'ai invité Nora Bouazzouni dans le podcast. Nora Bouazzouni est journaliste, et elle écrit en particulier sur les questions d'alimentation, de genre, et sur les séries, le cinéma, et la télévision. Elle est autrice et traductrice, podcasteuse, et créatrice de webséries, entre autres activités. Et elle a écrit « Faiminisme, Quand le sexisme passe à table », en 2017, et, en 2021, « Steaksisme, en finir avec le mythe de la végé et du viandard », tous deux aux éditions Nourriturfu. Bonjour Nora Bouazzouni !

Nora Bouazzouni : Bonjour Victor !

Victor Duran-Le Peuch : Ça me fait super plaisir de vous recevoir dans Comme un poisson dans l'eau. Alors pour ouvrir cet épisode, j'aimerais partir d'une première question. C'est une phrase que vous dites parfois « on performe le genre par l'alimentation ». Et ça résume parfaitement tout ce que j'aimerais qu'on discute dans cet épisode. Alors déjà, qu'est-ce que ça veut dire performer le genre, et pourquoi ça passe aussi par l'alimentation ?

Nora Bouazzouni : Le genre, c'est pas quelque chose de figé. C'est-à-dire que le genre, qui soit par exemple féminin ou masculin, c'est pas quelque chose qui s'affiche comme ça. C'est-à-dire qu'on a tous et toutes des notions différentes de ce qu'est un homme, de ce qu'est une femme, et de la manière dont on va, nous, si on s'identifie homme, l'être tous les jours, ou femme, ou une personne qui ne s'identifie ni dans l'un ni dans l'autre. Quand je parle de performer le genre, c'est-à-dire que c'est une notion qui peut avoir l'air figée, le genre. Et puis surtout, c'est pas la même chose d'être un homme ou d'être une femme au XIXe siècle, mettons, dans le Nevada, et au XXIe siècle, à Marseille. Donc on performe le genre parce que, dans nos façons d'écrire, de parler, de nous mouvoir, de rire, de danser, de se vêtir, on met plein de choses, et on met ce qu'on est, ou ce qu'on attend, ou ce à quoi les autres doivent s'attendre, ou bien on s'habille, on se maquille, on parle, on danse, on chante, on rit, d'une manière peut-être aussi attendue par les autres, peut-être pour se protéger par exemple, parce que si on est un homme, et qu'on a, je sais pas, des manières un peu délicates, ben on va se faire moquer, railler, voire frapper, en se faisant traiter d'insultes homophobes. Donc on performe le genre parce que le genre c'est pas quelque chose qui se voit forcément, on va dire. L'alimentation fait partie de ces choses qui reflètent une certaine culture, ou des cultures, des traditions, des croyances, de l'éducation, et le genre. Donc par exemple, dans le bouquin, je dis, quand vous allez à un premier rendez-vous, si vous êtes une femme par exemple, et que vous allez à un rendez-vous avec un homme, il y a plein, plein de choses qui se passent dans notre tête quand on est dans un rendez-vous, et on se dit comment il faut que je me comporte pour que l'autre en face ait envie de rester, de me connaître davantage, peut-être d'entamer une relation amoureuse ensemble, et donc on va performer le genre féminin tel qu'il est, ou tel qu'on pense qu'il est attendu par l'autre.

Victor Duran-Le Peuch : Selon les normes sociales.

Nora Bouazzouni : Voilà, en vigueur, à l'époque, et dans le lieu dans lequel on est. Donc on est au restaurant, on est une femme avec un homme en face, qu'on ne connaît pas, on a juste parlé un peu sur Tinder, et on va se dire, une femme c'est censé être quelqu'un de délicat, qui ne parle pas trop fort, qui ne mange pas trop, qui ne mange pas trop gras, qui rigole aux blagues des hommes, et qui, par exemple, ne va pas commander un truc du style une énorme pièce de boeuf saignante avec des frites et de la mayo. Et manger avec les doigts.

Victor Duran-Le Peuch : Ça, c'est typiquement masculin.

Nora Bouazzouni : Ça, c'est des caractéristiques typiquement masculines, de manger beaucoup, de manger de la viande saignante, avec des choses grasses et de la mayo. Mais, par exemple, si on est un homme, on va se dire, mais paradoxalement, on va se dire, si je commande juste une petite salade sans sauce, il va se dire, je suis chiante, je ne suis pas rigolote, ce n'est pas rigolo de bouffer avec moi. Pareil, si on est un homme, on va se dire, un homme c'est censé quoi ? C'est censé connaître des choses. C'est censé connaître la carte des vins, par exemple. C'est censé boire du whisky. Alors là, moi, si je n'aime pas l'alcool et que je n'y connais rien en vin, je ne vais pas passer pour quoi ? Je ne vais pas passer pour un vrai mec. Donc, voilà, c'est ce qu'on attend de nous, en fait. Donc, on performe différemment. On ne va pas prendre la même chose au restaurant en premier rendez-vous qu'avec nos meilleurs amis ou notre famille. C'est-à-dire qu'on attend des femmes, on se dit, c'est normal que les femmes montrent de l'empathie, par exemple, puisqu'on est socialisées, sociabilisées, comme ça, depuis le plus jeune âge, alors que les hommes, on leur apprend à être forts, à ne pas montrer d'émotion, à ne pas montrer d'empathie, parce que ce serait un signe de faiblesse, un signe féminin, puisqu'on le rappelle, la dichotomie de genre, la binarité, elle n'est pas seulement une binarité, justement, c'est une hiérarchisation des genres. C'est « féminin inférieur à masculin ». Donc, ce n'est pas juste une question de catégorisation, c'est une question d'infériorisation du genre féminin et de tout ce qui peut y être accolé, donc de toutes les caractéristiques, la douceur, l'empathie, etc. Chez les hommes, voilà, on va se dire, un homme vegan, n'importe quoi, les petits animaux, les petits animaux, t'es un bonhomme ou t'es pas un bonhomme ? Un bonhomme, ça mange de la viande. Voilà, point barre, c'est un chasseur.

Victor Duran-Le Peuch : Et oui, le sous-titre de votre livre, c'est de steaksisme, donc, c'est le mythe de la végé et du viandard. Donc, en fait, typiquement, la viande ou aussi les féculents qui viennent souvent avec, c'est l'homme, c'est le masculin, c'est le mec, et les légumes ou l'alimentation végétale, c'est du côté féminin, c'est, voilà, c'est les femmes.

Nora Bouazzouni : Oui, alors, moi, justement, je me suis, mon deuxième livre, donc, Steaksisme, qui s'appelle, donc, « En finir avec le mythe de la végé et du viandard », je me suis posé la question, justement, des stéréotypes de genre et de ce qu'on y met. Et donc, je me suis dit, bon, alors, et on le voit dans les études que j'ai lues par la suite en écrivant le livre, mais, quand on met devant quelqu'un un steak frites et une salade de quinoa et des légumes rôtis, et qu'on demande à ces gens de mettre l'étiquette féminin et l'étiquette masculin sur ses plats, eh bien, il est évident, dans, dans, moi, pensais-je, et dans les faits, eh bien, bien sûr, c'est évident, ça se révèle vrai, eh bien, les gens vont mettre l'étiquette masculin sur le steak frites et l'étiquette féminin sur le quinoa et les légumes rôtis. Bon. Donc, ça, on le retrouve, et je me suis dit, bon, mais alors, est-ce que, vraiment, les femmes et les hommes mangent différemment ? La réponse est oui, je me suis attaquée à l'étude INCA3, qui est une étude menée sur une cohorte, ça veut dire sur un très grand nombre de personnes en France, sur les consommations individuelles. Et on se rend compte que, oui, les hommes mangent deux fois plus de viande rouge que les femmes. Après, c'est pas tout, mais on parlera du reste après. Par exemple, les hommes mangent plus gras que les femmes, plus sucré. Les femmes vont manger peut-être plus de compote, plus de soupe.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord. Donc, de ce que vous semblez dire, c'est à la fois sur la forme, donc, c'est-à-dire les portions, la quantité, et à la fois sur les contenus, le type d'aliments qu'on mange. Donc, par exemple, est-ce que c'est plus ou moins gras, plus ou moins riche ? Et c'est intéressant, parce que j'ai l'impression qu'il y a aussi des hiérarchies qui se forment au sein même des aliments qui viennent des animaux. Donc, par exemple, il y a une hiérarchisation genrée entre viande rouge et les viandes blanches qui sont dites maigres. C'est ça ? Les femmes mangent plus de viande blanche ou de poisson, en fait.

Nora Bouazzouni : Oui. Dans la viande, il y a effectivement un régime genré, déjà, rien que dans la viande, parce que la viande, déjà, c'est l'aliment le plus chargé symboliquement, si on parle de genre, mais si on parle de tout le reste, de la domination de l'humain sur la nature. Mais pas que de l'humain, surtout de l'homme, avec le petit h. Il y a l'idée que la viande rouge, puisqu'il y a encore une trace de l'animalité, donc le sang, il va y avoir une trace de la prédation de l'être humain, a fortiori de l'homme, sur l'animal, sur la nature. Et c'est des viandes qui, symboliquement, sont chargées en termes de, justement, on va absorber la vie de l'animal mort, on va absorber une puissance, d’ essence de vie, quelque chose qui va nous rendre plus fort et plus forte. On a l'idée aussi que viande rouge égale beaucoup de protéines, donc égale beaucoup de muscles, donc égale beaucoup de force, donc virilité, donc homme. Sur les viandes dites maigres, la volaille, par exemple, justement, c'est des viandes qui sont pas très grasses, très peu grasses, il y a moins de protéines que sur une viande rouge. C'est des viandes qui vont être privilégiées dans le cadre d'un régime amincissant, amaigrissant. On le voit dans tous les magazines féminins qui disent qu'il faut manger des tranches de blanc de dinde à tous les repas, etc... Mais c'est vrai qu'il y a moins de traces d'animalité, donc on a des viandes qui sont vendues sous blister qui ne sont presque plus un animal, en fait, où on a vraiment gommé toute trace de l'animal. Les viandes en tranches, dinde, poulet, etc., il n'y a aucune trace d'animal, il n'y a pas des plumes, il n'y a pas de sang, on a à peine parfois quelques petites choses qui rappellent l'animal mort, mais sinon, c'est vraiment une espèce de produit qui n'a plus du tout l'air d'être un produit issu d'un animal. Donc il y a cette idée-là que c'est moins chargé symboliquement en termes de absorber la vie de l'être vivant qui est devant soi sur son sandwich.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, donc ça veut dire que d'après vous, le fait que la viande soit associée à la masculinité et à la virilité, c'est parce que les hommes assumeraient davantage la domination sur les animaux et donc ils voient comme positivement le fait de manger de la viande qui ressemble encore à de l'animal qui a été tué, alors que les femmes cherchent plutôt à s'en distancier, c'est ça ?

Nora Bouazzouni : Alors je ne sais pas si elles cherchent à s'en distancier, en tout cas, on a favorisé ça. C'est-à-dire qu'une fois qu'on a constaté qu'effectivement les alimentations étaient différenciées selon qu'on est un homme ou une femme, et ça commence dès l'adolescence et là c'est ça qui est intéressant, c'est quand on est enfant, on mange la même chose qu'on soit fille ou garçon, mais dès l'adolescence ça y est, on diverge, et les régimes de genre qui vont perdurer pendant l'âge adulte sont déjà là. Donc sur la viande, ouais, c'est valorisant pour un homme de manger un gros steak parce qu'il y a cette idée qu'il reviendrait à une espèce de nature profonde du chasseur, voilà, c'est pour ça que le barbecue, c'est un tel délire chez les hommes, c'est un truc qu'on a l'impression que ça y est, il y a un truc de rite initiatique avec le feu plus la viande, que c'est des mecs qui s'occupent du barbecue, mais tu sais on l'a tous et toutes entendu, je pense les parents, les proches de sa famille dire « ah mais non, tu vois, ça c'est notre côté homme préhistorique retour à l'état de nature, quoi ».

Victor Duran-Le Peuch : Et puis c'est toujours les hommes au barbecue, les femmes à la salade.

Nora Bouazzouni : Voilà, les femmes elles s'occupent d'autre chose, elles sont dans la cuisine, elles font de la salade, elles vont voir si les boissons sont fraîches, etc. Les hommes, il y a une espèce de rite initiatique de un vrai mec sait faire du feu, sait faire un barbecue. Alors, sait faire du feu, on n’est pas dans la nature en train d'essayer de faire du feu on est quand même dans un jardin avec un barbecue et toutes les aides possibles pour faire du feu et on est pas en train de tuer un animal à main nue pour le manger, on a acheté son steak chez le boucher ou au supermarché. Mais effectivement, il y a cette idée que ce serait profondément ancré dans le cerveau des hommes que d'aimer la viande et que d'essayer à tout prix de renouer avec un soi-disant ancêtre des cavernes ou j'en sais rien, qui était chasseur, quoi. Alors que chez les femmes, bah justement cette idée de chasse, de prédation, elle est pas valorisée et elle est pas du tout accolée au féminin donc les femmes le barbeuc, enfin moi j'ai jamais vu une femme dire non non non c'est mon... (c'est mon pré carré) Oui voila, c'est le pré carré masculin le barbecue, et qu'on a l'impression que si c'est pas eux qui le font bah ils sont un peu moins mecs, quoi.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais. Alors vous contre cette idée que ce serait un truc qui serait naturel, psychologique, complètement, je sais pas, universel ancré dans la psyché masculine, en fait vous dites clairement que c'est une certaine construction de la masculinité qui crée ça, donc est-ce que ça veut dire que pour en finir avec le mythe de la végé et du viandard, ça implique de déconstruire ou de mettre fin ou de dénoncer un certain type de masculinité ?

Nora Bouazzouni : Alors il faut comprendre que les goûts alimentaires ne sont effectivement pas innés. Aucun. On le sait, c'est scientifique c'est pas moi qui le dit, c'est toutes les études qu'on a pu faire sur le sujet les femmes ne naissent pas avec un goût prononcé pour le gaspacho et les hommes ne naissent pas avec un goût prononcé pour le whisky et le steak saignant. Bon. Tout est question, effectivement de construction culturelle. Ça dépend, comme je le disais au début, des traditions familiales, de la zone géographique où on est éduqué où on grandit. Ça dépend de ce que nos parents aimaient, parce que les parents ils cuisinent pas des choses qu'ils aiment pas. Moi par exemple, ma mère a toujours détesté la betterave, du coup moi la betterave j'en avais pas cuisiné avant très très tard. Donc j'avais pas de goût dès l'enfance pour la betterave je trouvais pas ça bon, quoi. Si ma mère en avait cuisiné avant, j'aurais peut-être aimé ça plus tôt. Donc c'est une question aussi de religion par exemple, c'est une question, voilà, c'est plein de choses. Et c'est aussi une question de genre, de construction de genre. Donc, ce qu'on appelle « masculinité hégémonique » c'est-à-dire que c'est pas la manière universelle d'être un homme la plus acceptée, c'est celle à une époque donnée dans un lieu donné, voilà. C'est aujourd'hui, être un homme à Paris, à Marseille, à Lyon, à Lille donc en France en 2022, la manière la plus acceptable d'être un homme, c'est quoi ? Voilà. C'est ça « hégémonique », ça veut pas dire que c'est la meilleure manière ni que tous les hommes le sont c'est que c'est la plus acceptable.

Victor Duran-Le Peuch : « Masculinité hégémonique ». C'est un terme forgé par la sociologue Raewyn Connell qui est une des fondatrices du champ de recherche des études sur la masculinité, ou plutôt les masculinités car c'est un des apports majeurs de son oeuvre. Elle insiste dans ses analyses sur le fait que la masculinité n'est pas seulement une question d'identité personnelle. C'est surtout une certaine organisation de la société qui distribue des places et des rôles qui s'inscrivent dans des relations sociales et des rapports de pouvoir. Et donc, quand on dit que les hommes sont placés en position de dominants par le système patriarcal, et bien Raewyn Connell dit, en fait c'est un peu plus complexe que ça. Car ce sont certains hommes, et pas tous uniformément qui tirent un privilège de la masculinité. C'est ce qu'elle appelle la masculinité hégémonique. Elle explique qu'il y a aussi des rapports de pouvoir entre les hommes, et donc qu'il y a plusieurs types de masculinité et notamment ce qu'elle désigne comme la masculinité subordonnée ou subalterne. Typiquement les hommes homosexuels ou efféminés mais ce peut être les hommes racisés etc. De toute façon tout ça n'est pas universel et figé dans le marbre. C'est toujours dépendant du contexte précis, d'un certain lieu et d'une certaine époque. Comme le dit clairement Nora Bouazzouni.

Nora Bouazzouni : Aujourd'hui, la manière la plus acceptable d'être un homme, en France, en 2022, mais on peut dire pareil de l'Europe, des Etats-Unis, etc... C'est déjà être hétérosexuel et ne pas montrer de signes « féminins ». Je mets des guillemets évidemment avec « féminin », donc c'est pas trop d'empathie, pas trop de sentiments pas beaucoup de communication montrer quand même un appétit certain pour une certaine forme de violence, en tout cas de domination sur l'autre, etc... de prédation. Donc encore une fois, on dit, c'est pas la majorité des hommes qui sont comme ça ni qui s'y retrouvent, mais c'est comme ça qu'il faudrait être un homme. Sur la viande, c'est ça. Un homme est censé aimer la viande, manger de la viande et ne pas se poser la question de la manière dont cet animal mort est arrivé dans son assiette ou sur le grill de son barbecue. Donc oui, complètement, comme c'est une construction, il faut la déconstruire. Et il faut les idées qu'on a, qu'on a collées au genre et qu'on a tous et toutes dans la tête, qu'on le veuille ou non, qu'on cherche à s'en débarrasser ou non, c'est très difficile parce que c'est culturel, c'est social, c'est familial, c'est religieux, c'est tout ce que tu veux. Donc ouais, c'est une certaine forme de masculinité qu'il faut combattre, oui, alors c'est pas que la masculinité c'est une certaine forme de société en fait parce que plus que masculinité, c'est la société c'est les sociétés, parce que comme je le dis les masculinités elles sont plurielles la masculinité hégémonique en France aujourd'hui c'est peut-être pas la même que, je sais pas, dans une tribu amazonienne. Voilà, donc l'hégémonie c'est un lieu donné, une époque donnée. Donc oui c'est arrêter d'être persuadé que un homme ne devrait pas montrer d'empathie pour les animaux par exemple. Mais on le voit, j'en parle dans le livre, dans les stratégies déployées par les hommes végétariens ou véganes, quand on leur demande de justifier leur véganisme, leur végétarisme. Les femmes quand on leur demande de le justifier déjà on leur demande moins de le justifier parce que ça semble effectivement plus naturel pour une femme de ne plus manger d'animaux puisqu'on se dit, bah oui, c'est normal c'est une femme elle a plus d'empathie, etc... Bon. Mais on va se dire ah bah super ah là là les pauvres animaux ouin ouin ouin t'es trop sensible...

Victor Duran-Le Peuch : Oui c'est quand même dévalorisé d'avoir plus d'empathie pour les animaux.

Nora Bouazzouni : De toute façon on est pas dans une société qui valorise l'empathie malheureusement. On serait dans une société tellement plus belle et heureuse et joyeuse et équitable et égalitaire si on avait plus d'empathie, déjà, voilà. Mais on est dans une société qui valorise l'individualisme, qui valorise pas du tout l'altruisme et l'empathie. Mais quand un homme est végétarien ou végane il y a un stigma beaucoup plus fort et les hommes qui le sont et qui doivent se justifier, plusieurs mettent en place une stratégie pour être le moins dévirilisé possible, qui consiste à ne pas parler d'empathie mais plutôt invoquer des arguments rationnels puisque le masculin est le rationnel et le féminin est le sensible.

Victor Duran-Le Peuch : Ah donc ils reconvoquent des attributs masculins pour justifier le véganisme ou le végétarisme.

Nora Bouazzouni : Exactement. Donc ces hommes là vont dire bah c'est une question philosophique, parce que j'ai lu beaucoup de livres, puis j'ai découvert Peter Singer voilà donc c'est effectivement reconvoquer toujours des stéréotypes de genre, reconvoquer reconfigurer leur masculinité mais pour qu'elle reste quand même acceptable, et le moins stigmatisante possible. Alors que si un homme dit « bah moi c'est parce que je trouve ça atroce, est-ce que t'as regardé les vidéos L214, c'est abominable, la façon dont sont traités les animaux, moi je peux pas accepter ça, et puis l'élevage intensif regarde ce que ça fait à la planète et aux humains », on va se dire oh la la ça va, ouin ouin quoi. (Sensiblerie) Donc voilà, sensiblerie, on va tout de suite lui dire « mais t'es un homme, t'es pas censé être aussi sensible », donc ces hommes là vont mentir aussi en disant « c'est philosophique parce que voilà je reste rationnel », quoi. J'ai fait un choix qui n'est pas un choix acceptable pour un homme mais je le justifie par quelque chose qui est acceptable, qui est d'ordre du rationnel.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord. Vous avez dit donc qu'en fait, il y a une intersection entre la domination du suprémacisme humain, du spécisme et enfin vous l'avez pas dit avec ces termes mais je pense que vous pouvez vous y reconnaître à peu près j'espère et la domination patriarcale. Et j'aimerais comprendre comment, concrètement, qu'est-ce que ça apporte socialement comme bénéfice ? Parce que c'est pas seulement le fait de pouvoir manger plus d'aliments, un certain type d'aliments, la viande rouge par rapport aux femmes pour lesquelles c'est moins valorisé. C'est aussi des gains symboliques qui sont associés à la viande mais j'aimerais bien comprendre en quoi ça peut être un coût en fait d'y renoncer concrètement, socialement.

Nora Bouazzouni : De renoncer à la viande ?

Victor Duran-Le Peuch : Oui, quand on est un homme.

Nora Bouazzouni : Ben on renonce au fond à son privilège de dominant. On renonce à ça, on renonce à cette idée justement que les hommes sont des prédateurs mais qu'il y a une prédation sur tout. Parce que dans la hiérarchie des êtres vivants, l'homme est au-dessus des femmes qui sont elles-mêmes au-dessus des animaux, qui eux sont au-dessus des plantes. Donc l'homme avec un petit h domine tout le reste, tout le vivant en fait, qui serait là à sa disposition, qui serait des biens meubles dont il peut jouir comme bon lui semble. Et donc jouir de leur corps, jouir du corps des animaux, jouir du corps des femmes. Donc que ce soit avec les femmes par la propriété, les hommes, le mariage c'est ça par exemple, et de toute façon le patriarcat c'est ça, c'est jouir du corps des femmes. Exploiter la force de travail féminine, exploiter le corps des femmes, jouir de cette propriété là pour son plaisir et pour briller socialement et s'élever socialement. Mais c'est pareil que les animaux, donc les femmes sont considérées pas beaucoup mieux que les animaux. Et ça c'est Carol J. Adams qui en parle très bien dans son bouquin « La politique sexuelle de la viande » qui, quand je l'ai lu m'a fait l'effet vraiment d'une bombe dans la tête, où je me suis dit waouh mais en fait j'avais pas remarqué que c'était à ce point là que l'on objectifiait les femmes comme les animaux. Qu'en fait il n'y avait pas beaucoup de différences dans la manière dont on vendait les deux, le mythe patriarcal et le mythe spéciste c'est la même chose, quoi. Et on voit, donc, c'est la commodification des femmes suit celle des animaux, (et l'une sert l'autre) on peut acheter les femmes... Voilà, et ça sert les hommes. Donc renoncer à la viande, comme renoncer à l'hétérosexualité, c'est un danger pour la société, puisque ça trouble l'ordre patriarcal qui voudrait que les hommes jouissent des femmes et des animaux.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais. C'est passionnant, on voit comment les privilèges masculins s'entrecroisent avec les privilèges qui sont associés à l'humanité. Et c'est vrai que, comme vous le dites, le plus évident c'est celui, le privilège exorbitant qu'a l'humanité, mais en fait plus les hommes que les femmes, c'est celui de s'approprier les corps d'individus d'autres espèces et d'ingérer leur chair. Je vois pas plus grand privilège qu'on puisse avoir.

Nora Bouazzouni : C'est ça, c'est la mise à mort. Qu'elle soit sociale, qu'elle soit physique, littérale, de l'autre, pour sa consommation ou non. Mais en tout cas, c'est la mise à mort. Comme un genre de droit divin. Naturellement, on a ce droit là l'humain aurait le droit de mettre à mort l'animal et consommer sa chair. Mais c'est plutôt l'homme du coup, mais c'est dans des textes sacrés, c'est dans la Bible, c'est pas écrit « la femme » c'est écrit « l'homme », c'est dans des textes philosophiques, qui remontent à l'antiquité, où vraiment il y a cette idée de prédation, et de la nature est à disposition de l'homme, avec un petit h. Toute la nature, tout ce qui s'y trouve.

Victor Duran-Le Peuch : Ce que vous dites, ça me fait beaucoup penser à un livre qui est sorti l'année dernière de l'historienne Lucile Peytavin qui s'appelle « Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes ». Et en fait, j'ai l'impression que la domination et la violence envers les animaux, c'est en fait juste un coût de plus de la virilité pour la société non ?

Nora Bouazzouni : Est-ce que c'est que la virilité, je ne sais pas. Puisque il y a quand même assez peu de personnes végétariennes et véganes dans le monde, ça reste quand même quelque chose d'assez marginal. Mais quand on en parle, il y a une résistance extrêmement violente des hommes face à ces régimes là. Extrêmement violente ! Dans mon premier livre, et je crois que je le mentionne rapidement dans le deuxième, pour le rappeler, il y a quelques années l'OMS a émis des recommandations en disant « la surconsommation de viande rouge, surtout transformée, donc la charcuterie par exemple, est cancérogène ». Bon elle n'est pas que cancérogène, elle donne lieu à des maladies type cancer colorectal, type diabète, etc, qui touchent, on le sait partout dans le monde, surtout les hommes. C'est leur régime alimentaire qui fait ça. Quand l'OMS a émis ces recommandations là, en France, moi je me rappelle j'avais une dépêche AFP qui était sortie avec, voilà, et il y a eu une réaction immédiate de l'association des maires de France, M A I R E S, évidemment qui est constituée pour beaucoup, pour la majorité d'hommes, qui est montée au créneau en hurlant, vraiment, en disant mais en gros « c'est la France qu'on assassine ! Comment ça faut plus manger de viande ? Comment ça la viande est cancérogène ? Mais allez retourner manger vos graines ! » Donc vraiment d'une virulence incroyable. Mais ces hommes là au fond ce qu'ils pensent, c'est pas la France qu'on assassine, c'est la masculinité pour eux qu'on assassine. C'est la même idée qu'il y a quand on a, tout ce que j'appelle Jean-Michel-on-peut-plus-rien-dire, on peut plus faire des blagues racistes, on peut plus mettre la main au cul des femmes, on peut plus rouler à plus de 80.

Victor Duran-Le Peuch : On peut même plus manger de viande !

Nora Bouazzouni : « On peut plus fumer dans les lieux publics ! Ils vont nous enlever la viande ! » Alors déjà le « ils », j’adore ce truc, ce « ils » vont nous enlever la viande. Ça existe pas, il y a pas de « ils » ! Donc c'est cette idée, qu'il y aurait eu un âge d'or, où faire tout ça c'était ok, que être raciste, c'était ok, qu'être un agresseur sexuel, c'était ok. Et ils mettent tout ça sur le même plan que fumer dans les lieux publics, ce qui est un problème de santé publique, quand même, que de rouler vite, ce qui est un problème de santé publique, et que manger de la viande qui est un problème de santé publique. Mais ils mettent ça sur le même plan, et tout ça c'est quoi le point commun ? C'est la valorisation des comportements excessifs, et de la mise en danger et du risque. Et tous ces comportements sont valorisés chez qui ? Chez les hommes. Trop manger, agresser les femmes, se moquer des autres, être dans la position de domination, rouler vite, se mettre en danger, boire trop d'alcool etc... C'est valorisé chez les hommes, il y a un super épisode des couilles sur la table là dessus, sur les voitures par exemple, et sur les drogues et sur l'alcool, sur ces comportements à risque qui font partie du rite initiatique masculin et des comportements valorisés chez les hommes. Donc au fond ces hommes là qui ont l'air d'être terrifiés parce qu'il y a 3% de la population qui est végétarienne, et qui sont terrifiés parce qu'on leur dit que manger trop de saucisson c'est pas bon pour la santé, et qu'il faudrait peut-être manger un peu moins de viande et plus de légumineuses, et qui montent au créneau en éructant, c'est les mêmes qui vont, en fait, on a l'impression qu'on les tue, qu'on tue quelque chose en eux, qu'ils peuvent pas vivre autrement, être homme autrement qu'en ayant des comportements qui nuisent aux autres et à eux-mêmes. Et c'est terrible, et c'est ça au fond.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, c'est ça en fait ce que dit l'historienne dans « Le coût de la virilité » c'est qu'il y a une sur-représentation des hommes comme principaux auteurs des violences envers les autres et des comportements à risque envers eux-mêmes.

Nora Bouazzouni : Et c'est une espèce de réaction qui vient souvent quand vous êtes féministe et que vous vous retrouvez face à des hommes qui sont vraiment très anti-féministes et Valérie Rey-Robert en parle dans un de ses livres elle en parle dans lequel ? je ne sais plus, le deuxième je crois. Pas « La culture du viol » mais l'autre, j'ai oublié le nom, elle parle de ça dans son deuxième livre, où elle dit que l'argument massue de certains hommes c'est « oui, mais regarde le nombre d'hommes sur-représentés dans les accidents du travail », et « les hommes se suicident plus » comme si c'était la faute des femmes. C'est la faute du patriarcat. Mais c'est un espèce d'argument massue, de, « bah non, alors oui les hommes tabassent plus les femmes mais on se suicide plus », mais quel rapport ?! Donc ça nuit à tout le monde. C'est des comportements, c'est une société qui nuit à tout le monde, les hommes et les femmes y compris.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, vous dites dans votre livre « Les hommes meurent prématurément en fait aussi à cause de ces normes de genre » Parce que quand on leur dit qu'ils peuvent sûrement mourir du cancer s'ils ne réduisent pas leur consommation de viande, bah ils préfèrent rester des « vrais hommes », avec tous les guillemets qu'il faut mettre, que de réduire pour vivre plus longtemps.

Nora Bouazzouni : Vous vous rendez compte ?! Il y a ce passage dans mon livre où je parle, c'est des suédois, une étude suédoise où des hommes on leur dit « vous êtes malade, si vous voulez vivre plus longtemps, bah il va falloir réduire la viande » et ces hommes là dans cette étude disent « non, je préfère perdre ...», je sais plus combien, c'est j'ai oublié, je l'ai écrit il y a un an, plus d’un an et demi, mais qui disent « je préfère renoncer à, je sais plus, 3 ans de vie, plutôt que de réduire ma consommation de viande ». Incroyable !

Victor Duran-Le Peuch : Oui, ça veut dire que leur masculinité vaut 3 ans de vie !

Nora Bouazzouni : C'est incroyable ! Et c'est pas que la masculinité, parce que la masculinité c'est quelque chose pour soi peut être, mais c'est ce qu'on montre aux autres. Vous vous rendez compte ?! Ils préfèrent vivre 3 ans de moins, et ils ont peut être une famille, des proches etc, plutôt que de manger un peu moins de viande. On leur demande pas d'arrêter la viande en plus dans la question. Et c'est des hommes qui sont malades, qui ont des cancers et voilà. Donc oui, renoncer renoncer à la viande c'est vu comme un renoncement à la virilité et donc à sa toute puissance masculine. Ou c'est renoncer à son privilège, au privilège que la nature nous aurait soit disant donné quand on est un homme, quoi. Donc on devient une femme.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais. Bah, à contre courant de ça, il y a des tentatives par des activistes masculins vegan de s'opposer à cette association de la viande à la virilité, et qui essaye donc au contraire de performer la masculinité par le véganisme. Et on parle de « hegans » en anglais, vous en parlez dans votre livre, c'est par exemple des chaines youtube de bodybuilders vegans, ou plus largement de vegans qui font de la musculation, ou du sport. Quel est votre avis là dessus ?

Nora Bouazzouni : Pour moi, c'est pareil, c'est très ambivalent. C'est à dire que, comme vous le dites, ils essayent de reconfigurer leur masculinité pour qu'elle reste hégémonique. Donc pour n’être pas perçus comme des sous-hommes, c'est à dire des femmes. Donc on va surperformer la masculinité hégémonique, et une certaine forme de virilisme, pour justifier un régime qui ne serait pas à l'origine, culturellement, un régime approprié et acceptable pour les hommes. Donc on va être encore plus viril, donc on va être hyper musclé, hyper sportif pour prouver qu'on peut être en même temps entre guillemets « un vrai mec » et vegan. Bon le problème il est que, l'ambivalence elle est que, il faut réussir à convaincre les hommes de manger moins de viande.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, parce qu'en fait tout ce qu'on a dit jusque là, ça se traduit concrètement dans le fait qu'il y a beaucoup plus de femmes qui sont végétariennes que d'hommes.

Nora Bouazzouni : Oui, alors ça c'est dans le monde entier, c'est vraiment flagrant. Il y a beaucoup beaucoup plus. Mais moi, mon problème c'est que là on ne fait qu'insister et perpétuer un mythe viril avec les hegans. Par exemple, il y a des bouquins de mecs américains végétariens qui s'appelle « Meat is for Pussies » donc en gros et je le dis avec les guillemets c'est « la viande, c'est pour les tapettes »

Victor Duran-Le Peuch : ou pour les gonzesses

Nora Bouazzouni : Voilà, pour les gonzesses. Donc ce titre, il est là pour dire « bah voilà, vous les mecs, les viandards, vous êtes ridicules en fait ». Donc on inverse la charge, de culpabilité ou de ridicule, en disant mais en fait c'est vous les... Mais bon, du coup, on met quoi comme mot, « pussies » ?

Victor Duran-Le Peuch : Ouais, le risque c'est de revéhiculer les hiérarchies sexistes, et du coup implicitement aussi, homophobes.

Nora Bouazzouni : ... dire qu'on les traite de femmes. Donc on a rien changé !

Victor Duran-Le Peuch : Donc en fait on revalorise pas du tout le féminin.

Nora Bouazzouni : Voilà. En fait le problème c'est qu'on valorise les hommes en dévalorisant les femmes. C'est pour ça que j'insistais sur la hiérarchie. C'est à dire que, c'est ça le patriarcat et la domination masculine. C'est que on est incapables de valoriser les hommes sans dévaloriser les femmes. Ça se fait comme ça, c'est comme ça que ça c'est fait depuis toujours le système patriarcal. Donc on dévalorise tout ce qui est féminin pour valoriser ce qui est masculin. Donc le problème avec ces mecs là c'est que ils vont associer un vocabulaire viriliste, sexiste du coup, misogyne, guerrier etc... Donc ils vont perpétuer les codes d'un virilisme mortifère, d'une masculinité hégémonique mortifère et violente et dominante, en essayant d'inciter les hommes à l'être moins avec les animaux. Donc ça ne fonctionne pas. On ne déconstruit rien en fait. Mais à la fois on se dit, voilà, comment on vend ces régimes là aux hommes ?

Victor Duran-Le Peuch : Et une autre manifestation, en fait, du poids du patriarcat dans la domination des animaux, c'est aussi que même si donc il y a beaucoup plus de végétariennes que de végétariens, il y a encore beaucoup plus de femmes qui cuisinent dans les foyers parce que la répartition des tâches domestiques est toujours aussi inégalitaire. Et donc en fait on attend d'elles qu'elles cuisinent de la viande pour les hommes du foyer. (C'est ça) « Une femme ça doit nourrir son homme », avec tous les guillemets qu'il faut mettre !

Nora Bouazzouni : Bah, bien sûr. Et puis, donc en France ça ne bouge pas. Dans les couples hétérosexuels, dans les ménages hétérosexuels, a fortiori s'il y a des enfants, c'est pire. Mais en tout cas, c'est la cuisine du quotidien, c'est à plus de 90% les femmes qui en sont chargées. Et on a quand même des hommes qui se plaignent que madame fait toujours la même chose, qui se plaignent si ils n'ont pas la viande à tous les repas, qui se plaignent parce que ... Donc les femmes sont les garantes, non seulement de nourrir tout le monde, mais de nourrir correctement tout le monde.

Victor Duran-Le Peuch : Et selon leurs goûts ! et pas ses propres goûts à elle.

Nora Bouazzouni : et en plus, donc ça c'était la troisième chose. On nourrit les gens, on nourrit la famille, on nourrit son homme et ses enfants. On les nourrit de la meilleure manière possible, donc on doit penser aussi à la santé. Et on doit nourrir ensuite selon les goûts de chacun et chacune, mais selon les impératifs santé aussi. C'est à dire que bah voilà ... (bonjour les injonctions contradictoires !) Complètement ! Mais surtout les mecs là, ils mangent n'importe comment toute leur vie, bah ils se retrouvent avec du diabète, du cholestérol, de l'hypertension, des cancers etc, des problèmes cardiaques et tout... Donc les femmes doivent s'adapter, adapter leur cuisine aux problèmes de santé de leurs mecs, donc leur faire manger des choses moins grasses, moins de beurre, moins de sel et tout... Ils râlent, sur leur nana, qui ne fait que s'adapter et se casser la tête et qui se prend en plus des remarques du genre « Ah, j'en ai ras le bol des trucs vapeur là ! ça me saoule ton truc vapeur ! bah oui mais le médecin a dit ... je m'en fous ! fais moi un steak avec du beurre là ! »

Victor Duran-Le Peuch : Mais vous parlez d'ailleurs dans le livre d'une publicité de Charal où un homme mord dans sa femme et la voix off dit « Depuis quand n'avez-vous pas donné à manger de la viande à votre mari ? ». Incroyable !

Nora Bouazzouni : Elle est immonde cette pub. En plus elle est glaçante. C’est à dire que Charal, ils ont plein de pubs qui sont censées être drôles. Il y en a une, il y a un homme qui mord son chien dans l'ascenseur parce qu'il a trop envie de manger de la viande. Mais c'est tourné de façon comique. Je ne trouve pas ça drôle, mais bon, voilà. Mais celle où il mord sa femme en pleine nuit, elle est glaçante. Il fait nuit, dans une chambre où dorment donc, cette femme et cet homme. Et d'un coup elle hurle, elle crie, elle allume la lumière, elle est en nuisette, elle regarde sa cuisse je crois et elle dit « Mais qu’est-ce que t’as fait ? Mais qu’est-ce que tu m’as fait ? ça va pas bien ? ». Et lui, il est sous la couverture, tout penaud. Pour moi, il y a un côté viol, clairement, il y a quelque chose de l'ordre de la violence sexuelle là-dedans. C’est physique. Tu as l'impression que le mec a essayé de la violer pendant son sommeil. Et donc, il y a un silence de plomb pendant cette pub. Elle lui parle et il est incapable de répondre. Et elle est choquée, elle est ultra choquée. Il vient d'essayer de la bouffer quand même. Et à la fin, effectivement, il y a ce slogan qui tombe « depuis quand n’avez vous pas donné de viande à votre mari ? ».

Victor Duran-Le Peuch : Et là, le rapprochement est explicite entre le corps de la femme et le corps des animaux. C'est rare que ce soit aussi flagrant en fait, qu'ils le disent de façon si claire.

Nora Bouazzouni : Absolument. Triple message : premier message, les hommes ont besoin de viande. Deuxième message, c'est les femmes qui doivent cuisiner pour leur homme et pas les mecs qui peuvent se faire un steak. Troisième message, bah du coup, bouffe ta femme ! Ta femme c'est de la viande en fait.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, puis quatrième message, on a le droit de manger des animaux, c'est légitime quoi. Tout ça repose sur le spécisme en fait.

Nora Bouazzouni : Bon ça on n'en parle même pas, parce que ça voilà, c'est Charal donc bon évidemment c'est présupposé. Mais cette pub elle est atroce. On a tout là dedans quoi.

Victor Duran-Le Peuch : Bah justement, ça nous fait une transition parfaite pour parler de la publicité. Vous y consacrez une bonne partie du livre. J'ai l'impression que vous avez fait beaucoup d'efforts, mais qu'en fait il n'y a pas besoin d'aller très loin pour trouver des publicités absolument choquantes. Et vous dites, la publicité véhicule en fait et renforce des idéologies. Donc en l'occurrence à la fois l'idéologie carniste, c'est de ce dont on avait parlé avec Axelle Playoust-Braure qui a développé le mot de « publispécisme » pour désigner ça. Et aussi donc l'idéologie sexiste. Et dans « Steaksisme » vous rappelez, ou plutôt en fait, vous nous apprenez parce que moi je ne savais pas, qu'il y a vraiment eu une stratégie marketing volontaire de ségrégation genrée des publicités. Donc certaines pubs destinées aux hommes et d'autres aux femmes. Et vous expliquez que ça a un but de segmenter le marché.

Nora Bouazzouni : Oui, pour vendre plus de produits. On segmente, alors, il y a plein d'exemples à donner. Mais moi j'aime bien, j'ai découvert le concept de « contamination genrée » en faisant mes recherches. Donc c'est d'ailleurs, on n'apprend pas forcément ça aux gens qui sont en études de pub. Parce que j'ai eu des étudiantes et étudiants après, et ils m'ont dit « on ne nous a jamais appris ce truc là, c'est fascinant ». La contamination genrée, c'est quand un produit, alimentaire ou non, est tellement connoté féminin, par exemple, que les hommes ne l'achètent plus, et inversement. On va vendre des choses aux hommes qu'on vend déjà aux femmes parce que les hommes en achètent moins. Ou bien on va leur faire une nouvelle gamme « pour les hommes ». Par exemple, le yaourt. Typique. Dans les aliments que je cite beaucoup, il y a le chocolat, le yaourt, les glaces et la viande. Le yaourt, c'est très marrant, parce que alors en France on a un peu moins de segmentation qu'aux Etats-Unis, mais c'est quand même très segmenté. C'est à dire que quand vous pensez yaourt féminin vous voyez Taillefine, Sveltesse. Bon alors, c'est dans le nom, déjà, voilà. C'est des yaourts pour soi-disant perdre du poids ou rester mince. Ça n'existe pas, pour perdre du poids il ne faut pas manger. Donc Sveltesse, Taillefine, donc on est sur un marketing de l'amincissement. Les pots sont blancs ou pastels, du mauve, du rose, du bleu etc... Avec des silhouettes élancées féminines. C'est des yaourts 0% etc... Toute la pub, et le marketing autour de ces yaourts c'est le 0%. En gros, comme je l'ai dit dans mes conférences, les yaourts il n'y a rien dedans. Je montre, en montrant des publicités, que les femmes elles mangent rien, elles mangent des choses vides, elles mangent des choses sans. J'en parle dans le livre, elles mangent « sans », S A N S. Les hommes mangent avec. Donc, sur les yaourts, on a du marketing sur les yaourts SANS, sans matière grasse, sans sucre, et pour les hommes on va avoir des yaourts AVEC, de la protéine par exemple. Donc on va avoir high pro, H I P R O, qui est une marque de yaourts dont je parle dans le livre je crois que c'est Danone qui fait des yaourts. Soit disant, c'est écrit pour les sportifs, mais on sait très bien que c'est pour les hommes. C'est une façon de pas nous dire que c'est pour les hommes. C'est des pots qui sont plus gros qu'un pot de yaourt normal, on va dire standard donc il y en a plus dedans. Et puis c'est une typo, la police elle est vraiment genre épaisse, grasse et tout. Et est mis en avant sur le packaging la teneur en protéine. Donc voilà les hommes mangent AVEC, les femmes mangent SANS.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, une autre façon dont vous le résumez, vous dites « les hommes doivent prendre du muscle et les femmes perdre du poids »

Nora Bouazzouni : C'est ça. On segmente le marché pour vendre des produits aux femmes et aux hommes pour qu'ils et elles, et on revient au début de l'épisode, performent le genre de manière acceptable, et soient entre guillemets des « vraies » femmes ou des « vrais » hommes

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, donc en fait l'enjeu derrière c'est que la nourriture devient un moyen de remplir les rôles de genre.

Nora Bouazzouni : Et de les perpétuer, la pub fait ça.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais bin du coup on voit super bien ce que c'est la segmentation du marché et du coup la ségrégation genrée en fait de tout ça par la publicité. Alors, on en vient à une question qui m'a passionné. C'est qu'en fait, c'est pas que le patriarcat qui est en jeu, c'est le système hétéro-patriarcal, vous l'avez déjà suggéré. C'est que du coup, vu que la viande est codée comme virile, et l'alimentation végétale comme féminine, et bah les hommes végétariens ou véganes sont parfois, ou même souvent, perçus comme efféminés et donc ils sortent de la masculinité hégémonique de la masculinité dominante.

Nora Bouazzouni : Ouais, et donc c'est un danger. Un homme cisgenre qui deviendrait végétarien ou végane, comme je le disais tout à l'heure il y a une présomption d'homosexualité puisqu'il y a une efféminisation ou un efféminage pour citer un mot que j'ai appris hier d'une chercheuse française qui parle d'efféminage quand on prend des codes de l'autre genre par exemple. Il y aurait donc une présomption d'homosexualité parce qu'il y a un comportement qui est codé comme féminin. Et donc ces hommes là deviendraient donc des sous-hommes, donc des femmes. Et les homosexuels sont perçus comme des sous-hommes, comme des femmes.

Victor Duran-Le Peuch : Oui par opposition à la masculinité dominante, c'est des formes de masculinité subalterne.

Nora Bouazzouni : Voilà, qui serait une masculinité hétérosexuelle, qui serait dominante etc... et acceptable.

Victor Duran-Le Peuch : Parce qu'être un homme, c'est aimer et coucher avec des femmes, dans la définition dominante

Nora Bouazzouni :

Ouais et pas que. C'est à dire être le dominant, avoir une vie sexuelle, des relations sexuelles dominantes. Et donc forcément ça met en danger plein de choses quand on arrête de manger de la viande. Tout comme quand on n'est pas hétérosexuel, il y a une espèce de danger pour la société. Alors je le dis en souriant à moitié, mais c'est comme ça que le perçoivent d'autres personnes. Mais elle le disent avec d'autres mots, ça s'appelle l'homophobie. Mais moi je le dis, parce que c'est un vrai danger, mais dans le sens on subvertit quelque chose, et c'est trop cool, c'est génial. Mais on subvertit un ordre établi, on pervertit un ordre établi. Mais il aime pas ça l'ordre établi. Il faut que tout le monde soit dans le même moule, que tout le monde soit hétéro, que tout le monde mange de la viande. Donc il y a un vrai danger au fond, mais ce danger, je le dis de manière positive, on remet en question la société, on la met en danger, on met en danger des gens qui se pensaient à l'abri, dans leurs privilèges et leurs dominations. Mais ça reste profondément évidemment homophobe d'aller se dire un mec est végétarien donc forcément... Et donc dans mon livre je parle d'un témoignage d'homme qui, au delà de justifier de manière rationnelle leur passage à l'alimentation végétale, le rejet de l'alimentation carniste et du dogme carniste ou leur adhésion à une philosophie antispéciste et des pratiques antispécistes, à qui on va dire, si c'est des mecs hétéros « c'est forcément ta meuf qui t'a mis dans ce truc là ». Voilà comme si en fait déjà ces mecs avaient une faiblesse naturelle.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais, c'est forcément un truc de femme derrière.

Nora Bouazzouni : Voilà, il y a forcément une femme derrière. Et ces hommes là seraient faibles, puisqu'ils se sont laissés convaincre ou manipuler par leur meuf végétarienne ou végane.

Victor Duran-Le Peuch : Et dans « Faiminisme », vous citez Marti Kheel qui est donc une écoféministe et antispéciste qui trace un parallèle entre la dissidence à l'hétérosexualité et la dissidence au carnisme.

Nora Bouazzouni : Oui c'est passionnant. Et puis elle dit cette phrase, qui me fait beaucoup rire, où elle dit, tout comme on demande aux lesbiennes « mais comment vous faites du sexe ? », on demande aux végétariens « mais vous mangez quoi du coup ? ». Je trouve ça hyper drôle, quoi ! Il y a cette espèce de cadre dogmatique, hétéronormatif, où en fait tout passe par la pénétration. C'est pénétration-centré, la sexualité. Et donc on ne sait même pas, on essaie pas de comprendre comment on peut faire du sexe sans pénétration. En tout cas sans une bite. Et donc comme il y a ce dogme carniste on a « Mais comment on peut manger sans manger de viande ? Vous mangez quoi, de l'herbe ? ha ha ha ». Ça c'est drôle quoi, sa phrase elle m'a fait beaucoup rire. C'est pour ça que je l'avais recopé dans le premier livre, parce qu'elle est vraiment formidable. Ça montre les limites en fait. Les limites de ces cadres là, de cette façon de faire société, de ces dogmes en fait. Ça montre vraiment les limites, les gens sont dans un espèce de cadre de pensée tellement limitant et limité et contraint que on ne sait même pas comment faire autrement quoi. Donc ça je dis que c'est un danger aussi, c'est tellement un système qu'on remet en question quand on devient vegan ou végétarien ou végétarienne ou et a fortiori quand on commence à s'intéresser à l'antispécisme et au spécisme, comme quand on commence à devenir féministe ou quand on commence à lire des choses etc... On fait « wow, ah ouais mais attends, tout est lié », Là, c'est pareil, donc on est un danger en fait. On remet en question l'ordre établi, c'est dangereux.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais, et puis vous dites, par opposition du coup à cette contrainte qui représente soit le carnisme soit l'hétérosexualité, en fait vous parlez d'émancipation alimentaire de même qu'on parle d'émancipation sexuelle. Et ça vient complètement à rebours du discours qu'on entend toujours « ah, mais on fait ce qu'on veut ! laissez nous notre liberté de manger ce qu'on aime ! » Voilà typiquement, l'appel à l'autonomie, à l'indépendance, chez les hommes. Bon alors, déjà, même pas besoin de rappeler que, bah, ça tient pas deux secondes, parce qu'en fait on demande pas aux animaux leur avis pour les torturer et les tuer. Donc bon déjà, bonjour la liberté ! Mais en fait je crois qu'il y a vraiment un phénomène qu'on sous-estime, c'est qu'il y a beaucoup de femmes qui se forcent à cuisiner de la viande en fait et à en manger quand elles sont en couple hétérosexuel et, ou alors qu'elles ont des enfants. J'ai une amie qui écoute le podcast et qui m'a dit récemment « bah, tu sais je mangeais de la viande parce que je vivais avec mon copain, et depuis qu'on est plus ensemble, bah, j'en achète plus en fait ».

Nora Bouazzouni : Et voilà ! Et oui ! Bah ouais.

Victor Duran-Le Peuch : Et c'est pas la seule que j'ai entendu me dire ça. J'ai l'impression que c'est un peu récurrent.

Nora Bouazzouni : Mais c'est absolument pas étonnant. C'est triste, c'est dommage, mais c'est pas étonnant. Alors, l'inverse n'existe pas. Vous avez pas, un homme en couple hétérosexuel qui va donc... Moi par exemple je suis en couple hétérosexuel. Moi, je mange plus de viande depuis longtemps mais je mange encore des animaux de la mer. Mon compagnon, lui, est omnivore mais à la maison il n'y a pas de viande. Bon et c'est moi qui cuisine. En gros, il fait sa part, donc il va faire mon commis, il va couper les légumes et les trucs et tout. Mais c'est moi qui décide des repas. Et donc je cuisine quasiment, je cuisine à 99% végétarien. Mais si un jour on se sépare, mais il est évident, mais parfaitement évident, qu'il ne cuisinera pas végétarien. Bon, déjà, il ne cuisine pas. Mais, quand il se fera à manger en tout cas, il va y avoir de la viande quasiment à tous les repas. Donc il y a l'idée d'émancipation... Mais c'est vrai, ce que vous disiez tout à l'heure est hyper intéressant, sur les personnes qui vous disent « on peut plus rien faire, on peut pas faire ce qu'on veut » mais qui en même temps sont des gens qui vont aller hurler en disant « ah la la, les bobos en vélo ! ah la la les gens qui mangent pas de viande ! ah la la les homosexuels ! ». Voilà donc leur liberté vaut plus que celle des autres. Mais du coup c'est pas leur liberté qu’ils prônent, c'est une espèce de cadre de pensée et de cadre social.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais, vous ce que vous dites en fait, c'est qu'arrêter de manger des animaux, c'est pas une privation de liberté. C'est au contraire retrouver de la liberté face aux normes sociales qui nous ont été imposées.

Nora Bouazzouni : Bah oui ! Sortir du dogme. C'est pas bon les dogmes. Pour personne en fait. Pas pour les animaux, ni pour les femmes, ni pour les enfants, ni pour les hommes. C’est bon pour personne en fait.

Victor Duran-Le Peuch : Une autre chose dont vous parlez dans « Faiminisme », et qui rapproche une fois de plus le spécisme du système hétéropatriarcal, c'est la panique morale. C'est la panique morale que le végétarisme ou le végétalisme suscite. Vous écrivez, là je vous cite, « féminisme et antispécisme ont en commun la volonté de déconstruire un système millénaire et institutionnalisé et s'inscrivent en cela dans une lutte contre des schémas normatifs or toute déviance à la norme homosexualité, végétarisme, polyamour, monoparentalité, est considérée comme une menace pour la société ».

Nora Bouazzouni : C'est ça ! Et on l'a vu, par exemple, avec le mariage pour tous, où on a hurlé à la débandade, le chaos, la fin de la civilisation... Mais ces paniques, elles reviennent tout le temps ces paniques morales. C'est vraiment ça. Donc c'est, les lesbiennes, mais c'est Alice Coffin qui le dit très bien, mais pas qu'elle, les lesbiennes font peur. Les lesbiennes, c'est le plus grand danger. Elle le dit, c'est un danger pour les hommes, les lesbiennes. Mais comme... Mais on se demande, en fait, quand on voit ces paniques morales liées à l’alimentation par exemple, à la viande...

Victor Duran-Le Peuch : Oui, parce que, pareil, le véganisme c'est la fin de l'humanité.

Nora Bouazzouni : Bah, ouais ! c'est genre oh la la ! Alors, déjà, il y a l'idée qui sort de nulle part que les personnes qui ne mangent plus d'animaux veulent forcer les gens qui en mangent, violemment, à ne plus en manger. Donc encore une fois quand on regarde le nombre de gens, on estime... En fait, dans le monde, il y a vraiment très peu de végés. C'est genre de l'ordre de 3-4%. Et en général il y a deux fois plus de femmes que d'hommes dans ces pourcentages là, dans ces stats là. Mais, donc, déjà, c'est quand même hyper minoritaire. Donc c'est quand même des gens qui ont peur d'une minorité de la population. C'est drôle ! La majorité qui a peur de la minorité, ça rappelle plein de choses.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais, bah vous, vous dites que c'est justement parce que c'est hyper subversif en fait. C'est comme être gay, c'est comme être lesbienne, c'est comme être trans, ça subvertit l'ordre social.

Nora Bouazzouni : C'est ça !

Victor Duran-Le Peuch : Ça leur fout la trouille aux dominants en fait !

Nora Bouazzouni : Exactement. Voilà, ça leur fait peur. C'est là parce qu'ils comprennent pas, parce que c'est des gens qui, en fait, en face, ne remettent rien en question. Et pour eux, les animaux de toute façon, c'est même pas, y'a même pas une question. On parle de dissonance cognitive. C'est des gens qui vont avoir peut-être des animaux chez eux. Ils vont avoir un chien, un chat, un perroquet, un hamster, j’en sais rien. Et ils vont faire la différence. Ils vont se dire « bah non, mais mon chat je le mangerais jamais, t'es folle ou quoi ! ». Mais, bah, dissonance cognitive.

Victor Duran-Le Peuch : Mais, du coup, une fois de plus la panique morale contre les antispécistes ou les véganes se combine avec une panique morale masculiniste en fait. Les gens qui crient à la crise de la masculinité, alors c'est quelque chose qui n'existe pas, mais ça peut se combiner aussi contre, enfin ça peut être mobilisé, et utilisé contre le véganisme ou le végétarisme. Quand on entend « c'est les femmes qui chercheraient à castrer les hommes en les privant de viande ».

Nora Bouazzouni : Tout à fait ! En fait, tout est lié là dedans. C'est parce que la crise de la masculinité, ce mythe là revient tout le temps et Francis Dupuis-Déri en parle. Depuis le moyen âge, en fait, donc c'est pas du tout nouveau. Zemmour il a rien inventé. Les masculinistes canadiens, n’ont rien inventé. Donc c'est depuis toujours qu'il y a cette idée. Et alors ça va être, soit les homosexuels, soit la faute des homosexuels, soit ça va être la faute des véganes, soit ça va être la faute des populations qui sont pas blanches. Par exemple les tenants de la colonisation au moment de l'indépendance de plusieurs pays, notamment je pense à l'Algérie, ont dit « bah, ça y est c'est la crise de la masculinité blanche ». En gros, les blancs sont pas des vrais hommes, la preuve : on n’a même pas réussi à dompter ces sauvages. Parce que justement il y a une mise en concurrence des différentes masculinités. Ça on l'a pas dit, parce qu'on parle de masculinité depuis tout à l'heure, mais il y a une mise en concurrence des masculinités blanches et des masculinités non blanches, qui ont servi justement à justifier la colonisation. Et avec la viande aussi. C'est là où on peut aussi lier les deux. Je cite Carol J. Adams dans « Steaksisme », où elle parle de la propagande carniste qui a servi notamment en Grande-Bretagne à justifier la colonisation des pays asiatiques. En disant « nous les bouffeurs de boeuf, c'est nous qui faisons avancer la société et la civilisation, c'est nous qui sommes à la base du progrès contrairement à ces bouffeurs de riz », et c'est pas mes mots évidemment, c'est pas moi qui dis ça, c'est vraiment « rice-eaters », « beef-eaters », donc c'est pas du tout mes mots. Donc c'est « nous les bouffeurs de boeuf versus les bouffeurs de riz, regardez-moi ces bouffeurs de riz, ces hommes qui sont plus petits que nous, ils sont chétifs, et surtout ils mangent du soja et du riz ! hahaha ! c'est pas des vrais mecs ». Donc, on justifie de les coloniser, d'exploiter leurs ressources, de violer les femmes. On s'accapare ce pays. On s'accapare les humains qui sont dessus, parce que la viande est au-dessus de tout. Donc le dogme carniste est profondément lié à un projet d'exploitation et de domination. Voilà, donc il y a une propagande liée à ça. Pendant longtemps, il y a le mythe de la protéine, qui a fait que la viande est devenue l'alpha et l'oméga en terme de santé. Je ne l'ai pas dit dans le livre, mais il y a eu une période où il y a plein de médecins qui étaient persuadés que la viande, qui le vendaient comme ça, que la viande guérissait le bégaiement par exemple. C'était le mythe de la protéine. La viande, c’était « ça guérit tout ! et sans viande, on meurt. Sans viande on ne peut pas vivre ». Donc ça vient de loin. C'est la science, qui à un moment donné, c'est les médecins qui ont propagé ces idées là, ce dogme là, cette propagande protéinique. Mais oui, avec ça, c'est vraiment, c'est profondément lié. La masculinité occidentale et hégémonique est liée à la consommation de viande, donc on peut, donc ça donnerait le droit de coloniser les hommes qui ont un régime moins orienté sur la viande, même si il y a de la viande partout. Et on voit bien aujourd'hui, les hommes asiatiques, et il y a un épisode très intéressant de « Kiffe Ta Race », de Grace Ly et Rokhaya Diallo, sur le sujet, sur la masculinité chez les hommes asiatiques. Sur, justement, le stigma de « ce sont des sous-hommes ». Et donc on le voit bien sur cette question de l'alimentation, notamment du soja. Voilà, j'en parle dans le livre, il y a cette insulte qu'on retrouve sur les forums masculinistes en ligne, qui est « soy-boy », « garçon-soja ». Donc ça décrit à la fois les hommes végés ou vegan ou antispécistes, mais aussi les féministes. Donc on voit bien que c'est lié, par exemple, là. Mais comme, ils sont aussi, les hommes féministes, en tout cas les pro-féministes, ou qui en parlent dans des forums, vont être appelés les « cuck », ce qui veut dire cocu. Donc on voit bien que là aussi, il y a un truc qui touche à l'hétérosexualité, la domination de l'autre. Donc ce serait des hommes qui ne seraient pas assez forts pour garder leur meuf en fait. Donc tout est lié.

Victor Duran-Le Peuch : Il y a vraiment énormément de parallèles entre tout ça, c'est assez incroyable. Alors pour aller vers la conclusion de cet épisode, est-ce que, du coup, vu qu'il y a une sorte de connexion d'interdépendance entre les différentes formes de domination, est-ce qu'on peut espérer une convergence ou une alliance plus forte dans les années à venir entre, par exemple, les mouvements qui luttent contre le système hétéropatriarcal, donc en particulier le féminisme ou les mouvements LGBTQIA+, et les mouvements qui luttent contre le spécisme ?

Nora Bouazzouni : Je ne suis pas sûre, honnêtement. Disons que l'antispécisme ça reste quand même très marginal, comme je le disais. Il y a déjà très peu de convergence entre féministes et milieux LGBTQIA+. Déjà, on n'a pas non plus une porosité énorme, on aimerait bien y croire, c'est pas forcément le cas. Sur les questions de race, c'est pire. Sur les questions de classe, c'est pire. Sur les questions écolo, c'est pire. Sur les questions antispécistes, voilà, ça reste très marginal. Il faut, on a le concept de l'écoféminisme qui a ressurgi il y a quelques années. J'en parlais dans mon premier livre d'ailleurs. Qui là a ressurgi, sur justement, une convergence des luttes féministes et écolo. Et dans ces luttes écolo, on peut y mettre effectivement les luttes antispécistes. Mais disons que les féministes dans les pays occidentaux, notamment les féministes blanches, ont beaucoup de travail à faire sur les questions justement d'intersection avec la classe par exemple, et avec la race, même avec le genre aussi. Il y a quand même du taf en fait. Le féminisme en France ça reste un féminisme, on va dire majoritaire, blanc et bourgeois, et hétérosexuel. On voit bien, les personnes qui vendent le plus d'ouvrages là-dessus, c'est des personnes qui appartiennent à cette catégorie là. Et ça n'est pas dire que leur travail ne vaut rien. J'admire le travail de plein de ces femmes là, c'est pas un jugement de valeur. C'est un constat. Le constat c'est que c'est des femmes blanches hétérosexuelles et bourgeoises qui vont vendre le plus de bouquins et donc qui vont être le plus visibles etc. Donc il y a quand même un problème de représentativité dans les milieux féministes en France, en tout cas ceux qui sont médiatisés aussi. Il y a un problème, c'est comme plein de choses... Mais après, il y a des problèmes aussi dans les milieux écolo, par exemple, dans les milieux antispécistes. Des témoignages de violences au sein même de ces milieux. Des témoignages de violences des hommes contre les femmes, de violences de personnes blanches contre les personnes racisées, des personnes hétéro contre des personnes homo. Donc il y a aussi des problèmes au sein de ces milieux là. Il y a des problèmes au sein des milieux féministes aussi évidemment, il y a du racisme, il y a du classisme, il y a de l'homophobie, la transphobie. J'ai l'impression que, en fait, je suis pas sûre qu'on ait, moi, ça c'est mon avis perso, je suis pas sûre qu'on ait besoin... Il faut qu'il y ait une convergence, c'est sûr, mais il reste encore trop de privilèges entre les mains d'une certaine partie de la population pour qu'il y ait une vraie convergence au fond, parce que chacun-chacune trouve ses intérêts, et en fait, même dans les milieux féministes, il y en a plein qui sont pas prêts à renoncer à leurs privilèges quoi. Donc, de là à parler d'antispécisme, on en est loin à mon avis, très, très loin. Mais après, j'ai l'impression que les milieux LGBTQIA+ plus sont plus avancés sur le sujet. Parce qu’il y a une obligation d'inclusivité. Par exemple, quand on fait un événement queer, il y a un principe d'inclusivité. Donc moi, je sais que dans les événements où j'ai été invité qui étaient des événements LGBTQIA+ ou qui étaient des événements écoféministes, bah, il y avait une offre, la bouffe c'était végé ou végane, déjà, par défaut. Par défaut, il n'y a pas de viande, pour plein de raisons, mais parce que, au moins, c'est plus inclusif, quoi, déjà, de base. Si on enlève la viande, déjà, voilà, il n'y a pas de problème. Donc il y a une sensibilité, justement à inclure, en tout cas à pas exclure.

Victor Duran-Le Peuch : Alors pour finir Nora Bouazzouni, est-ce que vous pourriez nous donner trois recommandations ?

Nora Bouazzouni : Alors, la première recommandation et je sais que ça commence à dater, ça fait un an qu'il est sorti cet épisode, mais c'est le podcast « Vénus s'épilait-elle la chatte ? ». Et c'est l'épisode sur Picasso, et j'y ai repensé parce qu'il y avait un article dans Libération je crois il y a quelques jours, sur le musée Picasso qui commence à un peu se dire que le récit fait autour du génie Picasso et ses muses et tout... il fallait peut-être commencer à y réfléchir. Puisque, dans l'épisode... Et puis, il y a une énorme exposition Picasso qui va être organisée en 2023, je ne sais plus où aux Etats-Unis... Et qui je pense aux Etats-Unis, qui va faire beaucoup parler d'elle apparemment, parce qu'il y a notamment l'humoriste Anna Gatsby dont le spectacle « Nanette » est formidable.

Victor Duran-Le Peuch : Qui déteste, qui tape sur Picasso tout ce qu'elle peut !

Nora Bouazzouni : Complètement. Et sur le génie des hommes, des hommes violents et violeurs. Et qui fait partie, qui est une des femmes qui participent à l’organisation de l'exposition. Ça promet d'être sympa ! Et en fait, ce podcast qui dure un peu plus d'une heure, cet épisode-là, il explique comment on a construit le mythe Picasso, d'un homme génial, qui était un pédocriminel, un homme violent, un homme violeur, un homme qui mettait sous emprise les femmes de sa vie, qui les a empêchées pour certaines de continuer à faire leur art et qui les a détruites en fait, et qui a détruit pas que les femmes, qui a détruit sa propre famille, qui a détruit les gens autour de lui. Et donc dans le podcast il y a une historienne de l'art qui a écrit un livre « Picasso, le Minotaure », qui dit au tout début de l'épisode « Quand j'ai commencé à écrire ce livre, j'étais fan de Picasso » et elle dit « Maintenant, je peux plus le voir, il est abject, c'est une personne abominable ». Et au fond, la question, c'est tout ce mythe, et c'est ce dont parle Anna Gatsby, qui d'ailleurs est citée dans le podcast, dans l'épisode, il y a l'extrait où elle parle de Picasso : c'est quoi le concept du génie ? C'est un concept très masculin. Et de l’artiste visionnaire, et génial etc... Et donc, comme on dit aujourd'hui, en séparant l'homme de l'artiste. Et Anna Gatsby, quand elle parle de Picasso, dans son spectacle, elle le met sur le même rang que Polanski¸ que Cosby je crois... Et donc voilà, comment est-ce que ces hommes auraient donc une espèce de nature quasi divine, droit divin de faire, ils sont au-dessus des lois en fait, ils font ce qu'ils veulent au nom de l'art. Voilà, qu'au nom de l'art on excuse tout, on leur permet tout, de violer des petites filles, de frapper des femmes. Et Picasso s'est servi, lui, pendant toute sa carrière, dans ses tableaux, de toutes les femmes qu'il a détruites, il les a peintes. Et lui-même disait « si je pouvais brûler »... Parce qu'il a eu beaucoup de femmes, et de filles, dans sa vie amoureuse et il disait « si je pouvais les brûler à chaque fois qu'elles sont de plus avec moi, ça m'arrange quoi. Pour qu'en gros plus personne ne puisse les avoir ». Et le podcast il est très dur à écouter, parce que voilà, il y a de la pédocriminalité dedans, il y a de l'emprise psychologique, il y a des violences... Et le podcast est très bien fichu. Ça parle vraiment de plein de choses qu'on peut coller sur plein d'autres artistes. Parce que voilà, on prend Picasso pour parler des autres hommes artistes. La deuxième recommandation, c'est le blog de Aude Vidal, qui est aussi autrice, qui a écrit un super bouquin. Elle a écrit des petits livres, hyper accessibles, je crois que c'est chez Syllepse, et ils ne coûtent vraiment pas cher, c'est des petits bouquins. Il y en a un qui s'appelle « La conjuration des égos. Féminisme et individualisme » je crois. Et un qui est sur le revenu universel. Elle a longtemps défendu le revenu universel et elle est vraiment, maintenant, elle se dit que c'est vraiment une mesure extrêmement libérale en fait et capitaliste quoi. Et le bouquin est super intéressant, j'avais jamais lu ça. Et sur les individualismes et le féminisme, c'est très intéressant aussi. Alors, il y a plein de choses qui vont faire grincer des dents. Mais bon en tout cas, il y a plein de choses très intéressantes. Et son blog est super. C'est « mon blog sur l'écologie politique », il s'appelle. Et c'est vraiment... elle fait beaucoup de recensions d'ouvrages, voilà à visée anticapitalistes, c'est des ouvrages qui sont assez radicaux aussi, féministes, qui parlent de santé publique, qui parlent de l'antispécisme aussi, qui parlent de système alimentaire etc... Donc vraiment son blog est assez unique, je trouve. Moi, il y a très longtemps j'avais un blog et je lisais plein, plein de blogs. Et aujourd'hui on n’a plus beaucoup ces paroles là, en fait, de personnes qui sont très intéressantes sur ces sujets là. Et la troisième c'est une série, c'est un peu ma spécialité. Et ça s'appelle « Severance », qui veut dire « rupture » en anglais, « séparation ». Et c'est une série qui passe sur Apple TV Plus. Et c'est une série qui est extrêmement intéressante pour parler d'aliénation au travail. C'est une série où en fait ça se passe dans un futur très proche. C'est un homme qui travaille dans une multinationale, on ne sait pas trop ce qu'ils font d'ailleurs, c'est fait exprès, on est un peu dans le flou. Et tous les employés de cette entreprise ont donné leur accord pour subir une intervention qui s'appelle le « Severance » donc « séparation ». C'est à dire qu'ils ont une petite puce dans le cerveau et quand ils arrivent au travail, ils mettent leurs trucs dans un casier et ils prennent l'ascenseur pour arriver à leur étage, et là, en fait, ils séparent leur moi du travail donc ça s'appelle leur « inee » de leur « outee ». Donc, en fait, quand ils sont au travail, ils ne savent pas ce qu'ils ont mangé la veille le soir, ils ne savent pas s'ils sont mariés, ils ne savent pas où ils habitent, ils ne savent pas s'ils aiment la musique ou le jardinage. En fait ils ne savent rien de leur moi qui n'est pas le moi du travail. Et même chose quand ils sortent. Quand ils reprennent l'ascenseur pour partir, le truc s'active et ils ont oublié ce qu'ils ont fait la journée. Et c'est passionnant sur l'aliénation au travail, le libre arbitre, l’identité, qui on est... C'est vraiment, et alors, pour moi ... C'est une des meilleures séries, une des meilleures séries tout court, de l'histoire des séries, déjà, tout simplement. C'est vraiment, vraiment, vraiment, vraiment excellent. La musique est folle, la cinématographie est dingue, les décors sont incroyables, les acteurs, actrices sont géniaux. C'est assez dur à regarder, il y a un côté comique aussi, mais c'est un vrai drame. La fin est d'une brutalité hallucinante, on est sur son canapé, avec une larme qui coule. Il y a une saison 2 qui arrive. Mais c'est vraiment formidable. Donc je conseille « Severance ».

Victor Duran-Le Peuch : Bah génial ! Je mettrais ces trois recommandations en description, comme toujours. Un grand merci, Nora Bouazzouni d'être venue dans Comme un poisson dans l'eau c'était un vrai plaisir.

Nora Bouazzouni : Merci beaucoup Victor c'était un plaisir partagé.

Victor Duran-Le Peuch : C'est la fin de ce douzième et dernier entretien de la première saison de Comme un poisson dans l'eau. Vous êtes énormément pour un podcast de cette audience à avoir laissé 5 étoiles sur Apple podcast et surtout sur Spotify. Vraiment, merci beaucoup ! Déjà, c'est une reconnaissance de mon travail, et c'est hyper gratifiant. Mais surtout, ça envoie le signal aux plateformes que le podcast est chouette, et donc elles le font découvrir à d'autres personnes. Donc vraiment, merci mille fois. Merci pour vos retours, merci pour votre soutien.

Il reste un épisode lecture la semaine prochaine, en complément de cet entretien. Et je vous prépare un épisode spécial pour le milieu de l'été, comme ça vous ne serez pas complètement délaissés. J'ai trente mille idées de personnes à inviter et de thèmes à traiter pour la prochaine saison, mais n'hésitez pas à m'en proposer davantage sur les réseaux sociaux. Et je vous tiendrai au courant de tout ça. Bisous les poissons !

Crédits

Comme un poisson dans l'eau est un podcast créé et animé par Victor Duran-Le Peuch. Charte graphique : Ivan Ocaña Générique : Synthwave Vibe par Meydän Musique : Days Past par In Closing

5 livres cités :

La Crise De La Masculinité Francis Dupuis-Déri

La Crise De La Masculinité - Francis Dupuis-Déri

L'homme serait-il toujours et partout en crise?Dans ce livre, Francis Dupuis-Déri propose une étonnante enquête sur ce discours de la "crise de la masculinité", dont il retrace l'histoire longue et ses expressions particulières selon ...

ISBN : 9782890915985 · publié le 1 janvier 1970

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Une crise de la masculinité, dit-on, sévit dans nos sociétés trop féminisées. Les hommes souffriraient parce que les femmes et les féministes prennent trop de place. Parmi les symptômes de cette crise, on évoque les difficultés scolaires des garçons, l'incapacité des hommes à draguer, le refus des tribunaux d'accorder la garde des enfants au père en cas de séparation, sans oublier les suicides. Pourtant, l'histoire révèle que la crise de la masculinité aurait commencé dès l'antiquité romaine et qu'elle toucherait aujourd'hui des pays aussi différents que le Canada, les États-Unis et la France, mais aussi l'Inde, Israël, le Japon et la Russie. L'homme serait-il toujours et partout en crise?Dans ce livre, Francis Dupuis-Déri propose une étonnante enquête sur ce discours de la "crise de la masculinité", dont il retrace l'histoire longue et ses expressions particulières selon le contexte et les catégories d'hommes en cause, notamment les "hommes blancs en colère" ainsi que les Africains-Américains et les "jeunes Arabes". Il analyse l'émergence du "Mouvement des hommes" dans les années 1970 et du "Mouvement des droits des pères" dans les années 1990 et leurs échos dans les réseaux chrétiens et néonazis. Il se demande finalement quelle est la signification politique de cette rhétorique, qui a pour effet de susciter la pitié envers les hommes, de justifier les violences masculines contre les femmes et de discréditer le projet de l'égalité entre les sexes.

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Masculinités · Enjeux sociaux de l'hégémonie Raewyn Connell

Masculinités - Raewyn Connell

Il existe de multiples manières d’être ou de devenir un homme. Complexes et contradictoires entre elles, les masculinités ne peuvent être comprises que replacées au sein de rapports de genre – c’est-à-dire de pouvoir.

ISBN : 9782354802462 · publié le 18 mars 2022

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Le coût de la virilité Lucile Peytavin

Le coût de la virilité - Lucile Peytavin

Le Coût de la virilité est son premier essai.

ISBN : 9782380821758 · publié le 12 mai 2023

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En France, les hommes sont responsables de l’écrasante majorité des comportements asociaux : ils représentent 84 % des auteurs d’accidents de la route mortels, 92 % des élèves sanctionnés pour des actes relevant d’atteinte aux biens et aux personnes au collège, 90% des personnes condamnées par la justice, 86 % des mis en cause pour meurtre, 97 % des auteurs de violences sexuelles, etc. La liste semble inépuisable. Elle a surtout un coût. Un coût direct pour l’État, qui dépense chaque année des milliards d’euros en services de police, judiciaires, médicaux et éducatifs pour y faire face. Et un coût indirect pour la société, qui doit répondre aux souffrances physiques et psychologiques des victimes, et subit des pertes de productivité et des destructions de biens. Pourtant, cette réalité est presque toujours passée sous silence. Lucile Peytavin, historienne et membre du Laboratoire de l’égalité, s’interroge sur les raisons de cette surreprésentation des hommes comme principaux auteurs des violences et des comportements à risque, et tente d’estimer le coût financier de l’ensemble de ces préjudices pour l’État et donc pour chaque citoyen.ne. Quel est le coût, en France, en 2020, des conséquences de la virilité érigée en idéologie culturelle dominante ? L’autrice nous pose la question : n’aurions-nous pas tous intérêts à nous comporter... comme les femmes ?! Lucile Peytavin est historienne, spécialiste du travail des femmes dans l’artisanat et le commerce. De 2013 à 2017, elle est chargée des questions d’égalité professionnelle et de dialogue social pour l’U2P, syndicat représentatif des TPE-PME, puis rejoint en 2016 le Laboratoire de l’égalité où elle travaille sur la lutte contre la précarité des femmes. Le Coût de la virilité est son premier essai.

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Le génie lesbien Alice Coffin

Le génie lesbien - Alice Coffin

Combattif et joyeux, Le génie lesbien est un livre sans concession, qui ne manquera pas de susciter le débat.

ISBN : 9782246821786 · publié le 30 septembre 2020

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« Enfant, je m’imaginais en garçon. J’ai depuis réalisé un rêve bien plus grand : je suis lesbienne. Faute de modèles auxquels m’identifier, il m’a fallu beaucoup de temps pour le comprendre. Puis j’ai découvert une histoire, une culture que j’ai embrassées et dans lesquelles j’ai trouvé la force de bouleverser mon quotidien, et le monde. » Journaliste dans un quotidien pendant plusieurs années, la parole d’Alice Coffin, féministe, lesbienne, militante n’a jamais pu se faire entendre, comme le veut la sacrosainte neutralité de la profession. Pourtant, nous dit-elle, celle-ci n’existe pas. Dans cet essai très personnel, Alice Coffin raconte et tente de comprendre pourquoi, soixante-dix ans après la publication du Deuxième sexe, et malgré toutes les révolutions qui l’ont précédé et suivi, le constat énoncé par Simone de Beauvoir, « le neutre, c’est l’homme », est toujours d’actualité. Elle y évoque son activisme au sein du groupe féministe La Barbe, qui vise à « dénoncer le monopole du pouvoir, du prestige et de l’argent par quelques milliers d’hommes blancs. » Elle revient sur l’extension de la PMA pour toutes, sur la libération de la parole des femmes après #Metoo ; interroge aussi la difficulté de « sortir du placard ». Et sans jamais dissocier l’intime du politique, nous permet de mieux comprendre ce qu’être lesbienne aujourd’hui veut dire, en France et dans le monde. Combattif et joyeux, Le génie lesbien est un livre sans concession, qui ne manquera pas de susciter le débat.

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Le sexisme, une affaire d'hommes Valérie REY-ROBERT

Le sexisme, une affaire d'hommes - Valérie REY-ROBERT

Valérie Rey-Robert anime le blog féministe Crêpe Georgette.Elle est l'autrice d'Une culture du viol à la française (Libertalia, 2019).Elle est considérée comme l'une des plus influentes féministes francophones du moment.

ISBN : 9782377291311 · publié le 6 mars 2020

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"On ne naît pas homme, on le devient." C'est en partant de ce postulat que Valérie Rey-Robert décortique la construction du genre, montrant que les codes masculins ont très nettement évolué au cours des siècles. Le Roi Soleil, paragon de puissance, portait perruque, poudre au visage et talons hauts. Il appartient de déviriliser nos sociétés, pour que les hommes cessent de tuer leurs compagnes et leurs enfants, qu'ils cessent de se tuer entre eux, qu'ils cessent de s'automutiler. Ceci ne pourra passer que par un grand travail de prise de conscience et d'éducation.Cette nouvelle synthèse de la bloggeuse féministe assure le parfait complément à son précédent livre.Nulle doute: il y a là matière à débat. Un débat qui engage la salubrité publique et l'équilibre de nos sociétés. Valérie Rey-Robert anime le blog féministe Crêpe Georgette.Elle est l'autrice d'Une culture du viol à la française (Libertalia, 2019).Elle est considérée comme l'une des plus influentes féministes francophones du moment.

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