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Épisode #13 Approche intersectionnelle de l'animalité : entre racisme et spécisme - Kaoutar Harchi (1/2)

8 novembre 2022
Comme un poisson dans l’eau - #13 Approche intersectionnelle de l'animalité : entre racisme et spécisme - Kaoutar Harchi (1/2)
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Description

C'est parti pour la Saison 2 de Comme un poisson dans l'eau ! Je suis ravi d'ouvrir cette nouvelle saison avec un entretien en deux parties avec l'écrivaine et sociologue Kaoutar Harchi. Elle a récemment publié dans la revue Ballast un très bel article intitulé "Les animaux avec nous, nous avec les animaux" dans lequel elle propose une approche intersectionnelle de l'animalité qui appelle à voir que l'animalisation concerne non seulement les autres animaux mais aussi des populations humaines, et est notamment un des ressorts du processus de racialisation négative. Elle défend donc l'idée d'un élargissement de l'antispécisme à la prise en compte des liens de co-production du spécisme avec d'autres formes de domination, liens qui peuvent certainement être envisagées de façon féconde par la perspective intersectionnelle. J'espère que vous trouverez cet entretien passionnant, et que vous aurez autant de plaisir à l'écouter que j'en ai eu à l'enregistrer !

Transcription

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Victor Duran-Le Peuch : Coucou, c'est Victor. Comme un poisson dans l'eau, c'est un podcast indépendant, gratuit à écouter et sans publicité. Mais c'est pas gratuit à produire. Ça me demande de l'argent, mais surtout énormément de travail, qui n'est pas rémunéré. Alors si vous pensez que Comme un poisson dans l'eau apporte quelque chose de positif, et que vous voulez qu'on puisse continuer à déconstruire le spécisme ensemble, j'ai besoin de votre soutien. Vous pouvez aller sur la page UTip du podcast, dont le lien est en description, et établir un don mensuel ou faire un don ponctuel. Effectivement, même un euro, ça me fera très plaisir. Et si vous donnez tous un euro, ou même plus, j'aurai vraiment de quoi faire grandir le podcast. Un immense merci aux tipeuses et tipeurs pour votre soutien. Et sinon, une autre super façon de soutenir le podcast, c'est de le partager sur les réseaux, d'en parler autour de vous, et de laisser des étoiles sur Apple Podcasts et Spotify. Allez, sans plus attendre, c'est parti pour l'épisode.

Kaoutar Harchi : À travers le temps, ce répertoire de l'animalisation a véritablement servi de justificatif, de justification ultime pour séparer l'humanité en deux. Entre ceux qui sont véritablement humains, et ceux qui posent question quant à la plénitude de cette même humanité. C'est que les processus de racialisation, les processus de domination, sont des processus emprunts de cette négativité ontologique de l'animalité. Donc il y a une convergence des regards, à défaut d'une convergence des luttes, que la perspective intersectionnelle peut réaliser.

Victor Duran-Le Peuch : Épisode 13 Salut, moi c'est Victor Durand-Lepeuch, et vous écoutez un entretien de Comme un poisson dans l'eau, le podcast contre le spécisme. Et bah c'est parti pour la saison 2 ! Je vous disais dans le trailer que je souhaitais faire de Comme un poisson dans l'eau, non seulement un espace de vulgarisation, mais aussi de réflexion pour la pensée antispéciste. Et à ce titre, je suis ravi d'ouvrir la saison par un entretien en deux parties avec Kaoutar Harchi. Elle est écrivaine et chercheure enseignante en sociologie à la Haute École de Travail Social de Genève. Elle a écrit sur les questions de féminisme, d'antiracisme, de colonialité et d'intersectionnalité. Il y a un peu plus d'un an sortait son ouvrage « Comme nous existons » aux éditions Actes Sud, qui est une enquête autobiographique, dans laquelle Kaoutar Harchi raconte son cheminement intellectuel et l'éveil de sa conscience politique, notamment face à son expérience du racisme et de la violence sociale en tant que femme racisée, née dans une famille identifiée comme musulmane et issue de l'immigration. Et plus récemment, Kaoutar Harchi s'est emparée de la question de la domination des autres animaux, en écrivant un article dans la revue Ballast qui s'intitule « Les animaux avec nous, nous avec les animaux ». Dans notre entretien, on parle beaucoup de cet article, et de toutes les références auxquelles puise la pensée de cette intellectuelle, qui montre comment le spécisme est connecté, coproduit, articulé avec d'autres oppressions. Vous reconnaîtrez sans doute certains des sujets et des façons de penser l'animalité comme une catégorie sociale et construite, dont on avait discuté en détail avec Axelle Playoust-Braure dans les épisodes 9 et 10. Je vous conseille, si ce n'est pas fait peut-être, de les écouter avant cet entretien. C'est parti ! Bonjour Kaoutar Harchi.

Kaoutar Harchi : Bonjour.

Victor Duran-Le Peuch : Alors j'aimerais ouvrir cet entretien en vous citant, avec une formule que je trouve vraiment très forte. Dans un entretien pour la revue Position il y a un an, quand on vous demande si la notion de gauche a encore du sens, vous répondez « La gauche à mes yeux c'est ne perdre personne, et je me sens de gauche car je voudrais que personne ne manque, je voudrais que tout le monde soit là, que tout le monde soit présent. C'est ça la gauche, c'est s'inquiéter pour les absents. » Alors quand j'ai lu cet entretien, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que les autres animaux étaient le plus souvent complètement absents des discours de gauche, y compris chez des personnes qui sont pourtant engagées contre d'autres formes d'oppression intra-humaines, comme le sexisme ou le racisme. Et vous aussi, apparemment, vous vous l'êtes dit, car vous avez écrit sur cette question un très bel article, publié dans la revue Ballast, qui s'intitule « Les animaux avec nous, nous avec les animaux ». Alors qu'est-ce qui vous a amené à cette question de l'oppression des animaux, Kaoutar Harchi ?

Kaoutar Harchi : Alors c'est une vaste question. Peut-être que dans une perspective personnelle, ou un peu plus intime avant d'en venir aux grandes questions, mais ma mère mange peu de viande, et toute mon enfance, toute mon adolescence, je l'ai vu manger peu de viande et avoir un régime alimentaire peu commun, par rapport au régime carné, on dirait, aujourd'hui. Donc j'ai toujours eu une forme de prédisposition. J'ai toujours senti, du fait de cette attitude, maternelle, qu'avec la viande, il y avait quelque chose, mais encore une fois, c'est quelque chose que je n'avais pas intellectualisé, que j'avais simplement accepté, et c'était ainsi, et ce n'était pas autrement, et c'était quelque chose qui, pour moi, allait de soi, puisque pour elle, manger peu de viande, c'est quelque chose qui primait. Il y a donc cette forme de prédisposition ancienne et familiale, et puis, par ailleurs, je me suis beaucoup intéressée, comme vous le disiez en présentation, à des questions relatives à la domination, la domination patriarcale, la domination raciale, la domination de classe, et souvent, dans ces différents types d'objets que j'ai pu rencontrer, à travers les différentes enquêtes que j'ai pu mener, les séminaires, les échanges informels avec les autres, chercheurs et chercheuses, souvent, cette question de l'animalisation intervenait. Donc, ce n'était pas la question animale en soi, mais c'était plutôt ce processus de déshumanisation d'une certaine population, d'un certain type d'humain et d'humaine. Donc, je le remarquais, et je le remarquais d'autant plus ces derniers temps, quand la question des violences policières a surgi, que dans des enregistrements, on entendait des policiers insulter de jeunes hommes, de jeunes hommes racisés, en les traitant d'animaux, mais en les traitant aussi comme des animaux, en disant qu'ils ne savaient pas nager, qu'ils allaient se noyer comme des poissons, enfin, des choses de cet ordre-là. Et puis, il y a eu un autre élément important qui a aussi compté, c'est les échanges que je peux avoir avec l'écrivain Joseph Andras, qui, lui, est préoccupé par la question animale, qui a écrit à ce propos. Et à force d'écrire des articles ensemble, on a discuté aussi de cette question-là, et disons que peu à peu, les éléments se sont unis, et cette question des animaux, cette question de l'absence de leur prise en compte, la question aussi, je pourrais dire, de la marginalisation de toute une tradition socialiste qui s'intéresse à la question animale. Je pense par exemple à une figure telle que celle d'Élisée Reclus, ou à une autre figure telle que celle de Louise Michel, qui sont des figures que je connaissais, des figures sur lesquelles j'avais lu, des figures sur lesquelles j'avais construit des enseignements, et cette tradition-là, cette pensée-là, ou en tout cas ce travail-là porté sur la question animale à partir de ces œuvres respectives, était peu présente dans l'espace de la gauche radicale, ou en tout cas, si elle est présente, j'estime qu'elle pourrait être plus présente encore. Donc il y a eu un faisceau d'éléments, un faisceau de trajectoires, d'expériences, qui font qu'à un moment donné, cette question, je n'ai plus réussi à ne pas écrire à son propos. C'est comme dans un palais des glaces, vous savez, où vous vous voyez partout, parce qu'il y a des glaces absolument partout, avec les animaux, c'était un peu comme ça. Tout d'un coup, j'ai commencé à voir l'animalité, l'animalisation, les animaux, absolument partout.

Victor Duran-Le Peuch : Peut-être qu'on peut rentrer un peu plus en détail sur certaines des choses dont vous parlez dans l'article que vous avez publié dans Ballast. Vous rappelez qu'il y a des procédés qui sont communs, ou qui se coproduisent, disons, entre l'oppression spéciste et notamment l'oppression raciste. Et vous en parlez sous le nom de « métaphore animale ». Est-ce que vous pourriez expliquer un peu ce que c'est, en fait, qu'une métaphore animale ? Est-ce que c'est la même chose que l'animalisation, par exemple ?

Kaoutar Harchi : Oui, dans le cadre de cet article, l'intérêt qui était le mien, c'était de réussir à montrer que la question animale n'est pas distincte de la question humaine. Et qu'au niveau de cette frontière qu'on croit stable, mais qui est en fait particulièrement mouvante, à savoir la frontière humain-non humain, ou humain-animaux, se joue quelque chose qui nous concerne tous et toutes. Et donc cette relégation des animaux, ou comme on dit, du vivant, en dehors du monde des vivants, me semblait particulièrement problématique. Ce qui est complexe quand on tente d'écrire sur le phénomène de coproduction des rapports sociaux de pouvoir, c'est que si dans la pratique, les rapports de pouvoir sont mêlés, sont intrinsèquement liés les uns aux autres, dès lors que vous tentez d'écrire à leurs propos, pour des raisons de clarté souvent, et puis aussi de précision, vous êtes contraints ou contraintes d'opérer une forme de séquençage. Alors le séquençage des rapports sociaux de pouvoir, c'est un effet d'écriture. Et je le redis, dans la réalité, la race, la classe, le genre, et l'espèce, le spécisme, sont imbriqués et forment un tout. Néanmoins, dans le cadre de cet article-là, j'ai recouru, comme vous le soulignez, à cette notion de métaphore, puisque j'ai voulu tenter de dire que les animaux, que l'animalité, que les représentations qui entourent cette entité-là, ne servent pas qu'à la dénégation de l'animalité en tant qu'occupation légitime du domaine terrestre, mais servent aussi à gérer, à organiser, à ordonnancer, voire même à gouverner les relations entre les êtres issus de l'espèce homo sapiens. Donc cette notion de métaphore, elle était importante pour moi, parce que tout d'un coup, elle me permettait de dire regardez comme, du côté de la condition minoritaire, regardez comme du côté de la condition féminine, regardez comment du côté de la condition de classe, il se joue quelque chose qui est profondément lié et profondément et presque à prendre au sens premier du terme, c'est-à-dire c'est un ancrage, c'est une relation souterraine, qui échappe à notre regard, et il est important de déterrer cette relation, il est important de fouiller cette relation, il est important de la faire remonter à notre surface, comme à notre surface existe désormais, de manière légitime et pleine, la question de l'antiracisme, du féminisme, du socialisme et nécessairement de l'antispécisme. Qui est cette sorte de fondement souterrain, je le redis, de fondation invisible, qui nourrit négativement ce que nous connaissons et qui relève de la race, du genre et de la classe.

Victor Duran-Le Peuch : Pour aller dans le sens de ce que vous dites, justement, vous citez Afko, qui est une militante et écrivaine aux Etats-Unis, et qui écrit que « le terme animal est une catégorie dans laquelle nous rangeons certains corps lorsque nous voulons justifier la violence à leur égard ».

Kaoutar Harchi : Oui, jusqu'à présent, présent, la question de l'animalité concernait quelque chose qui relevait de la biologie, qui relevait de l'éthologie, qui relevait globalement du domaine de la science, avec des règles, des principes immuables, tels que les sciences dures aiment à les postuler, à les respecter et à les perpétuer à travers le temps. À partir du moment où on tente de s'éloigner d'une perspective biologico-centrée et qu'on s'intéresse un peu plus à ce qu'il en est du côté des idées, du côté des représentations, du côté de l'idéologie, et donc du côté du pouvoir et du politique, on se rend compte que cette catégorie animale qui a son pendant, qui est la catégorie humain, fonctionne de telle manière qu'elle englobe parfois des êtres qui sont des êtres humains. Et ça c'est quelque chose de profondément important et ça m'a amenée à peu employer au final cette expression « d'animal » ou « d'humain » qui est confondante, pour y préférer des expressions qui mettent davantage l'accent sur les questions de processus, sur les questions de transformation de statut social, sur les questions de déplacement en termes de position. Et ces deux termes sont les termes « d'animalisé » et « d'humanisé ». Et ceux qui sont animalisés ne sont pas que des êtres appartenant à ce qu'on appelle le domaine du vivant. Donc c'est une forme de perturbation ou en tout cas de séisme autour de cette frontière. Et ce que dit Afko et qui est extrêmement important et qui s'inscrit dans cette grande tradition du véganisme noir, c'est qu'effectivement cette catégorisation animale et cette catégorisation humain possède un caractère colonial et elle possède un caractère colonial puisque la question du corps, la question de sa possession la question de sa désubjectivation y est absolument centrale. Et ça fonde ou en tout cas ça rappelle que la catégorie animale et la catégorie humain dans ce qu’elles peuvent avoir de plus figées sont pleinement tributaires de la constitution coloniale, impériale, esclavagiste de l'Ouest. Et ça rappelle des choses qui ont à voir avec la lecture philosophique du monde. Et il me semble qu'il y a là tout un travail à mener de contre-philosophie ou en tout cas de sociologie critique pour faire valoir le caractère colonial de ces catégories-là, qui sont des catégories de domination.

Victor Duran-Le Peuch : Et en cela, les catégories d'espèces, donc humanisées et animalisées, sont comme les catégories raciales. C'est peut-être l'occasion de le rappeler pour éviter des confusions, parce que dès qu'on parle de race en France, tout le monde sort les lances et accuse les personnes qui utilisent ce terme d'un point de vue sociologique d'être elles-mêmes racistes. Alors, c'est l'occasion de rappeler que ce ne sont pas du tout des catégories biologiques, que c’est exactement ce que vous venez de dire sur les catégories d'animalisé et d'humanisé, ce sont des catégories sociales, des positions sociales dans un rapport de pouvoir, c'est ça ?

Kaoutar Harchi : Oui, c'est exactement cela. L'une des grandes différences avec le discours raciste et le discours scientifique qui lui a apporté sa légitimité, c'est qu'il n'est pas question de parler de races au pluriel, mais il est bien question de parler de race au singulier. Et quand nous disons la race, quand nous parlons de questions raciales, nous n'affirmons pas l'existence d'êtres humains qui appartiendraient à des races distinctes, mais bien le processus social, le processus relationnel, le processus historique, le processus culturel, qui a conduit à déterminer l'importance ou la non-importance de la vie de certains êtres humains au regard de l'apparence qui est la leur. Donc, quand on parle de race, en vérité, on parle toujours de racialisation. Et la racialisation, c'est bien ce processus extrêmement complexe qui a bénéficié d'une sédimentation historique extrêmement importante, qui vous donne une position sociale dans un type de relation située et contextualisée. Donc, parler de race, c'est toujours parler de ce processus-là. Parler de race, c'est toujours parler de cet horizon de son abolition et absolument pas de son horizon de réification, bien évidemment.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, merci, c'est très clair. Mais je pense que c'était nécessaire de le rappeler.

Kaoutar Harchi : C'est toujours important, tout à fait.

Victor Duran-Le Peuch : Alors du coup, pour pousser l'analyse, j'ai l'impression que dans les processus, donc qui sont sociaux, historiques, de racialisation, une grande partie de ça, c'est de l'altérisation. C'est-à-dire, c'est de faire de quelqu'un ou d'un groupe de personnes un espèce d'autre radical qu'on éloigne de nous pour mieux justifier un rapport de domination. Et dans cette altérisation, j'ai l'impression que les différentes formes d'animalisation, qui peuvent du coup s'associer au racisme, donnent aussi des modalités particulières de construction d'un Autre, c'est ça ? Selon avec qui on compare, avec quels animaux en fait, on va comparer telles et telles populations racisées, on ne va pas avoir les mêmes résultats du processus de racialisation, c'est bien ça ?

Kaoutar Harchi : Oui, ce qui est intéressant, c'est que lorsqu'on s'intéresse à ce qu'on va appeler ici de manière très générale et générique les animaux, à l'intérieur même du groupe animaux, il existe des formes de hiérarchie. La valeur en termes de noblesse ou en termes d'ignominie d'une colombe blanche, d'un dauphin luisant, ou au contraire d'un serpent, ou d'un cafard, ou d'un rat, ou d'une souris, vous le sentez bien, n'est pas égale. Ça, c'est quelque chose qui importe. C'est-à-dire que la hiérarchisation existe de manière extérieure au groupe animal, mais la hiérarchisation existe aussi à l'intérieur du groupe animal. Et cette hiérarchisation intérieure du groupe animal, qui fait qu'on préfère tous avoir chez soi une colombe blanche plutôt qu'un serpent, plutôt qu'un rat, par exemple, et plutôt qu'un cafard conduit évidemment à des formes d'usage, d'usage comparatif, d'usage métaphorique, d'usage symbolique à l'égard de certaines populations humaines. Et c'est là où les choses commencent à être complexes. C'est dans cette forme de tension où le potentiel négatif de l'animalité apparaît comme une forme de réservoir où le pouvoir, le pouvoir colonial, le pouvoir esclavagiste, le pouvoir impérial, viennent puiser cette matière-là, cette matière négative, pour la faire supporter à des individus afin de créer le doute entre « sont-ils des humains ou sont-ils des non-humains ? », « sont-ils des animaux ou sont-ils des non-animaux ? ». Et ce doute-là suffit, historiquement, a suffit à faire basculer des pans entiers de la population humaine du côté du non-humain, du côté d'une humanité moindre. Et dans les processus de racialisation, voire même dans les processus de racisation, il existe tout un répertoire, toute une grammaire comparative et métaphorique qui confère effectivement à des populations dominées des caractéristiques animalières. Et c'est à partir de ce présupposé, c'est à partir de ce postulat d'une essence animalière d'individus humains que leur domination est possible. Leur domination est possible, c'est-à-dire que leur domination est rendue naturelle, est rendue acceptable, voire même est rendue légale et légitime. Donc, il y a des transferts incessants entre cette catégorie animale et cette catégorie humaine. Et la catégorie animale est une sorte, comme je le disais, de réservoir négatif. Et cette catégorie humaine, certains humains sont susceptibles d'être noyés, d'être submergés par cette forme de négativité ontologique, qui entraîne par la suite, bien évidemment, des traitements particuliers, des types de ségrégation particuliers, des types de gouvernementalité de ces corps particuliers.

Victor Duran-Le Peuch : Alors, est-ce que peut-être vous auriez des exemples pour qu'on voit plus concrètement ? Parce que peut-être, quand on n'y fait pas attention, on ne se rend pas compte à quel point certaines populations dominées, du coup, dans ces rapports-là, sont animalisées, sont comparées à différents types d'animaux.

Kaoutar Harchi : Oui, on peut par exemple penser à la catégorie de la sournoiserie ou du vice, donc la catégorie des invertébrés, tout ce qui appartiendrait à cette famille des serpents, des rampants, enfin tout cet imaginaire-là. L'antisémitisme, par exemple, puise de manière extrêmement forte dans cet imaginaire-là, dans cette idée selon laquelle il y aurait quelque chose au sein de la population juive qui pourrait être assimilé à cette sournoiserie, à ce vice, à cette duplicité, à cette dangerosité, mais aussi à cette forme de surintelligence que possèderait le serpent. Donc l'attaque antisémite, le fond antisémite, l'idéologie antisémite, se nourrit à cette métaphore pour ensuite engendrer des pratiques, des traitements, des modes de gestion de la population visée. Pour ce qui est, par exemple, de la population musulmane, si je me réfère au travail de Ghassan Hage, qui est un anthropologue libano-australien, dans son travail qui s'intitule « Le loup et le musulman », Ghassan Hage revient sur cette idée selon laquelle il y aurait quelque chose qui aurait été construit entre le groupe des loups, le loup dans ce qu'il a d'indomesticable, d'incapturable. Et ce caractère d'indomesticable, ce caractère d'impossibilité à se laisser capturer, caractériserait les populations musulmanes, puisque elles aussi, au fond, seraient absolument ingouvernables. On ne pourrait pas traiter avec ces populations musulmanes, et à partir du moment où on ne pourrait pas traiter avec elles, il faudrait les capturer, il faudrait s'en saisir, il faudrait contrôler leurs membres, il faudrait limiter leur reproduction, etc... Donc, on voit bien qu'à travers le temps, ce répertoire de l’animalisation a véritablement servi de justificatif, de justification ultime, pour séparer l'humanité en deux, entre ceux qui sont véritablement humains et ceux qui posent question quant à la plénitude de cette même humanité. Mais encore une fois, les choses ne sont pas stables, c'est-à-dire que le système raciste est peu soucieux de contradictions, est peu soucieux de choses qui, a priori, n'iraient pas ensemble. Donc, au gré des contextes, au gré des intérêts des différents idéologues, le recours à ces métaphores peut être modifié.

Victor Duran-Le Peuch : Et les animalisations ne sont pas non plus les mêmes si on apporte d'autres critères, comme celui du genre. Vous en parlez aussi dans votre article, et ça m'a fait penser au fait qu'il y a une forme d'animalisation très particulière qui touche les femmes racisées, qui sont à l'intersection de deux dominations, potentiellement plus. C'est peut-être que l'animalisation peut être utilisée dans une forme d'exotisation de leur corps. Je pense par exemple, on appelle parfois les femmes arabes des « gazelles ». C'est une forme d'exotisation raciste qui s'appuie sur l'animalisation, c'est bien ça ?

Kaoutar Harchi : Oui, avec la question du genre, et dès lors qu'on rapproche la question du genre à ces processus d'animalisation, ce qui se rencontre, c'est la question de l'altérisation sexuelle. Et la manière dont, à un moment donné, l'animalisation va devenir une forme de sexualisation des femmes en question. Donc, pour le groupe des femmes qui sont à la fois exposées au racisme et au sexisme, elles vont, elles aussi, à leur manière et encore une fois selon les époques données, être sujettes à des formes d'altérisation, à des formes de métaphorisation, à des formes de comparaison, et donc à des formes de traitement qui font d'elles des objets appropriables. Qui font d’elles des objets qu’on peut, tout d’un coup, approcher, caresser. Le fait de caresser, par exemple, une gazelle, un animal qu'on juge à la fois attirant et à la fois inoffensif, a certainement des liens avec cet autre geste que les femmes racisées connaissent bien, qui est de voir tout d'un coup une main, une main blanche, du fait de la position sociale de la personne qui adopte ce type de comportement, une main qui donc caresse ses cheveux et s'étonne des boucles, ou s'étonne du caractère noir de la chevelure ou du caractère dense.

Victor Duran-Le Peuch : Qui peut être comparé à une crinière, parfois, toujours dans un imaginaire raciste.

Kaoutar Harchi : Oui, tout à fait. Donc, il y a cette idée, effectivement, de rapprochement, de possibilité de toucher, de possibilité de créer un contact qui, encore une fois, n'est pas un contact consenti par la personne qui subit ce geste-là. C'est ce qu'on appelle des micro-agressions. C'est une agression au sens où elle fait vaciller l'intimité de la personne en question, de la femme racisée en question. Et cela, encore une fois, pose question quant à l'usage qui est fait de ce potentiel d'animalité dès lors qu'on cherche à créer une situation de pouvoir entre deux individus qui occupent des places inégalitaires.

Victor Duran-Le Peuch : Vous citez aussi la chercheuse en philosophie et en études de genre Myriam Bahafou qui parle, je crois, toujours dans ce même imaginaire raciste, qui touche les femmes racisées particulièrement, de leur caractère sauvage ou indomptable. C'est dans la même logique que ce que vous disiez.

Kaoutar Harchi : Oui, c'est exactement cela. Myriam Bahafou en parle de manière très intéressante, et elle signale, en effet, qu'il y a dans cette animalisation des femmes racisées une sorte de puissance sexuelle, masculine, blanche, européenne, bourgeoise, qui ne voudrait absolument pas être contenue, et que les femmes racisées se devraient d'accueillir. Or, cette puissance-là, elles ne font que la subir et qu’y résister. Donc, tout d'un coup, effectivement, avec ce groupe qui occupe une position spécifique, l'animalisation révèle tout son potentiel de domination sexuelle et sexualisée.

Victor Duran-Le Peuch : Vous parliez plus tôt du travail de Ghassan Hage dans "Le Loup et le Musulman" qui montre assez précisément comment l'imaginaire islamophobe peut, lui aussi, s'appuyer sur des métaphores animales qui sont à la fois spécistes et spécifiques à cette population-là. Peut-être qu'on peut faire un petit point sur ce mot « d'islamophobie », qui a lui aussi fait l'objet de critiques non pertinentes. Peut-être expliquer que l'islamophobie n'est pas la critique de l'islam, et ce que recoupe cette notion, si vous êtes d'accord.

Kaoutar Harchi : Oui, l'islamophobie, c'est effectivement un concept qui a une histoire assez passionnante, puisque c'est un terme qui ne va cesser d'être discuté, refusé, invalidé, délégitimé dans l'espace public. Donc, le terme islamophobie pose, dans un premier temps, on pourrait dire, la question des lieux où son usage semble valide ou invalide. Et c'est toujours très intéressant de voir des concepts scientifiques, c'est-à-dire des concepts qui se soumettent à l'épreuve de la réfutation, être discutés dans des espaces médiatiques, notamment, qui n'ont que faire de ces règles scientifiques et de ces règles de scientificité. Donc, une fois que l'on quitte l'espace médiatique et ce qui est dit de la question de l'islamophobie, ce dont on se rend compte, c'est que cette question-là, donc la question qu'on peut aussi appeler la question de la construction du problème musulman, n'a absolument rien à voir avec la question confessionnelle, mais a absolument tout à voir avec la question raciale.

Victor Duran-Le Peuch : La construction d'un problème autour d'une appartenance religieuse est connectée au processus de racialisation négative. Cette forme très particulière de racisme qu'est l'islamophobie montre à quel point c'est un processus complexe, et notamment qui ne s'appuie pas forcément sur l'origine supposée ou sur la couleur de peau, mais peut avoir pour base une appartenance religieuse réelle ou supposée. Par exemple, la sociologue Juliette Galonnier a montré dans ses recherches que des personnes converties à l'islam, jusqu'alors perçues comme blanches, se mettaient soudain à vivre du racisme. Et ce racisme avait pour base leur appartenance religieuse supposée et non leur couleur de peau ou leur origine. Il y a donc ici une forme de racialisation de l'appartenance religieuse. On pourrait d'ailleurs parler d'un racisme culturel. Je vous mets en description trois épisodes de trois excellents podcasts, « Minuit dans le siècle », « Kiffe ta race » et « Contreson » qui abordent tous trois la question de l'islamophobie de façon dépassionnée et par la recherche. Si vous voulez en apprendre plus, ce qui nous intéresse dans cet épisode, c'est aussi de voir la façon dont différents processus de racialisation peuvent se combiner avec des formes particulières d'animalisation.

Kaoutar Harchi : Donc, la question de l'islamophobie, elle soulève et appelle à s'interroger sur ces processus de racialisation qui se fondent sur l'appartenance réelle ou supposée à une confession, à une appartenance religieuse, en l'occurrence l'islam. Donc, cette question de l'islamophobie, qui est extrêmement discutée et qui a donné lieu à une littérature sociologique, philosophique extrêmement nourrie, pose cette question là, cette question du racisme anti-musulman, à l'échelle bien sûr française, mais à l'échelle européenne, et puis aussi bien sûr dans une temporalité longue, en remontant notamment jusqu'à la période coloniale où l'appartenance religieuse était elle-même manipulée dans un principe de gouvernement de ce qu'on appelait les corps indigènes. Donc, la question islamophobe est une question centrale. Elle l'est d'autant plus au regard de ces dernières années. La question de la loi, par exemple, sur le séparatisme qui a été votée sous le précédent mandat Macron, et qui a été très défendue par des personnalités comme Marlène Schiappa ou encore Gérald Darmanin, est une loi qui a été décrite, qui a été analysée comme reposant sur des fondements islamophobes, puisqu'elle vise une partie de la population, la population musulmane, et tente d'en extraire ou d'épargner le reste de la population française. Donc, typiquement, face à une actualité extrêmement brûlante et inquiétante, la question islamophobe est à poser. Mais l'islamophobie est bien sûr à combattre.

Victor Duran-Le Peuch : Merci beaucoup pour cette clarification de la notion d'islamophobie. Et du coup on peut en revenir à l'animalisation qui peut servir cet imaginaire islamophobe et qu'analyse très bien Ghassan Hage dans son livre. Vous avez parlé de la notion centrale qu'il mobilise « d'ingouvernabilité », qui fait que dans l'imaginaire raciste, les musulmans peuvent être comparés, rapprochés aux loups. Et j’ai l’impression qu’il y a un autre rapprochement dont parle Ghassan Hage. C'est celui entre, toujours, le discours sur les musulmans ou les réfugiés, et un discours sur certains animaux, qui sont dits nuisibles, notamment les rats, notamment les cafards, et qui se caractérise aussi par cette forme d'ingouvernabilité, qui suscite aussi du dégoût, une peur de l'invasion. Est-ce que vous pourriez parler un peu de ça ?

Kaoutar Harchi : Oui, c'est évident que la question de la population musulmane est à réinscrire au cœur de l'ensemble des autres populations. Je pense notamment à la population des personnes dites migrantes, mais qui sont plutôt des personnes en recherche de refuge pour sauver et protéger leur vie. Ces populations-là sont particulièrement exposées à des discours d'animalisation qui, encore une fois, viennent justifier par la suite les traitements policiers, les traitements administratifs, les traitements parfois médicaux qui leur sont réservés. Et il y a effectivement cette idée-là, qu'on retrouve dans les discours, qui sédimentent progressivement, à la fois dans les mentalités mais surtout au cœur des politiques publiques, notamment à la question des politiques européennes via l'organisation de Frontex. Ce sont des dispositifs de pouvoir, qui partent effectivement du principe qu'il existe sur terre des populations qui échappent à tout contrôle. Il y a des populations qui ne respectent pas les frontières, par exemple. Il y a des populations qui vivent dans un certain espace et qui veulent absolument quitter cet espace pour se mouvoir dans un autre espace. Donc, on a toute une rhétorique, tout un langage qui se déploie et qui vise à un élément qui me semble être important, qui est celui de la maintenance. Il est important de maintenir ces populations sous contrôle, il est important de maintenir ces populations sous surveillance, il est important de voir ce qu'elles font, il est important de voir à quel rythme elles se reproduisent, il est important de voir à quelle fréquence elles se déplacent et quels sont les trajets qu'elles font. Donc, en fait, il y a tout un arsenal, toute une grammaire de discours et de pratiques qui créent une forme d'amalgame, qui créent volontairement, sciemment, consciemment une forme de confusion entre des êtres dits humains et des populations dites animales. Et, encore une fois, ce qui est extrêmement important à souligner, c'est que les processus de racialisation, les processus de domination sont des processus empreints de cette négativité ontologique de l'animalité. Ce qui nous ramène au fond, dès lors qu'on pense la question raciale ou la question de genre ou la question de classe, à vouloir interroger, à vouloir sonder plus encore ce que j'appelais auparavant ce puits de négativité, qui est l'animalité telle qu'elle a été construite en Occident. Avec cette idée qu'en vidant ce puits, qu'en libérant ce puits de sa matière négative, peut-être qu'il se passera quelque chose qui empêchera la production de métaphores d'animalisation et donc qui réduira le potentiel de domination. Mais c'est une hypothèse parmi d'autres.

Victor Duran-Le Peuch : Donc ce que vous dites, c'est que, par exemple, si on ne traitait pas si mal et avec autant de mépris les dits « nuisibles », je pense aux rats à Paris, et à la façon dont, exactement comme vous le disiez, dans le discours raciste sur les musulmans ou les personnes migrantes qui cherchent un refuge, qui doivent être contrôlées, qui arrivent dans nos maisons, qui sont indomptables, qu'on doit réguler, dont on doit aussi vérifier la reproduction... C'est exactement les mêmes choses qui s'appliquent aux rats. Mais peut-être que si on n'avait pas un tel mépris des rats, ou des cafards, ou de tous les « nuisibles », avec des 30 000 guillemets, il n'y aurait pas un tel potentiel dépréciatif de l'association avec ces animaux des populations musulmanes. C'est ça ?

Kaoutar Harchi : Oui, d'un point de vue historique, culturel, philosophique, et plus globalement intellectuel, la domination humaine sur les animaux est telle, la domination humaine sur le « domaine nature », s'il fallait parler comme les environnementalistes, est telle, est tellement importante, si importante qu'on peine aujourd'hui à imaginer il n'y aurait pas cette forme de prédisposition à faire souffrir autrui. Puisque l'animalité est la source, elle est comme je dis toujours le puits auquel on charge la barque des personnes que l'on aspire à dominer et qu'effectivement on domine. Dès lors que l'on aspire à déployer une perspective sensible à la question raciale, sensible à la question de classe, sensible à la question de genre, l'animalité se représente à nouveau à nous comme une chose qui demeure absolument irrésolue et que nous devons bien résoudre. D'ailleurs cette question de l'animalité et son potentiel négatif est présent dans la réflexion de personnes comme Aph et Syl Ko par exemple, dont on parlait auparavant, et l'une des hypothèses, ou en tout cas l'une des directions stratégiques et intellectuelles qui nous est donnée par ces deux militantes et ces deux intellectuelles et penseuses du spécisme, c'est de se réapproprier la catégorie d'animalité. C'est à dire de tenter de la charger, de tenter de remplir ce puits de négativité par autre chose que par cette même négativité. Donc il y a tout un pan de la recherche, il y a tout un pan de la réflexion, il y a tout un pan de la lutte à mon sens qui gagnerait à envisager cette question de l'animalité de manière moins marginale, plus centrale dans les travaux et dans les questions qui sont les nôtres. Comment est-ce que l'on désanimalise des populations humaines pour qu'elles soient traitées humainement. Humainement ici employé au sens moral du terme. Comment désanimaliser des animaux pour que nous considérions qu'ils ont un intérêt, à savoir l'intérêt de vivre, et l'intérêt donc de ne pas être tués pour que nous puissions les manger, ou faire des expérimentations scientifiques sur eux. Donc il y a tout un mouvement très global de dénaturalisation qui est encore à réaliser. Le domaine du genre a entrepris ce travail de dénaturalisation. C'est bien pour ça que l'on parle d'ailleurs de genre. Les études critiques de la race ont aussi entrepris ce travail de dénaturalisation des catégories raciales. Il me semble que dans l'ordre du mouvement animaliste, aussi nébuleux soit ce mouvement se pose aussi la question de la dénaturalisation, de la débiologisation, de la désanimalisation de ces potentiels là. Et encore une fois on ne désanimalise et on ne dénaturalise que pour tirer davantage ces questions là du côté du social, du côté du politique. Et comme je le dis toujours, comme nous le disons toujours, ce qui a été fait peut être défait, et ce qui a été construit peut pleinement être déconstruit. Donc cette question de la déconstruction, cette question du retour vers un horizon solidaire et de progrès passe à mon sens par ce recentrement autour de la question de l'animalité et de ce qu'elle suppose.

Victor Duran-Le Peuch : Je me dis que peut-être des auditeuristes qui vous écouteraient pourraient se dire « bon, mais tout ça ça se passe dans le langage mais c'est pas très grave, c'est que des mots ! ». Mais en fait, Ghassan Hage nous met bien en garde sur le fait que les métaphores animales ne sont pas que des mots, justement. Il écrit, je cite, « lorsqu'on utilise le terme « boeuf » pour parler d'un esclave ou « agnelle » pour parler d'une domestique, cela donne un meilleur accès à l'imaginaire racial pratique derrière ces termes. Nous apprenons par cette « boeufisation » ou cette « anniellification » ce qu'il est souhaitable, possible et préférable de faire avec ces personnes. Aussi nous savons ce qu'un raciste veut faire lorsqu'il associe un juif à un serpent ou à un virus. L'action qui en découle est plus claire que lorsqu'on déclare quelqu'un d'inférieur. La métaphore animale n'est pas qu'une catégorie raciste d'observation, c'est une déclaration d'intention».

Kaoutar Harchi : Oui, c'est un point qui est extrêmement important et qui nous rappelle que le discours n'est jamais autonome. Le discours est toujours lié à des pratiques qu'il précède ou auxquelles il succède, mais qu'il légitime et qu'il organise et qu'il rend possible d'une manière ou d'une autre. Et c'est quelque chose d'extrêmement important. C'est-à-dire que nos catégories de pensée sont, en vrai, aussi, des catégories de notre action. Et ça c'est absolument fondamental et Ghassan Hage le rappelle de manière extrêmement juste. On ne dit jamais rien d'une personne qui ne sous-entend pas aussi ce qu'on souhaite lui faire. Et ce faire là est souvent synonyme de faire du mal, c'est-à-dire de dominer. Et c'est une question à laquelle il faut être particulièrement sensible, sur ce continuum entre ce que nous disons et ce que nous faisons.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, je crois que c'est justement tout le combat notamment de l'association Paris Animaux Zoopolis, qui se bat pour qu'on parle d'animaux liminaires, les animaux qui vivent avec nous dans les villes, et non plus de nuisibles. Parce que cette catégorie de nuisibles, c'est déjà un appel à l'action en fait, c’est déjà un appel à empêcher les personnes catégorisées de nuisibles, que ce soit des rats, des cafards ou des musulmans ou des migrants, les empêcher de venir dans nos habitats, les en chasser, voire les éradiquer, en fait. C'est déjà contenu plus ou moins dans le terme nuisible.

Kaoutar Harchi : C'est déjà une autorisation. C'est déjà une autorisation à adopter à leur égard un certain type de comportement. Et c'est aussi une autorisation qui fait bien comprendre à chacun et chacune que l'acte négatif, que l'acte de domination, qui va être commis n'est pas un acte infamant, n'est pas un acte si terrible que ça. Autrement dit, dans cette appellation de nuisible qu'elle vise des animaux non humains ou qu'elle vise des animaux humains, porte déjà en elle cette forme d'encouragement implicite. Puisqu'au fond, c'est dans l'ordre des choses que les nuisibles cessent de nuire. Et cette idée de cesser de nuire bien évidemment qu'elle contient en elle tout ce que nous connaissons. Qu'il s'agisse du traitement qui est réservé aux rats à Paris et dans les villes urbanisées, ou que ce soit aux personnes qui sont jugées comme indésirables, indésirées au sein d'un ensemble de territoires nationaux.

Victor Duran-Le Peuch : Et d'ailleurs ça va même plus loin que ça. Parce que vous m'avez fait remarquer quand on préparait l'entretien que les liens entre racisme et spécisme ne sont pas que de l'ordre des représentations ou des métaphores, mais qu'il y a aussi des vrais dispositifs matériels d'exploitation très concrets, qui peuvent être communs, et qui sont même transférables de l'un à l'autre.

Kaoutar Harchi : Oui, tout à fait. C'est intéressant de voir que la manière dont on tente de se protéger de certains animaux ou en tout cas de les suivre, de pouvoir identifier où ils sont, combien ils sont, ce qu'ils sont en train de faire, etc... Ce dispositif-là, qui sont des dispositifs animaliers utilisés dans les zones de haute montagne par exemple, et qui fonctionnent sur la méthode du repérage thermique, etc... Ces techniques-là, qui sont des dispositifs techniques, des dispositifs technologiques particulièrement perfectionnés, qui font appel à des formes d'intelligence et à des types de fonctionnement particulièrement sophistiqués, sont des dispositifs que l'on retrouve dans le cas du contrôle et de la surveillance des frontières. Frontières qui doivent être protégées par les tentatives de traverser des migrants. Donc c'est extrêmement intéressant d'observer cette translation matérielle qui est faite entre les dispositifs de surveillance et de capture de certains animaux et les dispositifs de surveillance et de capture d'êtres humains Et ça c'est quelque chose qui effectivement est fondamental.

Victor Duran-Le Peuch : On en vient à la question de quelle grille utiliser pour penser conjointement plusieurs oppressions. Parce qu'on pourrait se dire que, là, c'est tout de même très compliqué, quand on doit analyser conjointement plusieurs dominations à la fois. Et puis il y en a beaucoup, donc c'est pratiquement impossible de toutes les considérer en même temps. Alors j'aimerais bien vous demander si vous pensez que certaines grilles d'analyse, peut-être, peuvent venir nous aider pour ça. Je pense que la plus connue désormais c’est sûrement l’intersectionnalité. Et d'ailleurs vous écrivez dans cet article dans Ballast « ce conglomérat de dettes que les dominations ne cessent de contracter dans un jeu incessant de reconfiguration contextuelle trouve en la bien nommée intersectionnalité une perspective pertinente ». Du coup, j'en déduis que vous la jugez plutôt prometteuse et intéressante pour penser l'articulation du spécisme à d'autres oppressions.

Kaoutar Harchi : Quand il est question effectivement ici d'intersectionnaliser la lutte anti-spéciste, c'est aussi une manière de dire qu'il est, à mon sens, extrêmement difficile de prendre parti pour les animaux sans prendre parti pour tous les autres groupes sociaux qui comme les animaux ou quelque peu différemment que les animaux souffrent, sont l'objet de domination, sont l'objet de violence et sont l'objet de pratiques mortifères. C'est pour cela que l'intersectionnalité, et cette volonté d'intersectionnaliser la lutte anti-spéciste me semble être importante. C'est parce qu'il est extrêmement complexe de fragmenter les souffrances. Les souffrances ne sont pas identiques au sens où elles ne sont pas produites identiquement par les mêmes appareils de pouvoir. Mais au final, un être qui souffre est un être qui souffre. Si je devais reprendre la belle formule de la militante anti-spéciste, anti-raciste et féministe Dalila Awada, et ça c'est quelque chose d'extrêmement juste : un être qui souffre est un être qui souffre, que cet être appartienne à l'espèce Homo sapiens ou qu'il n'y appartienne pas. La question se pose, à la fois de sa défense, bien sûr, à la fois de sa protection, bien évidemment, mais aussi à la question plus structurelle de l'abolition de la domination qui le place en cette situation. Dans cette perspective, et dans le cadre de cet article publié chez Ballast, il me semblait extrêmement important de réussir à rassembler ces différentes formes de domination puisque ces différentes formes de domination s'assemblent déjà. Donc au fond, ce que je fais, c'est simplement rassembler au sein d'un même espace des formes de pouvoir qui s'assemblent déjà très bien les uns aux autres et qui vont déjà très bien les uns avec les autres. Autrement dit, s'il fallait que je formule encore différemment, les dominations marchent ensemble. Comme nous avons pu en discuter à propos de cette question de la sexualisation des femmes racisées, par le principe de leur animalisation, et pareillement dans le cadre des populations qui souffrent du racisme. La question, bien évidemment, prolétaire n'est pas en reste par rapport à cette question-là. À partir du moment où cela marche ensemble, à partir du moment où cela fonctionne ensemble, il me semble intuitivement assez logique d'y réfléchir ensemble du point de vue de la résistance, d'y réfléchir ensemble du point de vue de leur abolition. Bien évidemment qu'ici il n'est pas question uniquement de présupposés et de constructions abstraites et intellectuelles. Il est aussi question de stratégie de lutte et de mise en œuvre de ces différents postulats qui sont les nôtres. Donc cette nécessité de rassembler ce qui s'assemble déjà par la matrice du pouvoir, à mon sens, peut effectivement trouver en la perspective intersectionnelle un débouché fécond.

Kaoutar Harchi : Alors, est-ce que vous pourriez nous présenter succinctement cette perspective ? Quelle est la théorie en recherche qui s'est appelée intersectionnalité et qui est de plus en plus mobilisée aujourd'hui dans les recherches pour penser différentes dominations conjointement ?

Victor Duran-Le Peuch : Oui, la perspective intersectionnelle. Je dis volontairement « la perspective intersectionnelle » car il est compliqué de dire que l'intersectionnalité serait un concept, une théorie ou une notion. C'est une manière de regarder le monde qui a fait l'objet d'énormément de débats, d'énormément de discussions, d'énormément de controverses aussi, qu'elle m'apparaît toujours comme quelque chose d'hétérogène et d'absolument polymorphe. Et c'est quelque chose de plutôt heureux puisque c'est quelque chose qui appelle au débat, qui appelle au perfectionnement, qui appelle à l'argumentation, à la contre-argumentation. S'il fallait néanmoins tenter d'appréhender cette perspective intersectionnelle et de la rendre intelligible, on pourrait dans un premier temps rappeler que la question intersectionnelle, elle est posée à partir d'un cadre qui n'est absolument pas anodin, qui est le cadre des militantes et des femmes noires, des femmes africaines américaines au tournant des années 1970-1980. Dans le cadre de cette période, et encore une fois de manière très dynamique et très mouvante, des personnes, je pense à une femme comme Kimberlé Crenshaw, on peut penser aussi à une personne comme Patricia Hill Collins, on peut bien sûr citer aussi le nom d'Angela Davis. Il se passe quelque chose dans la réflexion, dans cet effort d'intellectualisation de la condition de femmes noires qui est la leur, et qui les amène à se rendre compte qu'elles sont à la fois victimes de sexisme et à la fois victimes de racisme. Et bien que je détaille ici d'un côté le sexisme et d'un côté le racisme, l'expérience sociale telle qu’elle est éprouvée par ces femmes-là, et par ce groupe de femmes-là, n'est pas fragmentée mais elle est unifiée. Autrement dit, le racisme fait quelque chose au sexisme et le sexisme fait quelque chose au racisme. Ce qui pose, si on reprend la ligne de réflexion de Kimberlé Crenshaw par exemple, qui va considérer que ces femmes-là occupent un espace qui n'est pris en charge par aucune politique publique. Les programmes de lutte contre le racisme partent du principe que la personne victime de racisme est plutôt un homme. Les politiques publiques de lutte contre le sexisme partent du principe que la femme victime de sexisme est plutôt blanche. Et comme vous le voyez, dans le cadre de ces deux programmes de lutte contre le sexisme et contre le racisme, il y a un groupe qui n'est pas pris en charge, il y a un groupe qui est invisibilisé, il y a un groupe dont l'expérience originale n'est pas retenue. C'est ce groupe des femmes noires. Et c'est dans le cadre de cette perspective-là, de ce constat-là, de ce point de départ-là, que les féministes africaines américaines vont développer cette idée, selon laquelle il faut un outil, il faut une méthode qui permet de rendre compte de cette expérience originale. Et qui donc permet de donner une représentation juste à un vécu qui, jusqu'à présent, n'était pas représenté. Pas représenté parce que dominé par les femmes blanches et pas représenté parce que dominé par les hommes noirs. La perspective globale, disons l’horizon, ce qui nourrit cette manière de regarder le monde s'ancre dans cette question de l'invisibilisation et du caractère inégalitaire des politiques mises en place pour lutter contre ces différentes formes de domination. Et à partir de là, cette perspective, cette manière de regarder le monde, elle ne va cesser d'être perfectionnée, d'être discutée, comme je le disais, d'être rebattue d'un point de vue scientifique. Donc tout d'un coup, ce que la question intersectionnelle fait entrer en ligne de compte, c'est la question raciale. C'est un point extrêmement important. Il n'y a pas de perspective intersectionnelle sans perspective raciale. Et par ailleurs, il y a cette ambition qui est contenue dans les propositions épistémologiques faites par ces chercheuses-là de transformer le monde. Autrement dit, la perspective de l'intersectionnalité vise non pas simplement à décrire mais elle vise aussi à proposer un autre univers social. Donc la frontière entre la science et le militantisme ici est rediscutée. Elle est remise elle-même en débat, et c'est quelque chose d'extrêmement stimulant. Tout d’un coup, des femmes produisent un savoir à partir de leurs expériences situées et dans le but de faire que ces expériences soient beaucoup plus porteuses d'égalité et de justice.

Kaoutar Harchi : Vous parlez de point de vue situé, justement vous disiez dans un épisode du podcast « Quoi de meuf » qu'une des caractéristiques de l'intersectionnalité c'est une forme de connexion entre l'intime et le politique. C'est-à-dire le fait de pouvoir partir de sa propre expérience, de sa perspective sur le monde, justement, au croisement de plusieurs systèmes de domination, comme ça a été le cas pour les femmes noires. Mais pour le spécisme, les personnes qui pensent et théorisent l'oppression ne sont a priori pas les personnes qui la vivent, car ce sont des humains et humaines. C'est les personnes que je reçois dans « Comme un poisson dans l'eau ». Et c'est tout l'enjeu et la difficulté de l'antispécisme qui est en fait un mouvement d'alliés où on n'entend pas, du moins pas directement, et pas dans la théorie dans la façon de penser l'oppression, les premiers concernés. Est-ce qu'on peut penser que c'est une limite de l'application de l'intersectionnalité à cette oppression-là ?

Victor Duran-Le Peuch : Il me semble que ce n'est pas une limite propre à l'intersectionnalité. C'est une limite propre à tout mouvement dont le sujet est perçu comme uniquement humain. En biologie ou en éthologie en philosophie éthique, etc, cette question-là se pose aux personnes qui représentent et pratiquent ces disciplines de la même manière qu'elles pourraient se poser à moi. Mais il me semble ici que la question n'est pas tant de faire des animaux des acteurs intellectuels, au sens humain du terme, de leur propre existence, que de considérer que la lutte animaliste, la lutte pour l'abolition de l'exploitation animale fasse son entrée dans le domaine des grandes luttes sociales, aux côtés de l'antiracisme, aux côtés du féminisme, aux côtés du mouvement socialiste, etc. Donc l'idée n'est pas de demander à des poissons ou à des vaches qui n'en ont absolument que faire de ces questions intersectionnelles mais de réfléchir à la manière dont l'outil intersectionnel peut venir aider, peut venir participer à élargir le mouvement animaliste, à élargir le mouvement antispéciste de telle sorte que les autres formes de domination ne soient pas laissées hors champ, ne soient pas laissées en l'état de lutte inconnue ou de lutte qu’il n'est pas très intéressant de connaître. Et ce discours là, il est à tenir bien évidemment aussi en contexte féministe et en contexte antiraciste. Chaque front de lutte, je pourrais dire, a à réfléchir sur la lutte qu'il ne mène pas, et pas obligatoirement pour se retrouver à la mener, mais simplement pour réfléchir à partir de ceux ou de celles qui manquent, et de considérer qu'à partir de là, du côté des stratégies du côté des alliances, du côté des convergences du côté de ces formations qui peuvent politiquement apparaître de manière ponctuelle, quelque chose est à faire. Il me semble que, en tout cas pour moi, l'intérêt de la perspective intersectionnelle, elle vise le monde, le mouvement antispéciste qui est un monde, qui est un mouvement extrêmement complexe et hétérogène, avec des familles, avec des nébuleuses extrêmement riches... Mais d'une manière générale, la question du racisme y est peu posée, la question du sexisme y est peu posée aussi, la question de l'exploitation de classe y est un peu plus présente à mon sens. Mais ce que je cherche, ce que nous sommes un petit nombre, on pourrait dire, à vouloir produire avec cet outil intersectionnel, c'est élargir l'espace du mouvement antispéciste. Il n'y a aucune raison pour qu'une personne qui se dit féministe et qui combat la domination patriarcale ne porte pas un regard aussi sur ce qu'il se passe du côté des élevages, du côté du productivisme, du côté des expériences faites sur les lapins et autres souris, etc... Donc il y a une convergence des regards, à défaut d'une convergence des luttes, que la perspective intersectionnelle peut réaliser.

Kaoutar Harchi : Et peut-être qu'on peut penser aussi que pour mener cet élargissement des perspectives que vous appelez de vos voeux, on peut s'appuyer sur les expériences d'animalisation vécues par des humains humaines, qui rendraient peut-être sensibles indirectement la réalité de l'oppression spéciste et qui concernent de nombreux humains humains opprimés, qui les vivent ces formes d'animalisation là aussi.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, bien sûr, sur la question extrêmement complexe de l'espèce, la notion d'espèce sur laquelle on pourrait consacrer une émission entière... Mais la question de l'espèce humaine, quand on dit l'espèce humaine, il me semble encore une fois que cette expression d'espèce humaine elle est extrêmement située, dans l'ordre de nos représentations, dans l'ordre de nos mouvements cognitifs. Quand on dit l'espèce humaine, si on ferme les yeux et qu'on essaie de se laisser submerger par une image, c'est plutôt l'image d'un homme qui apparaît. Un homme plutôt grand, plutôt agile, au sens où il n'est pas handicapé par exemple. Donc, dès lors qu'un mouvement qui se prénomme, qui se dénomme l'antispécisme, n'interroge pas le fait que le rapport de pouvoir contre lequel il se bat, à savoir le rapport de pouvoir d'espèce, est situé par rapport à la question des animaux, mais est aussi situé par rapport à la question des femmes, mais est aussi situé par rapport à la question des personnes et des groupes racisés, mais aussi situé par rapport à la question des personnes en situation de domination capitaliste, ça me semble extrêmement étonnant pour le moins, et pour le plus, ça me semble problématique. À partir du moment où l'ancrage de l'espèce dépasse le cadre strictement, on pourrait dire, environnemental, et pleinement nourri de représentations sociales qui ont à voir avec l'histoire coloniale, qui ont à voir avec l'histoire esclavagiste, il me semble que ce pan-là, ce mouvement-là, manque quelque chose. Et en soi, ce n'est pas grave, ce qui est grave serait de rester fermé sur cette question, et de se montrer soucieux de ne pas penser plus encore la question de l'interrelation des dominations où la notion d'espèce et la notion d'animalité jouent un rôle central. Donc de mon point de vue, et du côté des efforts qui sont les miens, mais qui sont aussi ceux d'autres personnes, Myriam Bahafou avait fait une conférence il y a quelque temps de cela, où elle revenait sur ce caractère situé de la notion d'espèce et d'espèce humaine plus largement, donc je pense aussi à des chercheurs comme Malcolm Ferdinand, il y a, il me semble, quelque chose qui actuellement est en train de se passer du côté de la réflexion animaliste, qui tend vers un élargissement ou vers un desserrement des catégories d'appréhension du réel pour faire entrer, en complémentarité on pourrait dire, cette forme de perspective intersectionnelle.

Kaoutar Harchi : Vous retrouverez la suite et la fin de cet entretien dans le prochain épisode diffusé dans deux semaines. Maintenant qu'on a vu à quel point une approche intersectionnelle de l'animalité est pertinente et intéressante pour la pensée, il nous reste à poser la question de la convergence entre le mouvement antispéciste et notamment le mouvement antiraciste et plus largement les mouvements des personnes dominées et animalisées. On se demandera pourquoi la convergence tarde tant à se faire en France, plus particulièrement en quoi la gauche semble réticente à s'emparer de la question du spécisme, mais vous verrez, Kaoutar Harchi est très optimiste pour le futur quant à cette convergence. Bisous.

Crédits

Comme un poisson dans l'eau est un podcast indépendant créé et animé par Victor Duran-Le Peuch. Charte graphique : Ivan Ocaña Générique : Synthwave Vibe par Meydän Musique : Overthinking par RYYZN

4 livres cités :

Ainsi nous leur faisons la guerre Joseph Andras

Ainsi nous leur faisons la guerre - Joseph Andras

Un chien à Londres en 1903, un singe à Riverside en 1985, une vache et son veau à Charleville-Mézières en 2014 sont les protagonistes de cette fresque en trois panneaux qui évoque les rapports entre animaux et humains à l’ère ...

ISBN : 9782330149024 · publié le 6 avril 2021

Description complète et liste des 3 épisode(s) qui le citent

Un chien à Londres en 1903, un singe à Riverside en 1985, une vache et son veau à Charleville-Mézières en 2014 sont les protagonistes de cette fresque en trois panneaux qui évoque les rapports entre animaux et humains à l’ère industrielle, ou plus précisément l’assujettissement d’êtres vivants doués de sensibilité à d’autres êtres vivants doués de sensibilité mais également dotés d’une froide rationalité.

Cité dans 3 épisode(s) :

APHRO-ISM · Essays on Pop Culture, Feminism, and Black Veganism from Two Sisters Ko, Aph, Ko, Syl

APHRO-ISM - Ko, Aph, Ko, Syl

In this lively, accessible, and provocative collection, Aph and Syl Ko provide new theoretical frameworks on race, advocacy for nonhuman animals, and feminism.

ISBN : 9781590565568 · publié le 15 juin 2017

Description complète et liste des 2 épisode(s) qui le citent

In this lively, accessible, and provocative collection, Aph and Syl Ko provide new theoretical frameworks on race, advocacy for nonhuman animals, and feminism. Using popular culture as a point of reference for their critiques, the Ko sisters engage in groundbreaking analysis of the compartmentalized nature of contemporary social movements, present new ways of understanding interconnected oppressions, and offer conceptual ways of moving forward expressive of Afrofuturism and black veganism.

Cité dans 2 épisode(s) :

Le Loup & le Musulman Ghassan Hage

Le Loup & le Musulman - Ghassan Hage

Dans un monde régi par la domestication, le loup et le musulman apparaissent comme deux grandes figures fantasmatiques menaçant « la civilisation ».

ISBN : 9782381140261 · publié le 5 novembre 2021

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Description complète et liste des 3 épisode(s) qui le citent Cité dans 3 épisode(s) :

Une écologie décoloniale - Penser l'écologie depuis le monde caribéen Malcom Ferdinand

Une écologie décoloniale - Penser l'écologie depuis le monde caribéen - Malcom Ferdinand

Malcom Ferdinand est ingénieur en environnement de University College London, docteur en philosophie politique de l'université Paris-Diderot et chercheur au CNRS (IRISSO / Université Paris-Dauphine).

ISBN : 9782021388503 · publié le 2 octobre 2019

Description complète et liste des 2 épisode(s) qui le citent

Une colère rouge recouvre le ciel. Les vagues s'agitent, l'eau monte, les forêts tombent et les corps s'enfoncent dans ce sanguinaire gouffre marin. Les cieux tonnent encore devant ce spectacle : le monde est en pleine tempête. Derrière sa prétention d'universalité, la pensée environnementale s'est construite sur l'occultation des fondations coloniales, patriarcales et esclavagistes de la modernité. Face à la tempête, l'environnementalisme propose une arche de Noé qui cache dans son antre les inégalités sociales, les discriminations de genre, les racismes et les situations (post)coloniales, et abandonne à quai les demandes de justice. Penser l'écologie depuis le monde caribéen confronte cette absence à partir d'une région où impérialismes, esclavagismes et destructions de paysages nouèrent violemment les destins des Européens, Amérindiens et Africains. Le navire négrier rappelle que certains sont enchaînés à la cale et parfois jetés par-dessus bord à la seule idée de la tempête. Tel est l'impensé de la double fracture moderne qui sépare les questions coloniales des destructions environnementales. Or, panser cette fracture demeure la clé d'un " habiter ensemble " qui préserve les écosystèmes tout autant que les dignités. Telle est l'ambition d'une " écologie décoloniale " qui relie les enjeux écologiques à la quête d'un monde au sortir de l'esclavage et de la colonisation. Face à la tempête, ce livre est une invitation à construire un navire-monde où les rencontres des autres humains et non-humains sur le pont de la justice dessinent l'horizon d'un monde commun. Malcom Ferdinand est ingénieur en environnement de University College London, docteur en philosophie politique de l'université Paris-Diderot et chercheur au CNRS (IRISSO / Université Paris-Dauphine).

Cité dans 2 épisode(s) :

3 personne(s) mentionnée(s) :

  • Les penseur et penseuse socialistes Élisée Reclus et Louise Michel
  • Les penseuses de l’intersectionnalité : Kimberlé Crenshaw, Patricia Hill Collins, Angela Davis
  • Les penseuses des articulations entre spécisme et d'autres oppressions Myriam Bahaffou et Dalila Awada

5 autres références :