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Épisode #5 Végétalisme : un régime à la noix ? - Sébastien Demange

28 février 2022
Comme un poisson dans l’eau - #5 Végétalisme : un régime à la noix ? - Sébastien Demange
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Description

Bienvenue dans Comme un poisson dans l'eau, le podcast contre le spécisme ! Faut-il manger des animaux pour être en bonne santé ? Le Dr Sébastien Demange a répondu dans cet épisode à toutes les préoccupations entourant les régimes végétarien et végétalien : carences, complémentation en vitamine B12, protéines, fer, iode, calcium, etc. On a parlé des conditions - médicales ou autres - qui peuvent rendre plus difficile l'adoption d'un régime exclusivement végétal. Mais l'alimentation n'est pas seulement une question de choix individuels : c'est aussi un enjeu de décisions collectives et politiques, qu'il soit question de la formation des médecins, des menus disponibles dans les lieux de restauration collective, des recommandations de l'ANSES, et plus largement du contexte social dans lequel on se trouve. En faisant le tour de toutes ces questions, on a écarté de nombreuses idées reçues sur l'alimentation végétale !

Transcription

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Victor Duran-Le Peuch : Salut, moi c'est Victor Duran-Le Peuch, et vous écoutez un entretien de Comme un poisson dans l'eau, le podcast contre le spécisme. Une des façons d'analyser le spécisme est de décrire l'idéologie spéciste, qui en est une dimension. Une idéologie, c'est un système d'idées, mais au final, quand on le décompose, ce n'est rien d'autre qu'un ensemble de croyances, qui peuvent chacune être vraies ou bien fausses. Dans le système d'idées, elles sont tout de même censées avoir une relative cohérence entre elles. Dans Comme un poisson dans l'eau, on s'efforce de décortiquer ce système d'idées spéciste, de voir quelles sont les croyances qui le fondent, et quelles pratiques ces croyances sont censées venir justifier. On a vu, dans les deux derniers épisodes, comment le langage véhicule implicitement, par les mots qu'on utilise, certaines idées. Par exemple, la séparation ou la césure entre les humains et tous les autres animaux, et la supériorité des humains. Et bien aujourd'hui, on examine une autre de ces croyances. L'idée qu'il est nécessaire de manger des animaux pour être en bonne santé. Cette idée-là est vraiment centrale dans le système spéciste, car c'est elle, articulée à d'autres, qui est souvent mobilisée pour tenter de justifier la mise à mort de milliards de non-humains chaque année pour la consommation humaine. Cette croyance, on va la passer à la loupe avec Sébastien Demange, qui est médecin généraliste, avec des formations complémentaires en nutrition. Il a fait une thèse sur la relation médecin-patient au regard du végétarisme. Il fait partie du conseil scientifique de l'ONAV, l'Observatoire National de l'Alimentation Végétale, dont on parlera dans l'épisode. Et donne des cours dans le tout nouveau diplôme universitaire Alimentation Végétarienne, proposé par la Faculté de Médecine de Sorbonne Université.

Victor Duran-Le Peuch : Bonjour Sébastien Demange.

Sébastien Demange : Bonjour.

Victor Duran-Le Peuch : Est-ce qu'on pourrait commencer, simple, en définissant juste les termes qui nous intéressent. C'est-à-dire, qu'est-ce que c'est le végétarisme et qu'est-ce que c'est le végétalisme ?

Sébastien Demange : Alors, si on parle de végétarisme et de végétalisme, on parle principalement d'alimentation. C'est des termes alimentaires. Le végétarisme, alors, on a une tendance à le définir par l'exclusion, c'est-à-dire par ce que ne mangent pas les personnes. Donc les végétariens et les végétariennes ne mangent pas de viande, qu'elle soit d'animaux terrestres ou aquatiques. Donc pas de viande, pas de poisson. Je précise quand même, parce que des fois il y a une petite confusion à ce niveau-là. Le végétarisme constitue en fait une alimentation où on va en plus supprimer les œufs, le lait, le miel, tous les produits qui ont une origine animale.

Victor Duran-Le Peuch : Et du coup, il y a des petites nuances parfois ? J'ai entendu parler d'ovo-végétarien ou de lacto-végétarien.

Sébastien Demange : Alors tout à fait. Le terme végétarisme peut avoir des sous-catégories. Ovo-végétarien, donc les végétariens qui consomment des œufs mais pas du lait. Ou lacto-végétarien qui consomme du lait mais pas des œufs. Pour les lacto-végétariens, on peut notamment penser aux Indiens. La population de l'Inde, donc une grande partie est végétarienne, sont principalement lacto-végétariennes, ne consomment pas d'œufs non plus. Tout simplement parce que les œufs peuvent être fécondés en Inde. Et du coup, le risque de tomber sur un poussin est grand.

Victor Duran-Le Peuch : Alors je crois savoir que vous êtes engagé pour l'indépendance de la médecine. Alors j'aimerais savoir si vous concevez cette indépendance plutôt par rapport au pouvoir politique et économique, ou aussi par rapport aux engagements militants ou aux éventuels biais personnels. Alors je pose cette question parce qu'en particulier sur les questions de nutrition, on peut entendre tout et son contraire par des personnes qui se déclarent toutes compétentes et avec des diplômes. Alors comment on fait en fait pour s'informer correctement ? Et est-ce que la parole des médecins n'a pas tendance à être fortement influencée par leur prise de position éthique, dans un sens comme dans l'autre ? Car le fait de manger ou non des animaux a une forte composante éthique. Désolé, très longue question.

Sébastien Demange : Non, non, mais vous avez raison de poser. Alors déjà, ça me permet d'introduire effectivement mes liens d'intérêts. Donc je n'ai pas de lien d'intérêt avec le sujet dont on va parler aujourd'hui. Donc c'est très important, effectivement, c'est la loi. Normalement, toute déclaration publique d'un médecin doit être accompagnée d'une déclaration de liens d'intérêts. Et après, plus que ça, et j'aime à le préciser, effectivement, j'ai des liens d'intérêt, on va dire, personnels, dans le sens que, oui, je suis convaincu qu'on peut avoir une alimentation, 100% végétale, convaincu parce que j'ai des données scientifiques, mais l'étant moi-même, ça peut influencer ma vision des choses, forcément. J'espère qu'un jour, on entendra notamment un médecin ou quelqu'un qui parle d'alimentation dire « oui, mais moi, je mange de la viande ». Je trouverais ça intéressant comme lien d'intérêt, se rendre compte qu'on n'a pas un biais que d'un côté, en fait, et que ce biais, il est des deux côtés. Puis je trouverais que ça serait une prise de conscience intéressante, en fait, que de dire « oui, je mange de la viande, donc peut-être que j'ai, moi aussi, ce qu'on appelle un biais de confirmation ». C'est-à-dire que, quand je lis des données, ça vient confirmer ce que je pense et, du coup, j'ai une tendance à les croire plus facilement. Alors, moi, à ce niveau-là, j'adopte une attitude inverse, c'est-à-dire que, quand je vois une donnée qui vient confirmer ce que je pense, j'ai une tendance à être plus critique. Ce n'est pas forcément plus juste, d'ailleurs. On devrait avoir le même niveau, on va dire, d'exigence, quels que soient les papiers qu'on a devant nous. Mais, voilà, j'essaye de me dire, ben, comme, potentiellement, on va me reprocher d'avoir un biais de confirmation, ben, j'essaye vraiment d'aller le chercher. Donc, à qui faire confiance ? Ben, ça, c'est toujours compliqué. Moi, comme je dis souvent, j'aime bien faire confiance aux gens qui se trompent. Alors, ça peut paraître un peu paradoxal, mais se tromper et l'admettre, ben, je trouve ça plutôt… (Et qu'ils le reconnaissent, en fait.) Oui, voilà, c'est ça, tout simplement. C'est-à-dire, je n'ai pas encore rencontré de personne qui ne s'est jamais trompée. J'ai rencontré des gens qui le pensent, mais pas dans les faits. Et c'est vrai que, quand on nous amène des faits où on dit « ah, ben oui, ben là, je me suis trompé », bon, ben, ça arrive. Je l'intègre dans ma réflexion et on continue. Ben, je trouve que c'est, effectivement, une démarche que je trouve intéressante. Alors, après, effectivement, une formation, c'est bien. On a montré que ça ne faisait pas tout non plus. Donc, c'est vrai que c'est vrai, parce qu'on a des grands titres que, forcément, notre parole vaut parole d'or et qu'elle ne peut pas être remise en cause. Alors, ça paraît, si on ne peut pas remettre une parole en cause, c'est dommage, quoi, c'est-à-dire, c'est un peu le principe de la science, que de pouvoir discuter sur des thèmes et des thématiques, on apporte des arguments et puis, ben, on essaye de faire avancer le débat. On voit qu'en pratique, ce n'est pas toujours aussi évident. Mais, voilà, je trouve que c'est un bon moyen de se rendre compte un petit peu de la fiabilité qu'on peut prêter à la personne en face de nous. Je ne sais pas si j'ai répondu à la longue question, mais...

Victor Duran-Le Peuch : Ben, si, si, justement, merci d'avoir repris tous les éléments. Ben, du coup, maintenant, je vais vous poser une question simple et courte par rapport à la précédente, mais qui est, en fait, la question centrale de l'épisode et vous avez commencé à répondre. Est-ce qu'on peut être en bonne santé sans manger de produits animaux ?

Sébastien Demange : Ben là, c'est très clair, la réponse, elle est oui. Je devais faire une réponse courte. Après, comme on s'en rend souvent compte, les réponses courtes contiennent beaucoup de nuances. C'est-à-dire, on peut l'être, ce qui veut dire qu'on peut ne pas l'être aussi. Alors, dans les fameux écrits, notamment de l'Académie d'éthique américaine, une alimentation végétarienne, y compris végétalienne, bien planifiée peut amener une bonne santé. Toute la question étant du bien planifié. Mais ça, comme toute alimentation, c'est-à-dire qu'il n'y a pas un aliment qui permettrait d'être sûr d'avoir son alimentation équilibrée. Donc, c'est pas parce qu'on mange de la viande qu'on est sûr d'avoir une alimentation équilibrée. Voilà, il n'y a pas un aliment parfait. On nécessite, pour notre bonne santé, d'avoir une diversité alimentaire. Et ça aussi bien dans une alimentation végétale. Aucune alimentation n'est par définition parfaite en elle-même. C'est-à-dire, on peut manger des frites tous les jours, cuites à l'huile végétale. C'est 100% végétal, il n'y a pas de problème. Mais non, ça ne sera pas bon pour la santé.

Victor Duran-Le Peuch : Les Oreos sont véganes.

Sébastien Demange : Par exemple.

Victor Duran-Le Peuch : Mais il ne faut pas manger que des Oreos.

Sébastien Demange : Après, on peut l'intégrer. C'est-à-dire, on peut manger des Oreos quand même. Ce n'est pas défendu, même d'un point de vue d'équilibre alimentaire. Mais effectivement, notre alimentation ne peut pas reposer que là-dessus. Et de fait, par contre, effectivement, on peut avoir une alimentation 100% végétale et être en bonne santé. Il y a un petit point d'intention qui est vraiment à avoir, qui est la vitamine B12. Mais je pense qu'on y reviendra un peu plus tard. Après, il y a d'autres points d'intention. C'est-à-dire, vraiment, comme je disais, chaque alimentation, on doit faire attention à certaines choses. Une alimentation classique qu'on peut voir en France, par exemple, comporte tout plein d'éléments sur lesquels on doit être attentif pour avoir une alimentation équilibrée. Alors, pour le moment, les recommandations concernent principalement l'alimentation très largement majoritaire, et ça se comprend. Il y a des recommandations aussi pour une alimentation 100% végétale.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord. Et est-ce que c'est aussi le cas à tous les âges de la vie, y compris les très jeunes enfants, par exemple, et pour les femmes enceintes ?

Sébastien Demange : Alors, effectivement, on a de plus en plus de données sur les populations, sur les enfants, les femmes enceintes et donc les très, très jeunes enfants, de la diversification alimentaire. Et ces données, ce qu'elles nous montrent, c'est qu'effectivement, on peut avoir une alimentation 100% végétale et avoir une croissance tout à fait normale, un développement psychomoteur tout à fait normal également.

Victor Duran-Le Peuch : Alors, j'ai vu que récemment, il y a un rapport, je ne sais pas quel statut ça a, mais une sorte de rapport de l'OMS qui est sorti sur cette question-là.

Sébastien Demange : Tout à fait. Donc, très, très récemment, parce que c'était courant janvier, la parution date de quelques mois, mais c'est toujours pareil, entre la date de parution et le rendu public, il y a toujours du délai. Et en fait, l'OMS qui, justement, voyant les alimentations végétales, c'est-à-dire les alimentations soit avec une diminution drastique des produits animaux, soit effectivement le végétarisme ou le végétalisme qu'on a défini un peu plus tôt dans l'émission, et voyant ces alimentations-là se développer, qui ont voulu faire un peu le point des données de la science là-dessus, et ils se sont rendus compte qu'il n'y a pas de souci, qu'on peut tout à fait, à tout âge de la vie, être végétalien. Il y a effectivement, comme je disais, des points d'attention, mais qu'on peut tout à fait vaincre et tout à fait, remplir et tout à fait suivre sans que ça soit trop compliqué au quotidien, parce que c'est vrai que ça rentre aussi en ligne de compte, il faut que les choses soient relativement faisables et pratiques. Et alors, ce qui est intéressant, c'est qu'ils ont même tablé sur une vision de la santé un peu plus large que la santé individuelle, et de dire même qu'une alimentation 100% végétale, il y a des intérêts au niveau environnemental, et très probablement aussi des intérêts au niveau économique, parce que les gens tombant en moins malade, il y a moins de frais de santé, parce qu'il faut quand même considérer, et ça l'OMS alerte depuis des décennies maintenant, sur une épidémie de maladie qui est ce qu'on appelle non transmissible, c'est-à-dire qu'il n'y a pas un agent viral comme on peut le voir actuellement avec le Covid par exemple, mais qui est vraiment due à notre mode de vie en Occident, et qui montre une montée des maladies cardiovasculaires en tête, du diabète de type 2 et de certains cancers, et ça très clairement on a montré qu'une consommation importante de viande rentrait en ligne de compte, et qu'on pouvait vraiment combattre ces maladies-là en adoptant une alimentation soit plus végétale, soit complètement végétale. Donc c'est un rapport qui est assez court finalement, parce que de mémoire il fait 13-14 pages, mais qui est bien documenté avec des sources sur lesquelles on peut discuter, c'est toujours intéressant. Voilà, on parlait de confiance à un moment donné, un discours qui ne serait pas sourcé, il est intéressant en soi, mais à un moment donné, si jamais il y a des choses qui nous étonnent, il faut que la personne en face puisse fournir et dire voilà, je dis ça parce qu'il y a ces papiers-là qui sont sortis.

Victor Duran-Le Peuch : Alors venons-en aux questions qui fâchent, et aux questions un peu plus difficiles d'un régime végétalien, les carences ! Est-ce qu'on a des risques d'être carencés ? Alors vous l'avez déjà évoqué, ce qui revient tout de suite dans le débat quand on parle de végétalisme, c'est la question de la vitamine B12. (Tout à fait.) Il faut se supplémenter quand on a un régime végétalien en vitamine B12 ?

Sébastien Demange : Oui, alors même avant en fait, c'est-à-dire même les végétariens, et même les personnes flexitariennes qui auraient moins de la moitié des repas contenant des produits d'origine animale, ont besoin de se supplémenter en vitamine B12. Alors au départ plus, on va dire, un principe un peu de précaution, mais dès le végétarisme, là on est sûr qu'il faut se complémenter. Ce qui est important de comprendre, c'est que de un, c'est une complémentation qui est sûre, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de surdosage connu en tout cas, et on est monté assez haut dans les doses pour en être convaincu. Donc déjà, il n'y a pas de risque à se supplémenter. Donc ça nous permet d'être un peu plus libre et de dire non, mais dès qu'on diminue, on y va quoi. Parce que le problème, c'est que c'est une carence qui peut mettre plus ou moins de temps à arriver. Donc on ne va pas forcément faire le lien de cause à effet, de se dire tiens, j'ai arrêté là par exemple, mais je déclenche des signes cliniques deux ans plus tard, trois ans plus tard. On ne va pas forcément partir là-dessus tout de suite. Et en plus des signes qui peuvent être très variables et pas forcément spécifiques. Ça peut être des fourmillements dans la main, ça peut être des choses un petit peu comme ça. Mais surtout, le problème, c'est que ces signes cliniques ne sont pas forcément réversibles. C'est-à-dire qu'au moment où on reprend de la vitamine B12, on ne peut pas garantir que ça va rentrer dans l'ordre. Donc quand on voit les problèmes que ça peut causer, que la solution finalement, elle n'est pas risquée et en plus qu'elle n'est pas très coûteuse. C'est-à-dire actuellement, une complémentation en vitamine B12, ça peut revenir à 2 euros l'année. Donc ça n'apparaît pas non plus un investissement très compliqué. Même si j'entends, ça coûte quand même un peu. Mais bon, les produits d'origine animale ont tendance à coûter cher aussi. Donc souvent, on s'y retrouve quand même au niveau économique. Ça paraît, on a des études là-dessus pour montrer que ça coûte quand même moins cher. Et du coup, vraiment, on insiste. Oui, il faut se supplémenter en vitamine B12. Voilà, pour au moins là-dedans. Après, il y a des points d'attention un peu particuliers. Par exemple, l'iode. Alors, tout simplement parce que dans une alimentation végétalienne, l'iode, on ne peut en trouver que dans les algues en quantité suffisante. Parce que par exemple, le sel, et en France en tout cas, beaucoup de sels sont supplémentés en iode pour éviter effectivement la carence qui était à un moment donné très fréquente dans la population.

Victor Duran-Le Peuch : Donc, même pour un régime omnivore, en fait, beaucoup de gens étaient déjà carencés en iode.

Sébastien Demange : C'est ça. Alors, notamment, c'est l'expression qu'on utilise, les « crétins des Alpes ». Le crétinisme, en fait, c'est une maladie qui est due à une carence en iode. Et les populations qui vivaient dans les Alpes, donc loin de la mer et qui n'avaient pas accès à des produits de la mer, développaient une hypothyroïdie. Et du coup, le crétinisme vient de là. Donc, on a supplémenté le sel, mais pas de manière suffisante. Il faudrait manger plus de 8 grammes de sel pour avoir l'iode dont on a besoin.

Victor Duran-Le Peuch : C'est pas recommandé.

Sébastien Demange : Non, voilà. C'est vraiment pas recommandé. Donc, voilà. Donc, on s'est rendu compte que le premier apport, en fait, de l'iode dans la population française actuellement, c'est les produits laitiers. Alors, pour une raison un petit peu particulière. Alors, les produits laitiers, déjà, il y a quand même de l'iode dedans, de manière naturelle, on va dire, entre guillemets, c'est un mot que je n'aime pas beaucoup, mais voilà, il y a quand même de l'iode dedans. Mais, en fait, ce qui se trouve, c'est que le pi des vaches, le matériel de traite et quand les vaches se blessent, tout ça, c'est nettoyé avec des produits iodés. L'iode contenu dans ces produits-là diffuse dans le lait et du coup, on se retrouve avec du lait qui contient beaucoup d'iode.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord.

Sébastien Demange : Donc, voilà. Dès qu'on arrête les produits laitiers, ça devient déjà plus problématique. Et les algues, bah après, alors déjà, les algues, on déconseille d'en donner avant 3 ans parce qu'il y a une forte teneur en iode et du coup, ça pourrait être compliqué. Et après, il faut aimer, tout simplement. Tout le monde n'aime pas forcément les algues. Alors, il y a des petites astuces quand même parce qu'on peut cuire, par exemple, le riz, mettre des algues dedans et enlever l'algue à la fin parce que l'eau de cuisson, en fait, aura absorbé l'iode et ça aura diffusé dans le riz. Mais ça devient un peu compliqué. Donc, c'est faisable. Ce n'est pas impossible d'avoir de l'iode. Mais on a une tendance à conseiller de se complémenter pour être sûr de la valeur absorbée. Donc, ça, c'est les deux points un peu spécifiques. Et on voit pourquoi une alimentation finalement classique en France, on n'en a pas besoin. C'est qu'il y a déjà une supplémentation qui est comprise, on va dire, dans le packaging. C'est-à-dire qu'on a actuellement des mesures sanitaires et de santé publique qui sont prises au vu de l'alimentation générale. On va trouver des yaourts, par exemple, enrichis en vitamine D ou des choses comme ça parce qu'il y a une forte carence de vitamine D. Alors, ça, ça concerne toute la population. Alors, plutôt un fort déficit. La carence est plus rare, mais il y a quand même un gros déficit. Et du coup, en fait, tous ces éléments-là qui sont prévus pour une alimentation classique ne sont pas prévus pour une alimentation végétalienne parce que, par exemple, un végétalien ne va pas manger de yaourt non plus. Donc, on prévoit de le supplémenter en vitamine D un petit peu à son insu, entre guillemets, même si c'est marqué. Et de fait, lui, il ne va pas bénéficier en fait de ces mesures de santé publique. Et juste parce que c'est quelque chose qu'on nous dit souvent aussi, c'est le faire. Toutes les études le montrent. Il n'y a pas plus de carences en fer dans la population végétalienne que dans la population avec une alimentation classique qui comprend de la viande. Le risque vraiment d'avoir un déficit en fer concerne les personnes qui ont des règles, qui, du coup, perdent du sang tous les mois et de fait, qui ont des besoins majorés en fer. Mais ça, ça concerne aussi bien les personnes végétaliennes que les personnes qui consomment de la viande. Le fer, ça fait partie des grandes idées reçues. Et quand on fait des études, on se rend compte que finalement, ça se passe plutôt bien.

Victor Duran-Le Peuch : Parce que moi, j'avais entendu qu'il y avait deux types de fer, l'un qu'on trouvait dans les produits animaux, surtout dans la viande, et l'autre qu'on pouvait trouver dans les légumineuses et les lentilles, par exemple, mais qu'il n'était pas aussi bien assimilé quand le fer était d'origine végétale.

Sébastien Demange : Tout à fait. Alors ça, c'est vrai. Effectivement, le fer éminique, en fait, c'est deux voies d'absorption différentes. Donc le fer qu'on trouve dans la viande qui est lié à l'hème, donc à l'hémoglobine, du fer éminique, lui, est mieux absorbé parce qu'il n'est pas régulé, en fait. Mais on pense que ce n'est pas forcément mieux. Il y a quand même plusieurs études qui montrent que, notamment en quantité un peu importante, ça peut avoir un effet délétère, notamment sur les intestins. Et à côté, donc, du fer non éminique, qui est contenu dans les végétaux, mais aussi dans la viande. Il faut savoir que dans la viande, il y a un tiers de fer éminique, deux tiers de fer non éminique. Ce n'est pas non plus du concentré de fer éminique. Et ce fer-là qui, lui, est régulé et notamment qui est mieux absorbé quand on a de la vitamine C qui est consommée en même temps dans le repas. Et il se trouve que là, pour le coup, une alimentation végétalienne, de fait, comme il y a plus de fruits et légumes, généralement, quand même, dans ce qu'on observe, il y a plus de vitamine C. Donc, du coup, on a une tendance à mieux absorber le fer non éminique.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord. Donc ça compense, en fait.

Sébastien Demange : Pas totalement. C'est-à-dire que le fer est quand même un peu moins bien absorbé. Mais on on en consomme déjà en plus grande quantité. Et il est un peu mieux absorbé parce qu'on consomme plus de vitamine C.

Victor Duran-Le Peuch : Et alors, j'avais une autre vitamine, enfin, je ne sais pas si c'est une vitamine, mais le calcium, vu que les végétariens ne consomment pas de produits laitiers non plus.

Sébastien Demange : Alors, le calcium, effectivement, c'est vrai qu'on a tous entendu les lobbies marchent fort là-dessus. Les produits laitiers, nos amis pour la vie, c'est des choses... Des fois, c'est ce qui est assez incroyable parce que ça fait des années que je n'ai pas regardé la télévision et j'ai encore des spots comme ça publicitaires en tête.

Victor Duran-Le Peuch : Moi aussi, je l'ai encore en tête. Les produits laitiers sont nos amis pour la vie.

Sébastien Demange : C'est ça. Et en fait, on s'est rendu compte que, notamment au niveau du calcium, ça reste un produit intéressant au niveau du calcium, si on parle en termes de nutrition, mais qu'on peut en trouver tout à fait ailleurs. Et il y a des produits végétaux qui contiennent plus de calcium ou moins de calcium que les produits laitiers. Calcium qui peut être moins bien absorbé que les produits laitiers ou mieux absorbé pour certains. Et du coup, on considère qu'en moyenne, le calcium végétal va être aussi bien absorbé que le calcium contenu dans les produits laitiers. Néanmoins, ce que montrent les études, c'est qu'il y a quand même certains végétaliens et certaines végétaliennes qui ne consomment pas assez de calcium. C'est-à-dire qu'on a ce qu'on appelle un écart-type important. C'est-à-dire qu'en moyenne, les végétaliens et les végétaliens consomment suffisamment de calcium. Mais si on regarde dans le détail, il y a des gens qu'on consomme beaucoup et d'autres qu'on consomme moins. Donc effectivement, ce qui vaut quand même le coup, c'est par exemple si on consomme du lait aux soja ou du lait aux amandes ou du lait d'avoine, c'est de le prendre enrichi en calcium. Quand ils sont enrichis en calcium, c'est avec une algue, le lithotame. Et il se trouve que ce calcium-là est aussi bien absorbé que le calcium des produits animaux. Et donc un verre de lait d'avoine enrichi en calcium équivaut à un verre de lait de vache en calcium. Voilà. Donc ça peut être intéressant. Il ne faut pas être trop axé sur le calcium. Mais quand on a le choix entre deux produits, je pense au lait notamment, prendre plutôt celui qui est enrichi, c'est quand même une bonne habitude à avoir.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord. Alors dernier élément que j'avais en tête, mais c'est souvent un de ceux qui est le plus souvent mis en avant pour parfois critiquer ou s'inquiéter d'un régime végétalien, c'est les protéines. Est-ce que les végétaliens peuvent trouver des protéines dans les plantes ?

Sébastien Demange : Heureusement, heureusement, heureusement. Oui, tout à fait. C'est vrai que c'est, comme je dis souvent, c'est un sujet au début où j'ai commencé à parler du végétarisme, du végétalisme. Genre, quoi, ma première conférence, je n'en ai même pas parlé du tout, tellement je trouvais que c'était un non-sujet, en fait, à force d'avoir lu des études dessus. Mais je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup, beaucoup de questions qui portaient autour des protéines, qu'il y avait beaucoup de désinformation autour des protéines végétales, et que du coup, c'était intéressant d'aller creuser le sujet, donc c'est ce que j'ai fait, d'aller bien bien voir un peu ce qu'on pouvait en dire. Et donc, il faut être très clair, non, non, on peut avoir, déjà, on n'a pas un besoin en protéines, mais lié, en fait, aux acides aminés que les protéines contiennent. C'est-à-dire que les protéines, c'est un enchaînement d'acides aminés. Et dans les acides aminés, il y en a certains qu'on n'est pas capable de produire et que notre alimentation doit forcément apporter, ce qu'on appelle, donc, les acides aminés indispensables ou essentiels, en fonction des textes. Et, ben alors, qui sont contenus dans tous les végétaux. Et on avait, à un moment donné, une tendance à dire, oui, mais il y en a un peu moins. C'est vrai. Effectivement, il y en a moins. Alors, c'est vrai, mais il faut savoir un truc qui est assez intéressant avec la nutrition, c'est que plus, ça ne veut pas forcément dire mieux. Et ce qu'on s'est rendu compte, c'est que d'en avoir moins, c'était peut-être même un avantage. Il y a notamment des liens, en fait, entre l'excès de protéines animales et le diabète de type 2, par exemple. On a montré des choses comme ça, donc ce n'est pas forcément plus mal. Mais surtout, ce qu'on a montré, c'est qu'on n'avait pas besoin d'avoir un apport unique. Alors déjà, c'est qu'un repas, généralement, ce n'est pas composé que d'une seule composante. C'est-à-dire que regardez, par exemple, le riz. Oui, enfin, c'est rare qu'on ne mange quand même que du riz à un repas. Donc, il faut voir ce qu'il y a autour. Et il y a toujours des apports un petit peu autour. Et puis, surtout, qu'on a une réserve d'acides aminés circulants qui peuvent venir effectivement compenser si jamais il y avait un manque dans un aliment. Alors déjà, s'il y avait légèrement moins, par exemple, dans le riz, il va y avoir un peu moins de lysine, par exemple. Et dans les légumineuses, il va y avoir un peu moins de méthionine, par exemple, ou d'acides aminés soufrés. Et on se rend compte que finalement, avec le pôle circulant, avec le fait qu'on ne mange pas un seul aliment, et au vu des quantités de protéines qu'on mange chaque jour, c'est-à-dire qu'on a des besoins autour de 0,83 grammes par kilo de masse corporelle par jour de protéines. Alors, c'est un peu barbare comme ça à l'oreille. Mais au final, même les végétaliens en France, on est plutôt autour de 1,2 grammes. Donc, on est bien au-dessus quand même des végétaliens et des recommandations. Et ça fait que ce n'est vraiment pas un sujet d'inquiétude. Et voilà, c'est une donnée qui est complètement obsolète que de parler des protéines complètes, par exemple, ou incomplètes. Il y a un très bon papier là-dessus du professeur Mariotti, qui est président du comité expert nutrition de l'ANSES, et qui montre bien que, voilà, au vu de nos quantités de protéines consommées, à partir du moment... Alors, ce qui est quand même important à signaler, c'est d'avoir quand même une alimentation diversifiée. C'est-à-dire, encore une fois, pour revenir sur les frites, si on mangeait des frites tous les jours, il y a un moment donné, ça posera des problèmes, mais pas que sur les protéines, en fait. Ça posera des problèmes sur les protéines, mais pas que là. Et donc, c'est important, effectivement, de consommer régulièrement des légumineuses, notamment. Et puis, des céréales complètes, des noix, des fruits secs, mais des protéines, on en trouve quand même assez facilement.

Victor Duran-Le Peuch : Je n'ai pas les chiffres précis, mais je crois qu'il y a une très forte proportion des personnes qui essayent de devenir végétarienne ou végétalienne qui n'arrivent pas à tenir sur le long terme et qui finissent par recommencer à manger de la viande. Alors, comment est-ce que vous expliquez cela ? Et quels conseils est-ce que vous pourriez donner à quelqu'un ou quelqu'une qui essaye de changer son alimentation pour que ce soit pérenne ?

Sébastien Demange : Alors, il y a plusieurs choses, effectivement. Je n'ai pas non plus les chiffres exacts en tête. Et puis, c'est compliqué à avoir une donnée, on va dire, voilà, chiffrée là-dessus. Mais on peut le constater. Alors déjà, il y a le premier point qui est la pression sociale. C'est-à-dire, effectivement, quand on adopte, quand on change son alimentation et qu'à longueur de journée, parce qu'il faut quand même se rendre compte que ça peut être des fois à longueur de journée, on vient nous taper sur notre alimentation en disant qu'on va être carencés, qu'on va être moins en forme, qu'on va... Ben, ça finit par être pesant, qu'encore une fois, la société n'est pas forcément adaptée. Et par exemple, quand on va au restaurant et qu'il n'y a pas d'option pour qu'on puisse manger, de devoir interpeller le serveur ou la serveuse, de lui dire là, est-ce que vous pouvez me faire... Ben, ce n'est pas évident, ce n'est pas toujours facile. Voilà, des fois, on aimerait bien que ça se passe quand même de manière plus fluide. Donc, il y a ces éléments-là. Il y a au niveau médical également, c'est-à-dire que, ben moi, c'était le sujet de ma thèse, donc ça, je peux un peu plus en parler, qui est qu'effectivement, quand on dit à son médecin qu'on est devenu végétarien ou végétalien et qu'au moindre symptôme, il nous dit, ben, vous n'avez qu'à manger de la viande, ça ira mieux. Et j'aimerais être caricatural, mais malheureusement, je le suis pas tant que ça. Ben, c'est compliqué aussi, c'est-à-dire qu'on finit par se dire, ben oui, effectivement, est-ce que le problème ne vient pas de là ? Et en plus de ça, il nous dit ça et il ne nous donne pas les bons conseils. Donc, c'est-à-dire, voilà, ce serait comme, voilà, de dire, vous ne pouvez pas le faire, mais si vous tenez absolument à le faire, ce qui serait déjà un peu surprenant, mais voilà les choses sur lesquelles vous devez faire attention. Tandis que là, non, c'est juste qu'on vous dit vous n'avez qu'à manger de la viande et puis on vous laisse comme ça. Donc, après, on va se renseigner un peu comme on peut. Internet est un outil formidable, mais on trouve des choses plus ou moins bonnes et puis à qui se fier finalement, c'est assez compliqué. Alors, les conseils que je pourrais donner, ben, c'est déjà effectivement, ben, comme je disais, quoi, se supplémenter en vitamine B12, ça, c'est essentiel de le faire. De ne pas hésiter de se rapprocher effectivement d'associations ou d'organismes qui sont un peu spécifiques dans ce domaine-là. Et du coup, pour avoir des solutions et des bons conseils, de rejoindre effectivement des groupes, c'est-à-dire de ne pas rester isolé là-dessus pour essayer effectivement d'avoir les meilleurs conseils et de voir ce qui fonctionne et de se faire si besoin accompagner effectivement si on ne trouve pas les bons éléments. Maintenant, on trouve quand même de plus en plus sur Internet, notamment les médecins ouverts. Alors, déjà, il ne se reste que ça, en fait. Déjà ouverts au végétarisme, au végétalisme qui ne vont pas forcément tout relier à ça et pouvoir donner des bons conseils. Voilà, il y a vraiment différents outils maintenant qui existent. Et puis, alors des fois, il faut y aller plus progressivement aussi. C'est-à-dire le conseil que j'ai donné, ce n'est pas se décourager dans le sens que des fois, tout simplement, nos intestins qui ont été habitués à une alimentation pendant des fois des années, voire des décennies, peuvent mettre un peu de temps à se remettre à fonctionner correctement après un changement de l'alimentation. Et ça peut demander, alors pour les plus chanceux d'entre nous, à peine 24, 48 heures. Il y a des gens, voilà, ils vont sortir un peu et puis, pof, ça va rentrer dans l'ordre et ils vont même pas avoir senti qu'il y a quelque chose qui s'est passé. Et il y a des gens, ça peut mettre plusieurs mois à ce que le microbiote s'habitue à la nouvelle alimentation. Donc des fois, malheureusement, un des conseils, ça peut être d'y aller progressivement, ce qui n'est pas toujours évident, c'est-à-dire notamment pour les personnes qui veulent devenir végétaliennes pour la cause animale, par exemple. C'est-à-dire quand on se rend compte de la souffrance qu'il peut avoir derrière notre alimentation et qu'on ne veut plus y participer et que du coup, de fait, on change notre alimentation. Ça a tendance à être abrupt. Mais que c'est un peu difficile, notamment au niveau intestinal, se dire bah oui, je vais devoir diminuer. C'est un conseil qui peut être compliqué. Donc là-dessus, il peut aussi y avoir une manière de préparer. C'est-à-dire on conseille beaucoup, par exemple, les céréales complètes. Dans un premier temps, prendre des céréales raffinées ou semi-complètes, ça peut être une bonne idée. Les légumineuses, il y en a des plus digestes que d'autres. Commencez par exemple par les lentilles corail, par le tofu, des produits fermentés, ça peut aider aussi et faciliter les choses. Donc, les légumineuses, et d'ajouter du bicarbonate dans l'eau de cuisson, ça rend aussi les légumineuses plus digestes. Enfin, il y a des petites astuces. C'est pour ça que je dis, si c'est compliqué, il ne faut pas hésiter à se rapprocher d'un professionnel de santé qui est formé aux alimentations végétariennes et végétaliennes pour qu'ils puissent effectivement nous donner des idées pour notre cas personnel et nous aider à être en accord avec nos idées.

Victor Duran-Le Peuch : Justement, vous en avez abordé quelques-unes, mais je me demandais au-delà de la question vraiment des carences, est-ce qu'il n'y aurait pas des contre-indications pour certaines personnes ayant certaines conditions médicales, une contre-indication à un régime exclusivement végétal ? Donc, je vais en donner plusieurs et vous pouvez répondre pour chacun. Déjà, quand une personne a des troubles du comportement alimentaire, est-ce qu'il n'y a pas un risque à mettre des restrictions et donc s'interdire un certain nombre d'aliments ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque de raviver des comportements qui vont faire s'empirer le trouble du comportement alimentaire ?

Sébastien Demange : C'est effectivement l'une des raisons sur laquelle il faut être prudent. Les personnes avec des troubles du comportement alimentaire, de un, ce n'est pas forcément aussi simple, c'est-à-dire qu'elles ne choisissent pas forcément l'impulsion qu'elles vont avoir envers une nourriture. La sphère de l'alimentation peut être déjà compliquée. C'est là où j'aime bien rappeler aussi la définition du véganisme qui est de faire aussi bien qu'on peut, pour résumer un petit peu. Et du coup, de ne pas se retrouver dans un sentiment de culpabilité parce que là-dessus on n'y arrive pas. On peut des fois lire là-dessus un peu sur les réseaux sociaux notamment, qui ne sont pas toujours très tendres. Voilà, on ne connaît pas les difficultés qu'a une personne. On ne peut pas se permettre de les juger déjà pour continuer aussi. Et donc la personne, là, elle fait peut-être aussi bien qu'elle peut. Et c'est déjà beaucoup, d’est déjà probablement une souffrance pour elle de ne pas arriver à faire plus. C’est pas utile d’en rajouter. Et ce n'est pas à nous de déterminer ce qui est possible ou pas pour une personne. Je pense qu'une personne qui fait déjà la démarche, après derrière elle va faire comme elle peut à ce niveau-là. Mais ça peut être effectivement une condition médicale pouvant rendre compliqué un changement alimentaire. Et donc, voilà, encore une fois on n'a pas à juger là-dessus.

Victor Duran-Le Peuch : Une autre chose que j'avais en tête, si vous êtes d'accord, parce que j'ai entendu très souvent dans mon entourage l'idée que par exemple le soja n'était pas recommandé alors soit pour les hommes ou alors pour les femmes ménopausées. En fait, qu'il y avait un risque de perturbations hormonales du fait d'une haute consommation en soja. Est-ce que c'est vrai ?

Sébastien Demange : Non. Ça, c'est la réponse courte. La réponse un peu plus longue. Alors, le soja, effectivement, il y a eu notamment en France un rapport de 2005 qui commence à dater quand même un peu où il était fait état de finalement un manque de connaissances et avec un effet possible alors qui a été observé chez des animaux plus petits ou différents, notamment les rats ont beaucoup été utilisés pour les études de l'effet du soja. Or, on a montré qu'on ne réagissait pas pareil et qu'en gros on n'est pas des rats de 70, 80 kilos. Il y a plein de choses au niveau physiologique qui sont différents et du coup, qu'on ne peut pas à partir d'études sur le rat prédire ce qui va se passer chez l'homme. Et la femme, on ne peut pas faire un parallèle aussi simple. Depuis, ce rapport a mis beaucoup de prudence, de dire « on ne sait pas donc on ne fait pas ». C'est un peu voilà. Et on attend d'avoir d'autres études. Sauf que depuis 17 ans, il s'est passé beaucoup de choses et que depuis, on a eu beaucoup d'études, beaucoup, beaucoup, beaucoup même. Alors, sur l'alimentation, c'est toujours un peu compliqué d'identifier un seul facteur qui soit modifié. Enfin, c'est difficile de faire du double aveugle par exemple sur l'alimentation aussi parce qu'on voit ce qu'on mange quand même. Donc, c'est des études qui nécessitent du temps aussi pour avoir un impact. Mais quand même, ce qu'on est arrivé à voir, c'est qu'il n'y avait pas d'inquiétude particulière à avoir. Alors là pareil jusqu’à 4 portions de soja par jour. Pourquoi je dis jusqu'à 4 ? Parce que les études ne sont pas allées au-delà en fait. Tout simplement parce que ce que donnent les études, c'est de dire déjà quatre, ça fait beaucoup. Au-delà, le problème n'est peut-être pas tant de manger du soja. Mais finalement, qu'est-ce que je ne mange pas quand je mange du soja ? Parce que quatre portions, c'est déjà énorme.

Victor Duran-Le Peuch : Est-ce qu'on n'a plus faim une fois qu'on a fini les quatre portions ?!

Sébastien Demange : Donc, comme je dis souvent le soja est un aliment très intéressant, et il a plein de formes différentes qui peuvent amener à varier les repas. Mais il est pas du tout indispensable, il y a pas de soucis là-dessus. Je veux dire, si on avait une crainte sur le soja, on dirait non, le soja, on évite parce que voilà. Mais là, non, vraiment, on n'a pas de crainte à avoir là-dessus. Donc, voilà, si on aime, autant en consommer. Si on n'aime pas, on n'en consomme pas. C'est aussi simple que ça.

Victor Duran-Le Peuch : Et pour la question de, vous avez parlé un peu des difficultés de digestion, notamment des légumineuses ou des céréales, est-ce qu’il y a pas des maladies intestinales, je pense à la maladie de Crone, est-ce que c’est la même chose que le syndrome du colon irritable, qui rendrait difficile la digestion des végétaux et donc un régime exclusivement végétal de nouveau ?

Sébastien Demange : Alors, c'est deux choses différentes. Mais c'est vrai que ce qu'on a observé sur les maladies intestinales, notamment les maladies inflammatoires, c'est plutôt une révélation des symptômes. Je ne dis pas qu'on résout tout, mais souvent, c'est quand même mieux toléré. Sur le syndrome de l'intestin irritable, alors là, pareil, c'est souvent une préparation des légumineuses, des fois, c'est une réintroduction qui doit être progressive. Enfin, dès qu'il y a un petit peu quelque chose, on va dire, une pathologie sous-jacente, ça peut être intéressant d'avoir un suivi. Justement, ça peut faire partie des cas un peu particuliers ou d'avoir un professionnel qui va nous orienter, qui va nous donner un rythme un petit peu, qui va nous accompagner. Ça peut être intéressant effectivement pour, encore une fois, c'est vrai que ça peut être un changement important pour les intestins et des fois, il faut que ça s'accompagne un petit peu.

Victor Duran-Le Peuch : On a vu, bon, là, ça a l'air d'être assez clair qu'on peut être en bonne santé avec un régime végétal et est-ce que, au-delà de ça, et vous avez commencé à en parler un petit peu, est-ce qu'un régime végétalien peut même être particulièrement bénéfique pour la santé par rapport à un régime carné ? Moi, j'ai un peu peur qu'il y ait le risque par exemple, que face aux accusations répétées justement de carences, de manque de protéines, il y ait peut-être une tendance à surcompenser et à survendre les bienfaits d’un régime végétal.

Sébastien Demange : Alors c’est là qu’il faut être prudent et effectivement ça ne va pas résoudre tous les problèmes de de santé et donc, ce qu'on peut dire et les études, pour ça, c'est intéressant mais ça montre aussi des limites parce qu'en fait, finalement, dans les études, on étudie quoi ? Des moyennes. C'est-à-dire que ce qu'on peut dire actuellement, c'est que la moyenne des végétaliens a une alimentation qui fait qu'ils sont moins atteints de maladies de pathologies cardiovasculaires, de diabète de type 2, de certains cancers, par rapport à la moyenne de la population occidentale ayant une alimentation là encore, moyenne avec des grandes différences par exemple. Je vais prendre en France. En France, il y a quand même une bonne partie, autour de 20% qui vont consommer énormément de viande. C'est-à-dire qu'en moyenne, les gens ne consomment pas, consomment environ 300 grammes de viande par semaine, de viande rouge j'entends, pardon, les recommandations étant de ne pas dépasser 500 mais cette moyenne-là relève en fait des grandes disparités entre ceux qui en consomment beaucoup et qui dépassent les 500 recommandés et ceux qui en consomment moins. Donc on voit bien, pareil, les études, la population végétalienne reste une population malgré tout assez faible en termes de pourcentage donc ce qui sera intéressant de suivre ça va être l'évolution si jamais effectivement dans les années qui viennent je ne sais pas mettons-nous à rêver un ou deux ans il y a 20% de population qui est végétalienne ce qui serait voilà mais imaginons et là ce sera intéressant de voir effectivement les comparaisons ne seront plus les mêmes. A l'heure actuelle il faut bien aussi se rendre compte que souvent les végétariens les végétaliens ce sont des gens qui se sont intéressés à leur alimentation comme je dis souvent on ne devient pas végétarien ou végétalien par hasard il y a quelque chose qui n'a fait que et comme on n'est pas très bien accompagné c'est-à-dire que comme je disais au départ tout est fait pour la population majoritaire et du coup quand on ne rentre plus dans cette case-là on est un peu obligé de chercher par nous-mêmes et du coup on augmente notre connaissance en alimentation et ce qu'on a observé c'est que quand notre connaissance augmente, on mange mieux.

Victor Duran-Le Peuch : Ah oui donc en fait on dit tellement souvent aux végétaliens que c'est risqué, qu'ils vont avoir des carences, qu’en fait ils sont finalement mieux informés que la moyenne parce qu'ils vont vérifier et ils font attention d'avoir une bonne...

Sébastien Demange : Voilà souvent ils sont mieux informés. Après, il faut faire attention c'est des fois une population qui est plus active, qui fume moins, il y a des biais comme ça qui peuvent rentrer en ligne de compte. Toujours est-il qu'il y a quand même deux grands messages qui émergent : la première c'est qu'une diminution drastique de notre consommation de viande est accompagnée d'une amélioration sur la santé. Ça c'est sûr, c'est-à-dire qu'en diminuant on va avoir moins de risques cardiovasculaires moins de risques de diabète et sur certains cancers aussi et qu’on peut arrêter totalement tous les produits animaux, être en bonne santé et être en meilleure santé que la moyenne des gens qui ont une alimentation classique. Donc voilà mais globalement oui, on peut avoir un effet bénéfique sur la santé qui est peut-être surestimé à l'heure actuelle, parce que encore une fois il y a des biais qui viennent se mettre au milieu. Mais en tout cas voilà il n'y a rien qui indique que la santé sera moins bonne.

Victor Duran-Le Peuch : Alors j'aimerais passer à des questions un peu plus collectives, notamment, une des sources importantes d’information, pour être informé sur les questions de nutrition, c'est, vous l'avez dit, en général, de s'adresser à notre médecin traitant et plus largement à l'institution médicale, mais cela suppose que les médecins soient eux-mêmes bien informés sur ces sujets, ce qui n'est, je crois, pas systématiquement le cas. Alors, vous le disiez, vous vous êtes penché sur cette question dans votre thèse, sur la relation médecin-patient au regard du végétarisme. Est-ce que vous pouvez parler un peu plus de ce que vous avez pu observer dans votre travail de recherche ?

Sébastien Demange : Oui, oui. Alors, effectivement, il faut savoir qu'on est formés à la nutrition, mais finalement, le volume horaire n'est pas très, très important. Et principalement, en plus, voilà quels conseils donner à un diabétique, quels conseils donner à une hypertendue, enfin, qui va être un petit peu ciblé, finalement, en fonction des pathologies. Et les conseils pour les végétariens et les végétaliens, c'est très résumé. Les végétariens, le cours que j'avais eu, en gros, c'est carencé en fer. Et les végétaliens, ça n'existe pas parce qu'ils sont tous morts. C'est un peu l'idée, quand même, qui a été véhiculée dans mes cours. Et malheureusement, après en avoir discuté avec beaucoup de confrères et de consoeurs, je ne suis pas le seul à avoir reçu ce type d'informations. Donc, voilà, on voit qu'il y a quand même, effectivement, une carence d'informations des médecins sur les populations végétariennes et végétaliennes. Donc, moi, mon travail de thèse, il y a environ 1500 personnes. Et j'ai interrogé à savoir comment ça se passait avec leurs médecins traitants. Et bien, il y en a déjà toute une partie, c'est-à-dire un tiers, qui ne le disait pas à leurs médecins traitants. Parce que quand ils l'avaient déjà abordé dans le passé, ça s'était mal passé. Donc, ils ne voulaient pas renouveler la mauvaise expérience.

Victor Duran-Le Peuch : De dire qu'ils ou elles étaient végétariens ou végétaliens, c'est ça ?

Sébastien Demange : C'est ça, oui. Ils ne parlaient pas de leur alimentation du tout. Je me suis intéressé à ceux qui le disaient et à la réaction qu'ils ont perçue en face. Et bien, là encore, il y a environ un tiers qui ont perçu soit une mauvaise réaction en face, soit le conseil de manger de la viande. Donc, c'est quand même assez important. Et surtout, ça s'est accompagné quand même, il faut bien s'en rendre compte, d'une rupture dans la relation thérapeutique. C'est-à-dire qu'après, c'est des gens qui vont hésiter à parler de leurs symptômes. Parce qu'ils ont peur que leurs médecins leur disent, vous n'avez qu'à manger de la viande et ça ira mieux. Ou, voilà, qu'ils vont arrêter leur traitement. En gros, on voit bien que la relation est quand même complètement faussée. Et n'est plus satisfaisante. Et satisfaisante pour permettre d'être bien accompagné. Donc, ça, c'est vrai que c'est quand même un phénomène qui est assez important, qui a été réétudié depuis et qui continue. Voilà, on continue de noter qu'il y a quand même un accompagnement qui n'est pas là. Une acceptation, on va dire, de ces alimentations qui peinent, effectivement, à percer dans les milieux médicaux.

Victor Duran-Le Peuch : Et donc, vous avez participé au développement d'un outil qui permettrait de mieux informer les médecins sur cette question, c'est ça ?

Sébastien Demange : Alors, j'y ai participé en étant, effectivement, interrogé par rapport à la thèse. Donc, c'est le docteur Paco Maginot qui a fait un outil qui est vraiment remarquable, qui est vegeclic.com, qui est à la fois accessible pour les praticiens, praticiennes et les patients, les patientes, quoi, pour tout le monde. Donc, avec plusieurs niveaux de lecture par moment, qui est toujours sourcé. Nous, en fait, au sein de l'ONAV, on s'occupe de s'assurer que le contenu soit aussi proche que possible des recommandations et de la littérature scientifique. Et de permettre, effectivement, assez rapidement à un médecin, par exemple, qui ne saurait pas quoi répondre à une question, qui serait posée par un patient ou une patiente végétarienne ou végétalienne, ben voilà, en quelques clics, il a la réponse. Et il peut donner une réponse adaptée. Et pareil, si quelqu'un se dit, tiens, est-ce que j'ai besoin de vitamine B12, par exemple, ou quelle quantité, ou qu'est-ce que je peux prendre ? Et bien, hop, il peut avoir des informations. Qui sont fiables et de manière assez rapide.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord. Et alors, en remontant encore d'un échelon, les médecins eux-mêmes, leur information dépend beaucoup des recommandations d'institutions publiques, comme l'ANSES, l'agence qui s'occupe de la sécurité sanitaire de l'alimentation. Et l'ANSES publie régulièrement ce qu'on appelle le Programme National Nutrition Santé, le PNNS. Est-ce que vous pouvez expliquer ce que c'est et comment ce PNNS est produit ?

Sébastien Demange : Oui, oui, oui. Alors, le PNNS, effectivement, c'est ce qui va après devenir mangerbouger.fr, c'est-à-dire les grandes lignes de recommandations pour le tout public. Et en fait, qui est établi en fonction des recommandations de santé qui sont prises des fois au niveau des agences européennes et en fonction des études alimentaires. C'est-à-dire qu'il y a des grandes études alimentaires qui ont lieu en France tous les 7 ans, qui sont des études INCA. Là, on a des INCA 3, INCA 4 qui devraient bientôt démarrer. Et en fait, où il y a un recueil de données sur la population française pour essayer de voir sur quoi on doit insister en termes de messages de santé publique, comme actuellement, par exemple, de favoriser les fibres. Donc, si on prend le PNNS actuel, il est de dire qu'il faut augmenter les légumineuses, augmenter les céréales complètes, augmenter les fruits et légumes, diminuer la viande. Voilà, ça, c'est des messages pour la population générale et qui tiennent beaucoup compte, effectivement, des habitudes alimentaires. Un point, par exemple, que j'avais discuté avec les personnes de l'ANSES qui faisaient ces recommandations, on peut prendre l'exemple de la charcuterie. La charcuterie, au niveau nutritionnel, ça n'apporte rien. Il n'y a aucun intérêt nutritionnel à manger de la charcuterie. Il n'empêche qu'on en consomme en France. Et donc, du coup, pour ne pas dire qu'il ne faut pas en manger, ce qui serait un peu brutal et difficilement applicable, on donne, oui, il ne faut pas dépasser 150 grammes par semaine. Ça, qui sont des recommandations OMS pour des risques, notamment du cancer du côlon. Ce qui est intéressant de constater, c'est que ces recommandations-là sont vraiment basées sur les habitudes alimentaires.

Victor Duran-Le Peuch : Parce qu'une recommandation idéale, ce serait de ne pas manger de charcuterie, en fait, pour la santé.

Sébastien Demange : Voilà, concrètement, oui.

Victor Duran-Le Peuch : Et du coup, est-ce que c'est une sorte de revue de la littérature qui est plus ou moins fidèle quand même ? Ou est-ce qu'il y a des biais ? Et je pense notamment à la question des lobbies. Quand on préparait l'épisode, vous aviez évoqué la question du cas de, du programme de l'équivalent, en fait, au Canada qui avait été fait, mais sans les lobbies et ça avait drastiquement changé les résultats des recommandations.

Sébastien Demange : Alors, tout à fait. Alors ça, c'est effectivement, il y a un gros travail sur les lobbies. On a vu un gros travail qui a été fait là, notamment par Greenpeace, récemment, sur les lobbies de la viande. On ne se rend pas compte, mais c'est des lobbies qui sont assez puissants et qui sont surtout intégrés, en fait, dans le paysage des recommandations françaises. Pour donner un exemple bête, j'ai participé à certaines, à certaines tables rondes autour de recommandations et notamment, par exemple, sur les cantines scolaires, au moment où a été introduit le menu végétarien obligatoire, suite à la loi Egalim. Pour réfléchir au menu végétarien, autour de la table, il y avait, par exemple, une diététicienne salariée d'Interbev, de l'intersyndical bovin et viande. Donc, voilà quoi.

Victor Duran-Le Peuch : Le principal lobby de la viande, en fait.

Sébastien Demange : Oui, voilà, c'est ça. Et d'avoir autour de la table quelqu'un dont les intérêts privés, c'est la viande, et là on est en train de discuter d'un menu végétarien, donc qui, par définition, est sans viande, ça pose quand même question de l'intérêt de sa présence. Il y a une étude anglaise qui avait été faite il y a quelques années, qui doit avoir 3-4 ans maintenant, et qui montrait l'impact des industriels du produit laitier sur l'Assemblée nationale en France. Et dans leur étude, c'était une période où il n'y avait pas d'élection, où il n'y avait pas d'élection, pas de loi de votée, enfin rien de déterminant. Il n'y avait pas de loi déterminante sur les produits laitiers. Et ils ont relevé 170 interventions des industriels du produit laitier auprès de l'Assemblée nationale. Voilà, donc c'est vrai que ça pose question. Et l'exemple que vous donniez est effectivement, je trouve, assez parlant. Le Canada, en 2019, a refait son guide alimentaire. Et ils ont pris le parti courageux, et je pense qu'il faut le dire parce qu'ils ont été beaucoup critiqués par ça, par les industriels, de faire leur guide en ne tenant pas compte des études financées par l'industrie. Et alors qu'avant, ils recommandaient 4 produits laitiers par jour, là, il n'y a plus de recommandations sur les produits laitiers. Il n'y a même plus de groupe à part produits laitiers. Et les produits laitiers ont intégré les produits riches en protéines, mais loin derrière les légumineuses qui sont beaucoup mises en avant, et ensuite la viande et compagnie. Donc on voit effectivement que l'impact de considérer les études financées par les industriels ou non peut donner sur les recommandations. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle en France, par exemple, la loi oblige encore à un produit laitier, par exemple, dans les cantines scolaires. C'est quelque chose qui est encore discuté, mais on se rend compte qu'on n'est pas encore au stade du Canada et qu'il y a encore du travail. Maintenant, on voit quand même apparaître de plus en plus dans les recommandations, que ce soit de l'ANSES ou du Haut Conseil à Santé Publique. Et pour les enfants, par exemple, qui ne voudraient pas consommer de produits laitiers ou qui ne donnent pas le goût, tout simplement, on peut trouver du calcium dans tel et tel produit. Donc on sent qu'il y a quand même quelque chose qui est en train de se passer. Mais voilà, ça reste encore assez fragile et c’est vrai que c’est une vraie difficulté.

Victor Duran-Le Peuch : C'est vrai qu'un problèmes, c'est qu'en fait, on ne choisit pas toujours ce qu'on peut manger, et notamment dans les lieux de restauration collective. Donc vous avez parlé des cantines, je pense au Crous pour les étudiants. Et où, alors là, je parle d'expérience, il est souvent difficile de trouver des repas végétariens ou encore pire, végétaliens, je précise équilibrés. Équilibrés, c'est ça. Du coup, il y a eu beaucoup, notamment, de levées de boucliers récemment sur la question des repas végétariens, ne serait-ce que végétariens dans les cantines. Et d'ailleurs, récemment, l'ANSES a dû publier un rapport sur cette question, c'est ça ?

Sébastien Demange : Tout à fait. En fait, la question qui était posée à l'ANSES, c'était de savoir est-ce qu'il fallait limiter le nombre de repas végétariens dans les cantines scolaires. En fait, parce qu'actuellement, est beaucoup discuté, notamment suite à la loi climat, en fait, qui proposait de mettre une alternative végétarienne de partout, et notamment dans les cantines scolaires, et la crainte, effectivement, est toujours celle-là, c'est est-ce que ça peut être un repas équilibré ? C'est pour dire, voilà, on chemine doucement, on va dire, mais on y vient. Et effectivement, l'ANSES a répondu très clairement en disant de l'équilibre des macros et des micronutriments. On peut tout à fait, il n'y a pas lieu de limiter, en fait, le nombre de repas végétariens dans les cantines scolaires. On peut tout à fait en proposer tous les jours. Ce n'est pas un souci. Ça peut être un repas vraiment équilibré. (Super.) Donc, c'est effectivement très important. Oui, non, non, on avance vraiment petit à petit. Là, on parlait des recommandations, et effectivement, du problème qu'on a un petit peu pour les médecins, qu'il n'y a pas de recommandation officielle en France sur les alimentations végétariennes et végétaliennes. Et effectivement, là, il y a un groupe de travail actuellement sur ces alimentations-là, dont on espère le rendu, alors, fin 2022, début 2023. On verra ce qu'il en est. C'est toujours compliqué d'estimer. C'est un travail quand même très important. L'ANSES est quand même une agence qui est consenscieuse. Donc, voilà, ils prennent du temps pour faire des recommandations, mais qu'on espère le plus tôt possible pour permettre aussi, effectivement, de pouvoir plus communiquer dessus. Et voilà, parce que là, on est toujours un petit peu obligé de dire, vous voyez, il y a l'OMS, il y a les États-Unis, il y a le Canada, il y a Israël, il y a, enfin, voilà, on fait un peu le tour des pays. À un moment, on aimerait bien pouvoir dire, vous voyez, en France, voilà, quoi. Ce qu'on peut dire et ce qu'on peut faire, et ça sera quand même, à mon avis, en tout cas, une phase importante par rapport à ces alimentations.

Victor Duran-Le Peuch : Alors, sur ces questions collectives de réflexion sur l'alimentation végétale, il y a une nouvelle institution qui est apparue récemment dans le paysage. C'est l'Observatoire national de l'alimentation végétale. Et vous faites partie de son conseil scientifique. Est-ce que vous pouvez expliquer ce que c'est, l'ONAV ?

Sébastien Demange : Tout à fait. Alors, nous, ce qu'on essaye de faire à l'ONAV, c'est d'avoir déjà une vision la moins militante possible. C'est-à-dire d'essayer, effectivement, de regrouper un maximum de données. On est pareil, on essaye, je dis on essaye parce que, voilà, nous sommes toujours prudents sur nos biais, mais d'être le plus rigoureux possible. Chaque affirmation qu'on donne, on donne d'où on le tire, pourquoi on en pense ça. Pourquoi, ben voilà, tel document, tel document et tel document nous amènent à penser que cet élément doit être porté au public. Et, en fait, notre groupe, alors qui est assez diversifié, c’est à dire il y a des médecins, dont je fais partie, il y a une pharmacienne, diététicienne, chercheuse en nutrition, des docteurs en biochimie biocellulaire, docteurs en sport, enfin, il y a différents profils qui nous permettent un petit peu de nous compléter et d'avoir une vision complémentaire de certains aspects. Des fois, ça peut être très pratico-pratique, ça peut être, voilà, comment on fait passer effectivement des choses parfois très théoriques, de manière plus concrète, et surtout, ben, d'avoir cette rigueur-là, d'être critique sur la littérature scientifique qu'on lit. Et on essaie, on rentre de plus en plus en contact avec des plus grands organismes, on va dire, notamment avec l'INRAE ou autres, pour essayer effectivement d'harmoniser un petit peu les discours et de voir pourquoi des fois il y a des différences ou, tiens, pourquoi tel organisme dit ça quand tel organisme dit une autre couleur, enfin, voilà, l'idée, c'est d'arriver un petit peu de rassembler le maximum de connaissances autour de ces questions-là.

Victor Duran-Le Peuch : Alors, une des réflexions récentes que j'ai trouvées vraiment intéressantes de l'ONAV, c'est sur la question d'une éventuelle supplémentation collective en vitamine B12. C'est vrai que ça m'a fait réaliser, mais en fait, c'est une question qui n'est pas seulement individuelle. Vous avez dit qu'il y a déjà des supplémentations collectives en iode, par exemple, dans le sel. Donc, en fait, ça pourrait être le cas pour la B12 aussi. Ça pourrait être une question politique, en fait, de comment on développe à l'échelle nationale, une alimentation végétale ou au moins la possibilité d'en avoir une sans avoir à prendre individuellement une supplémentation.

Sébastien Demange : En effet, il y a plusieurs choses à regarder là-dedans. Alors déjà, la première, c'est qu'il y a quand même beaucoup de scénarios en termes alimentaires, parce que l'impact de notre alimentation sur l'environnement, notamment, est très important. Et de fait, beaucoup de scénarios qui nous disent de diminuer de manière drastique notre consommation, principalement de viande rouge et de produits laitiers, qui sont les deux grands vecteurs, quand même, de la vitamine B12. Donc, à un moment donné, ça peut venir impacter la population, vraiment, si on se mettait à suivre ces recommandations-là. Ou alors, effectivement, pour les personnes végétariennes, végétaliennes, d'être complémentées sans avoir à vraiment se poser de questions par rapport à ça. Et il y a une expérimentation qui avait été menée, en plus, en France, au début des années 2000, sur un enrichissement des farines, en vitamine B, et notamment B9, B12, et qui montrait qu'effectivement, ça fonctionne plutôt bien. C'est-à-dire que ça a déjà été testé, ça a déjà été, on va dire, prévalidé. On pourrait, effectivement, envisager ce type de supplémentation. Donc, on s'amusait, entre guillemets, un peu à calculer, ben oui, mais combien il en faudrait ? Quelle quantité ça représente ? Et c'est finalement pas si énorme que ça, en sachant qu'il y a déjà une forte production de vitamine B12 de par le monde, notamment pour les animaux d'élevage. Ils consomment aussi de la vitamine B12. Et du coup, voilà, c'est pas... Voilà, on s'est demandé est-ce que, techniquement, c'est possible, et ça semble effectivement possible, en sachant en plus que la vitamine B12 a cette petite particularité qu'on en a beaucoup moins besoin si on en consomme plusieurs fois dans la journée que si on n'en prend qu'une seule fois en complémentation. Donc, avec des produits enrichis, je parlais de la farine, si on mangeait du pain trois fois par jour...

Victor Duran-Le Peuch : Oui, concrètement, ce serait dans les farines, par exemple.

Sébastien Demange : Par exemple, oui. En complémentation. Je pense à cet exemple-là parce que ça a déjà été testé, d'une part, et que c'est quand même la farine, un composé qui est quand même largement consommé quand on fait des études alimentaires, donc on pourrait vraiment toucher un maximum de monde, et on se rend compte qu'on aurait des besoins qui seraient bien diminués. Pour donner une idée, il faudrait environ 4 microgrammes par jour si on en prenait trois fois par jour. En une fois par jour, on monte déjà à 25. Donc on voit vraiment qu'il y aurait vraiment une grande économie de B12 à faire en consommant des produits régulièrement dans la journée.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, donc même en comptant le budget, c'est plus rentable de le faire à l'échelle collective et de façon très régulière.

Sébastien Demange : Oui, c'est ça. Tout à fait.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, merci beaucoup pour toutes ces indications. Sébastien Demange, vous le savez, je demande à chacun et chacune de mes invités de donner trois recommandations pour les auditeurices. Alors, quelles sont les vôtres ?

Sébastien Demange : Alors, trois recommandations. Alors, la première, de suivre l’ONAV. Je vais prêcher un peu pour ma paroisse là pour le coup. Par exemple, vous voyez, il y a un lien d'intérêt. J'ai un lien d'intérêt avec l’ONAV et je préconise effectivement de suivre. Mais je pense que voilà, nos papiers sont assez intéressants. Puis on aime bien avoir des retours et avoir des questions. S'il y a des choses qui vous questionnent aussi et que vous aimeriez qu'on y réponde, c'est des choses qu'on peut être amené à faire. Donc il ne faut pas hésiter. Donc voilà pour ma paroisse.

Victor Duran-Le Peuch : Je crois que l’ONAV est présent sur les réseaux et sur Twitter notamment.

Sébastien Demange : Sur Twitter, on est aussi sur Facebook. On a un site Internet, donc on peut nous retrouver assez facilement. Mais après, alors blague entre guillemets à part parce que voilà, je recommande beaucoup, beaucoup, beaucoup le travail de Florence Dellerie qui est vraiment un excellent travail, qui est pareil, très rigoureux, qui est souvent très clair. J'aime beaucoup sa manière de vulgariser en fait les informations, qui est très fiable. Donc ça, c'est vraiment intéressant aussi d'aller voir ce qu'elle produit.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, elle développe notamment beaucoup de fiches extrêmement pédagogiques et concises pour toutes ces questions d'alimentation notamment.

Sébastien Demange : Oui, tout à fait. Non, non, elle est vraiment... Voilà, suivez vraiment son travail. C'est vraiment super. Il y a le travail de Romain Espinosa qui est vraiment super aussi, qui écrit un livre qui est super, donc notamment sur la question du bien-être animal. Et en plus avec un regard d'économiste, qui enrichit beaucoup. Je sais, voilà, il fait partie des personnes qui enrichissent beaucoup ma pensée. Il est intéressant à suivre. Il est aussi sur Twitter. Voilà, vous pouvez le retrouver facilement. Et après, là, en troisième recommandation, ce que j'aime bien aussi, c'est Insolente Veggie. Pourquoi ? Parce qu'elle nous permet de rire de sujets qui sont au final pas toujours très drôles. Parce que, effectivement, l'exploitation animale, quand on la regarde droit dans les yeux, ce n'est pas très drôle. Mais elle permet de reprendre un peu ce qu'on a tous vécu et entendu de manière un peu humoristique. On dit souvent qu'il y a un paradigme un petit peu dans le monde vegan. C'est-à-dire que s'il y a un sujet qui est abordé, il y a forcément une BD d'Insolente Veggie qui en parle. Et il y a forcément une fiche de Florence Dellerie qui en parle. Et c'est vrai que souvent, c'est assez vrai. Donc voilà, les trois recommandations, Florence, Romain et Insolente Veggie, vraiment, n'hésitez pas à les suivre. Je trouve que ça fait vraiment partie des choses qui sont importantes.

Victor Duran-Le Peuch : Oui, allez voir tout ça. Merci beaucoup. Merci encore, Sébastien Demange, d'être venu dans le podcast.

Sébastien Demange : Merci à vous. Merci à vous.

Victor Duran-Le Peuch : Je crois qu'on peut le dire clairement, l'idée qu'on ne peut pas être en bonne santé sans manger d'animaux ou de produits d'origine animale est tout simplement fausse. Il n'y a donc aucune nécessité pour les humains de consommer des produits issus de l'exploitation d'autres animaux. La semaine prochaine, on replace cette croyance-là de la nécessité dans un système de croyances plus large qu'on appelle le carnisme. Vous verrez, c'est hyper intéressant. Du coup, à lundi prochain. Bisous.

Crédits

Comme un poisson dans l'eau est un podcast créé et animé par Victor Duran-Le Peuch. Charte graphique : Ivan Ocaña Générique : Synthwave Vibe par Meydän Musique : Airwaves par Olivaw

2 livres cités :

Comment sauver les animaux ? · Une économie de la condition animale Romain Espinosa

Comment sauver les animaux ? - Romain Espinosa

La cause animale est aujourd’hui à un tournant de son histoire car la science économique porte désormais un intérêt croissant à la question animale et s’interroge particulièrement sur le rapport paradoxal que nous entretenons ...

ISBN : 9782130818229 · publié le 26 janvier 2021

Description complète et liste des 5 épisode(s) qui le citent

La cause animale est aujourd’hui à un tournant de son histoire car la science économique porte désormais un intérêt croissant à la question animale et s’interroge particulièrement sur le rapport paradoxal que nous entretenons avec les animaux : alors que le bien-être animal n’a jamais été aussi consensuel, plus de 3 milliards d’animaux sont tués tous les ans en raison de nos choix alimentaires. Cet ouvrage fournit de multiples éclairages sur les raisons d’un tel paradoxe et revient sur les plus importantes théories pouvant expliquer ce conflit entre nos valeurs et nos actions (dissonance cognitive, bien public, heuristiques, warm-glow, licence morale, réactance, empathie cognitive, apprentissage social). Il propose également une lecture pratique de ces théories et analyse l’efficacité des actions menées en faveur des animaux par les associations de défense animale et l’État. Il montre également comment les récents développements technologiques (aliments simili-carnés et viande de culture) pourront également permettre de résoudre ce paradoxe.

Cité dans 5 épisode(s) :

Insolente veggie - Une végétalienne très très méchante Rosa B.

Insolente veggie - Une végétalienne très très méchante - Rosa B.

Auto-proclamé « blog BD extrémiste d'une végétalienne humaine pour la libération animale », Insolente Veggie est un blog plein d'humour et de succès qui sévit sur la toile depuis 2008.

ISBN : 9782842214609 · publié le 8 octobre 2015

Description complète et liste des 3 épisode(s) qui le citent

Auto-proclamé « blog BD extrémiste d'une végétalienne humaine pour la libération animale », Insolente Veggie est un blog plein d'humour et de succès qui sévit sur la toile depuis 2008. Premier album de bande dessinée consacré et dédié aux végétaliens extrémistes et très très méchants. • L'album reprend des dessins qui ont fait le succès du blog Insolente Veggie et propose aussi de nombreux inédits. • L'auteure aborde avec humour et esprit militant ce qui fait le quotidien des végétariens, des végétaliens et des vegans aujourd'hui : - végétarisme, végétalisme, véganisme - écologie - carnisme, spécisme, antispécisme - lait, oeufs - viande, élevage, abattage - corridas, cirque, chasse, zoos - vivisection

Cité dans 3 épisode(s) :

7 autres références :