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Épisode #8 L'amour vache : je t'aime et je te mange - Martin Gibert

18 avril 2022
Comme un poisson dans l’eau - #8 L'amour vache : je t'aime et je te mange - Martin Gibert
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Description

Pour comprendre pourquoi les mêmes arguments carnistes reviennent constamment dans les discussions autour de l'éthique animale - les divers arguments qu'on a examinés dans les épisodes précédents, qui ne sont pas valides mais continuent d'être assénés - on peut se tourner du côté de la psychologie qui permet d'expliquer nos croyances et nos intuitions, y compris quand celles-ci se révèlent être fausses. Martin Gibert parle en particulier dans cet épisode du paradoxe de la viande et de dissonance cognitive. Il revient sur les deux 'pensées consonantes' (des arguments carnistes qui ont pour but de réduire la dissonance) que sont l'idée que manger des animaux est dans les traditions et que tout le monde le fait donc ça ne peut pas être condamné moralement, et celle que manger des animaux serait justifiable car naturel. Il explique enfin que l'inclusion des autres animaux dans notre champ de considération morale n'est pas un bouleversement de nos intuitions éthiques, mais davantage une amélioration de notre perception morale qui nous permet de voir les implications de nos intuitions qui nous échappaient jusqu'alors. "L'écran carniste se brise ; on se met à voir son steak comme un animal mort"

Transcription

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Victor Duran-Le Peuch : Salut, moi c'est Victor Duran-Le Peuch, et vous écoutez un entretien de Comme un poisson dans l'eau, le podcast contre le spécisme. Dans la première partie de l'entretien avec le philosophe Martin Gibert, on a vu qu'il y a un consensus sur le fait qu'il est mal d'élever des animaux dans la souffrance et les tuer pour les manger quand il n'y a pas nécessité de le faire. Et ce consensus ne repose en fait pas tant sur des argumentations éthiques obscures, que sur des principes moraux très largement partagés. L’idée qu’il ne faut pas infliger de souffrances, gratuites, non nécessaires sans avoir une très bonne justification pour le faire. Et au fil des épisodes de Comme un poisson dans l'eau, on passe en revue les justifications carnistes qui sont proposées pour tenter de légitimer la consommation de produits animaux. Mais on commence à voir que des justifications comme « la viande c'est trop bon », « c'est naturel », « on a toujours fait comme ça », « tout le monde le fait », ne résistent pas à une analyse plus approfondie des choses. Ces justifications ne tiennent pas la route d'un point de vue éthique, mais il ne s'agit pas de les balayer d'un revers de la main comme si quiconque les exprime était stupide. Moi aussi quand je mangeais des animaux, j'ai utilisé explicitement ou plus souvent inconsciemment ces justifications sans trop chercher à les examiner. Il faut donc comprendre d'où elles viennent, chercher à les expliquer. Et c'est là qu'on bascule dans la psychologie, qui nous donne les outils pour trouver des explications à nos croyances et intuitions, y compris, voire surtout, quand celles-ci existent. Et quand celles-ci se révèlent être fausses. Martin Gibert, lui, est plus particulièrement spécialisé en psychologie morale. C'est-à-dire que le type de croyances ou intuitions qu'il cherche à expliquer sont justement les croyances sur ce qui est bien ou mal, sur ce qu'il est juste de faire, comme celles dont on a parlé dans la première partie. On va donc s'intéresser aux raisons qui nous poussent à utiliser toujours les mêmes justifications pour pouvoir continuer de manger des animaux en plus ou moins bonne conscience. Vous êtes aussi spécialisé, donc vous êtes philosophe, mais vous êtes aussi spécialisé en psychologie. Et une des choses qui est analysée en psychologie, c'est quelque chose qu'on appelle le paradoxe de la viande. Est-ce que vous pouvez expliquer ce que c'est ?

Martin Gibert : Oui, en fait, c'est quand j'ai découvert ce paradoxe-là que j'ai décidé d'écrire le livre « Voir son steak comme un animal mort ». Parce que les questions morales spécifiques, ce que c'est bien ou mal de consommer des animaux, en fait, ça avait quand même été déjà pas mal réglé par les différents auteurs, qu'ils soient éthiciens de la vertu, conséquentialistes ou déontologues. Par contre, j'avais ces raisons philosophiques extrêmement fortes, extrêmement convaincantes d'arrêter de manger de la viande. À ça, on peut aussi ajouter des raisons environnementales, d'arrêter de manger de la viande. Et je me disais, OK, mais non, une personne rationnelle, là, qui comprend un peu les arguments, c'est clair qu'elle devrait être d'accord avec le véganisme, l'antispécisme. Et puis, dans les faits, c'est pas le cas. Et donc, l'explication, c'est pas que les gens ont des supers arguments philosophiques cachés pour contenir. C'est pas que les gens ont des supers arguments philosophiques cachés pour montrer les bons arguments des philosophes. C'est qu'il y a un décalage entre les bonnes raisons et puis les pratiques. Et donc, là, il faut se tourner vers la psychologie, en fait, pour mieux comprendre les pratiques, et vers, en particulier, la psychologie sociale. Et donc, les expériences en psychologie sociale sur le paradoxe de la viande, une que je décris, là, que j'explique souvent, c'est... On prend des gens au hasard. On les divise en deux groupes. Puis, il y a un groupe à qui on présente une image de mouton et en lui disant, ben, ce mouton va être changé de pré, passer le reste de sa vie avec d'autres moutons. Pouvez-vous évaluer ses capacités mentales sur une grille ? Et puis, on présente à un autre groupe le même mouton, mais cette fois-ci, la légende est différente. On leur dit, ce mouton va être envoyé dans une boucherie. Pouvez-vous évaluer sur une grille ses capacités mentales ? Et ce qu'on constate, c'est que les personnes à qui on a dit que le mouton allait être consommé vont moins lui attribuer de capacités mentales. Et ça, ça renvoie au paradoxe de la... Le paradoxe de la viande, c'est quoi ? C'est l'idée que la plupart des gens aiment des animaux et en mangent. Et ça, ça a quelque chose d’un peu contradictoire, quand même. Ça produit ce qu'on appelle une, ça peut produire ce qu'on appelle dissonance cognitive. Et l'expérience du mouton, elle montre ça. En fait, si les gens attribuent moins de capacités mentales en moyenne au mouton qu'on va consommer, c'est pour atténuer la dissonance cognitive. C'est pour se sentir moins coupable de consommer un être qui, ils savent, est potentiellement capable de souffrir. Donc, voilà, le paradoxe de la viande, c'est un... Ça pointe notre inconfort. En tout cas, l'inconfort d'une partie des gens à consommer des animaux.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord. Alors, juste avant d'en venir à ce que vous avez mentionné, donc la dissonance cognitive, j'aimerais me faire l'avocat du diable. Est-ce que c'est vraiment tant un paradoxe que ça ? Notamment, j'ai l'impression qu'il y a une différence peut-être à faire entre le changement institutionnel, donc l'abolition de l'élevage de la viande en tant que système établi par une société spéciste et perpétuée par une société spéciste, et les changements qui sont, qui seraient juste individuels. Et là, on n'est plus ce côté véganisme et choix de consommation. Est-ce que, peut-être, les gens se disent pas, ben en fait, moi, je suis pas prêt à changer individuellement parce que c'est difficile, parce que j'ai la flemme, parce que... Mais je serais prêt à voter pour que les choses changent au niveau institutionnel et qu'on m'oblige presque, qu'on me force, ou que la viande devienne chère, qu'on me force en fait à réduire. Est-ce que, du coup, ça met pas un peu un coin dans cette idée ? Qu'il y a forcément un paradoxe un peu inexpliqué ?

Martin Gibert : Ouais, effectivement. Déjà, tout le monde ne ressent pas le paradoxe en question. Il y a plein de gens à qui ça pose aucun problème de manger des animaux. Le paradoxe, il émerge dans les gens qui commencent à se poser des questions et qui voient que leurs croyances, leurs valeurs, sont pas nécessairement alignées avec leurs pratiques, mais individuelles. Et c'est sûr qu'il y a moyen d'être antispéciste, d'être animaliste, sans nécessairement se focaliser sur cet aspect de comment moi, est-ce que moi j'agis correctement, est-ce que moi je suis une bonne personne, mais plus à un niveau politique. Et ça serait pas délirant que, ouais, il y a plein de personnes, en fait, bien plus nombreuses qu'on pense, qui consomment régulièrement des animaux, qui sont pas du tout véganes, mais qui pourraient être favorables à l'abolition des abattoirs. Un peu comme il y a des fumeurs qui étaient favorables aux lois anti-tabac. Donc c'est pas parce que j'ai du plaisir à consommer tel ou tel produit d'origine animale que je devrais nécessairement désirer que tout le monde le fasse comme moi, et que je... C'est pas parce que j'ai du plaisir à consommer des produits d'origine animale que je pourrais pas être, par ailleurs, anti..., penser que ça serait une bonne chose que les abattoirs disparaissent, l'être humain est compliqué. Et puis ça serait, encore une fois, ça serait pas contradictoire. Tout comme le médecin qui dit à ses patients, arrêtez de fumer, quand bien même, lui-même fume. Ça c'est un argument aussi que j'utilise pas mal à la fin du deuxième chapitre sur l'environnement. C'est que quelqu'un qui a bien compris l'impact de la consommation de viande sur l'environnement, peu importe qu'il aime la viande ou pas, il devrait désirer que tout le monde autour de lui arrête de consommer de la viande par égoïsme, pour minimiser l'impact des GES sur la crise climatique, là. Mais c'est sûr que, pour beaucoup, la réaction ça va être de dire ah non, puisque je peux pas généraliser, je vais dire qu'il faut que tout le monde fasse comme moi, c'est dommage qu'on soit pas si rationnel pour bien cloisonner les enjeux. Mais bon, c'est comme ça, on est pas très rationnel.

Victor Duran-Le Peuch : En fait, c'est drôle parce que ce que vous décrivez, ça me fait beaucoup penser au rapport que j'ai avec ma famille. Par exemple, ma mère, une fois, elle m'avait dit tu sais, en fait, je pense que c'est toi qui a raison, et ma mère mange de la viande, elle est pas végane. Et pareil, mon frère, à force d'avoir des discussions, il me dit, en fait, je suis plutôt convaincu par les idées anti-spécistes. Mais il m'a dit ça une fois, et j'ai trouvé que c'était vraiment collector. Il m'a dit « le véganisme, moi je suis croyant et pas pratiquant ».

Martin Gibert : Ouais, je pense qu'il y a beaucoup de personnes qui sont comme ton frère ou ta mère. En fait, on peut être. Moi, au début, je disais que j'étais pratiquant non croyant. Parce que, quelque part, pour un philosophe, c'est être croyant qui est l'enjeu. Est-ce que j'accepte les... les arguments, et donc j'avais une petite réserve au départ. Par contre, manger du tempeh et du tofu, bon, ça c'est pas un engagement particulier. Donc, je pense que c'est plus facile d'être pratiquant non croyant, d'une certaine manière, que comme ton frère, croyant non pratiquant. Mais ce que ça veut dire aussi, c'est que ça permet de voir le poids des normes sociales. Parce que, probablement, si ta mère et ton frère sont d'accord, et qu'eux, ils continuent néanmoins à consommer des produits animaux, voilà, c'est pas une question d'arguments philosophiques. Là, ils sont d'accord sur les arguments. C'est vraiment une question d'habitude, de normes sociales. La bonne nouvelle, c'est que des normes sociales, ça peut changer. Ça prend du temps, là, mais les normes autour de la cigarette, là, les gens trouvaient ça normal de fumer dans le métro, dans les restaurants, même dans les salles de classe. Et puis, la norme a changé. Donc, moi, ça me donne un petit peu espoir de savoir qu'il y a cette masse de personnes qui sont des croyants non pratiquants et qui pourraient devenir pratiquants si les normes bougeaient un petit peu. Si les plats par défaut à la cantine étaient des plats véganes, probablement que ton frère et ta mère ne feraient pas l'effort d'aller réclamer le plat avec de la cruauté.

Victor Duran-Le Peuch : Ça me fait penser, d'ailleurs, que toutes ces personnes qui sont plutôt convaincues par l'argument consensuel qu'il ne faut pas créer et infliger de souffrances sans nécessité se retrouvent, du fait de leur pratique, dans un état, vous l'avez dit, de dissonance cognitive qui est désagréable psychologiquement. Est-ce que vous pouvez expliquer ce que c'est la dissonance cognitive ?

Martin Gibert : Alors, c'est un concept de psychologie. C'est une psychologie sociale qui a d'abord été élaborée par un psychologue américain qui s'appelle Leon Festinger. Et je raconte au début du livre une histoire assez troublante de... En fait, il a étudié cette chose-là en s'infiltrant, ou il a envoyé un de ses étudiants s'infiltrer dans une secte millénariste qui pensait, donc ça se passe dans les années 50, qui pensait que les ovnis des extraterrestres allaient débarquer et puis détruire la Terre. Et la prêtresse de cette secte avait donné une date très précise pour la fin du monde. Et donc là, le psychologue social s'est dit, OK, qu'est-ce qui va se passer quand les gens vont se rendre compte que la fin du monde n'a pas eu lieu ? Comment est-ce qu'ils vont réagir ? Donc il a envoyé un étudiant observer ça. Et ce qui s'est passé, la première chose à laquelle on pense, c'est que bon, ben voilà, ils vont arrêter de croire, ils vont voir que ce qu'a dit la prêtresse est faux. La réaction rationnelle, c'est de sortir de la secte. Mais ce que montre la théorie de la dissonance cognitive, c'est qu'en fait, c'est plus compliqué que ça. Quand on a deux croyances qui sont en conflit, ou quand on a une croyance et puis une action qui sont en conflit, il y a plusieurs manières de patcher dans notre cerveau, de réassembler les morceaux dans notre cerveau pour être à l'aise. Et dans le cas de la secte millénariste, il s'est passé ce qu'avait prévu Festinger, à savoir qu'ils ont trouvé, une croyance supplémentaire qui est venue, en fait, conforter, là, en l'occurrence, c'est les prières. La croyance, c'est que c'est les prières du groupe qui a convaincu les extraterrestres de ne pas annihiler la Terre.

Victor Duran-Le Peuch : Ils ont retourné le truc, quoi.

Martin Gibert : Ils ont complètement retourné, ouais. Et donc là, ils étaient encore plus satisfaits d'appartenir à ce groupe sectaire.

Victor Duran-Le Peuch : Ah oui, ça a paradoxalement renforcé encore leurs croyances dans les dogmes de la secte.

Martin Gibert : Ouais. Puis il y a des nouveaux, il y a même eu des nouveaux adhérents.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord.

Martin Gibert : Alors que ça aurait dû être l'échec et la fin de la secte, ça... Et alors, ce mécanisme psychologique concerne tous les humains, pas simplement les personnes dans les sectes. On le retrouve aussi dans notre rapport à la moralité et à la viande. Donc, ce que j'expliquais tantôt, effectivement, le paradoxe de la viande peut s'expliquer en termes de dissonance cognitive. On a tous des... Bon, pas tous, mais certaines personnes, donc, vont avoir cette tension entre « j'aime les animaux » et « j'aime la viande ». La dissonance cognitive, c'est l'inconfort. C'est l'inconfort cognitif qu'on a quand on est dans cette situation. Donc, une façon d'en échapper, c'est de changer son comportement en arrêtant de manger des animaux. Finalement, c'est ça qui explique que certaines personnes deviennent végétariennes ou véganes. C'est une façon de tuer la dissonance cognitive, là. J'aime les animaux, tout court, et puis je ne mange pas leur viande. Et puis, c'est ça un peu qui constitue le plan de mon chapitre 3 dans le livre, c'est qu'il y a d'autres stratégies. Festinger identifie deux grandes classes, une classe où je change mon comportement, mais il y a une classe aussi où j'atténue une pensée dissonante, et puis une troisième classe où je renforce mon action, je renforce ce que je crois avec des croyances consonantes. Donc, atténuer une croyance dissonante, c'est par exemple, se persuader que les animaux ne souffrent pas tant que ça. Et c'est ce qui se passe dans l'expérience du mouton, parce que je sais que, potentiellement, je vais manger du mouton, ou parce que ça me rappelle que je mange du mouton, je me convainc que les animaux ne souffrent pas tant que ça, et donc ça passe mieux. Il y a d'autres expériences qui vont dans ce sens-là. Puis, du côté d'ajouter des pensées consonantes, pour répondre à la dissonance cognitive, là, ça va être toutes les espèces d'alibi qu'on entend, genre, c'est dans la nature, que l'homme est un omnivore, donc il devrait manger des animaux, ou c'est nos traditions, ou c'est nécessaire pour rester en bonne santé, tous ces alibis.

Victor Duran-Le Peuch : Alors là, c'est intéressant, parce que cette idée de la nécessité, en fait, on reconnaît des choses dont on a déjà parlé dans le podcast, et qu'on n'a pas décrit sous le nom de pensées consonantes, et en fait, vous dites une chose très intéressante dans le livre, c'est qu'il y a un lien direct entre la question de la dissonance cognitive, et la question du carnisme. Donc en fait, on a traité ces éléments-là comme croyances appartenant à l'idéologie carniste, qui cherche à légitimer et promouvoir la consommation de viande et d'animaux, plus généralement, et une de ces croyances qu'on a analysées, c'était justement l'idée que ce serait nécessaire pour être en bonne santé. On a vu qu'elle était fausse, et en fait, vous dites que c'est à la fois une croyance carniste, et une pensée consonante.

Martin Gibert : Oui, et une stratégie de désengagement moral, parce que si effectivement il était nécessaire de consommer des animaux pour survivre, la question morale ne se poserait plus, est-ce qu'il faut le faire ou non ? Non, la question morale se pose quand on a le choix. Donc la stratégie consonante ici, pour répondre à la dissonance cognitive, c'est de se dire, ok, je n'ai pas le choix, et donc puisque je n'ai pas le choix, dommage pour les animaux, mais je ne peux pas faire autrement, et ça, ça correspond, quand on se dit que je n'ai pas le choix, ça correspond en psychologie morale à ce qu'on appelle le désengagement moral. Il y a plein de situations où on n'a pas envie de s'engager moralement, donc on se désengage, et une façon de se désengager, c'est de dire, bon, ça ne dépend pas de moi, c'est des questions politiques, ou c'est l'industrie agroalimentaire, mais en tout cas, si effectivement ça ne dépend pas de soi, il n'y a pas de question morale, et ça permet d'être moins tracassé par la dissonance cognitive.

Victor Duran-Le Peuch : Donc en fait, pour bien comprendre le lien entre la dissonance cognitive et le carnisme, vous écrivez dans le livre « Le carnisme, c'est l'appareil idéologique qui a pour fonction d'étouffer la dissonance cognitive ».

Martin Gibert : Oui, on peut le dire comme ça. Une autre métaphore que j'aime bien, c'est l'idée de perception morale, c'est-à-dire que là, ça c'est quelque chose que j'avais travaillé beaucoup dans mon premier livre sur l'imagination en morale, c'est qu'on peut réfléchir à l'éthique, ou à la morale, on a dit que c'est à peu près la même chose, soit qu'en regardant les arguments, ça c'est ce qu'on fait en regardant les arguments des différentes théories morales, mais avant même de regarder les arguments des différentes théories morales, il faut qu'on perçoive qu'il y a un problème. Et donc, il y a une étape cruciale dans notre vie morale qui est la perception morale. Voir son steak comme un animal mort, c'est aussi un enjeu de perception morale. Et on peut dire que ce que fait le carnisme, comme idéologie, donc idéologie, développé par Melanie Joy, le concept développé par Melanie Joy, c'est de faire écran de manière à ce que notre perception morale soit confuse et qu'on ne perçoive pas notamment la souffrance animale. Là encore, on a une façon d'éviter le paradoxe de la viande, mais vraiment, parce qu'on pourrait dire que l'idéologie, sa fonction, c'est de nous faire oublier la réalité de l'exploitation, la réalité de la souffrance. Le lien, on peut aussi le faire à partir de ce concept de perception morale.

Victor Duran-Le Peuch : Alors, vous avez déjà cité quelques pensées consonantes pour réduire la dissonance. J'aimerais bien qu'on s'arrête sur deux d'entre elles un tout petit peu plus en détail. Alors, la première que j'avais retenue, c'est l'idée qu'on a toujours exploité des animaux, en fait. C'est un peu l'argument de la tradition. On peut penser que c'est un argument a priori assez faible, parce que la tradition a souvent servi à justifier des discriminations. Ou des oppressions, comme celles des minorités de genre ou des minorités sexuelles, par exemple. Mais je pense qu'il y a une façon de présenter ça de façon un peu plus charitable, et du coup, de façon un peu plus intéressante pour la discussion. On peut se dire que c'est quand même difficile de croire qu'il y a un consensus sur le fait que quelque chose qu'on a toujours fait soit complètement indéfendable sur le plan moral. Inconsciemment, je pense qu'on se dit si tout le monde l'a fait et si tout le monde le fait autour de nous, tout le monde ne peut pas s'être trompé à ce point-là, en fait.

Martin Gibert : Je pense que si. Je pense qu'il y a des exemples où on a pu se tromper à ce point-là. L'esclavage, ça a paru pendant très longtemps un super normal à plein de monde au cours de l'histoire. Alors, probablement pas aux esclaves, quoique, là... Non, non, je pense qu'on peut se tromper. Donc, si je devais essayer de sauver l'argument de la tradition, entre guillemets, là... Ouais. Ou être charitable... Non, mais je peux reconnaître qu'il y a des choses qui ont une certaine valeur dans les traditions, y compris dans des traditions qui amènent de la souffrance animale. Bon, ça peut être des choses de l'ordre du savoir, je sais pas, le tour de main, la façon de préparer. Voilà, simplement, une recette, peut-être une recette de cuisine, a une certaine valeur en soi, alors, qui vient de la tradition, puis peut-être que refaire cette recette, ça participe un peu à faire épanouir cette valeur qui serait plus liée à la connaissance. Mais ça, cette valeur de la tradition, cette valeur du savoir, à mon avis, ne compense pas la souffrance qu'il y a dans le fait de, encore une fois, de consommer, de consommer la recette. Peut-être que si on a de la viande, si on arrive à produire de la viande sans souffrance, mettons, je pense, à la viande artificielle, ben, ouais, il y aurait de bonnes raisons de refaire des recettes avec la viande artificielle, des vieilles recettes humaines pour préserver ce genre de tradition, de savoir.

Victor Duran-Le Peuch : Ouais. En fait, j'ai peut-être mis ensemble et mélangé deux choses qui méritent à être séparées, donc il y a la question des traditions dont on vient de parler, mais je pensais aussi au fait que, et là, c'est peut-être la forme de pensée consonante, je sais pas si vous en parlez, en fait, dans votre ouvrage, je me souviens pas, mais qui me semble la plus forte, c'est l'idée que pour déterminer ce qui est moral, ce qui est juste, on se base sur ce que font les autres autour de nous. Et le plus souvent, c'est un bon modèle. Le plus souvent, on arrive collectivement à déterminer ce qui est bien, ce qu'il est bien de faire et ce qui est immoral et donc interdit socialement. Et là, ce serait une fois où, en fait, ça joue pas, parce que les personnes qui s'opposent à l'exploitation des autres animaux sont extrêmement minoritaires aujourd'hui. Donc, en fait, quand une personne lambda regarde autour d'elle, elle voit tout le monde bénéficier, manger de la viande, bénéficier de l'exploitation animale et participer à ce système-là. C'est pas un des problèmes principaux, en fait, c'est que quand les gens regardent autour d'eux, ils voient juste des pratiques spécistes.

Martin Gibert : Oui, mais comme c'était un problème, sans doute, dans l'Antiquité, quand les gens regardaient autour d'eux, ils voyaient des pratiques esclavagistes, quand, jusqu'à ce que les femmes aient le droit de vote, les gens regardaient autour d'eux, ils voyaient des femmes qui avaient aucun pouvoir politique et ils trouvaient ça normal. Donc, c'est sûr que la norme sociale est sans doute le facteur qui explique le plus tous nos comportements sociaux. Et en 2022, on peut panier que la norme sociale, c'est encore quand même qu'un vrai repas, il y a plutôt de la viande, même si ça l’est quand même de moins en moins un peu pour des raisons d'éthique animale, beaucoup pour des raisons d'éthique environnementale, un peu pour des raisons de santé. Donc, c'est ça, les êtres humains ne sont pas spontanément justes et moraux dans leurs comportements. On peut se tromper, et il se peut qu'il y ait des foules qui se trompent. Si on regarde l'histoire morale de l'humanité, on peut penser qu'on sait que les êtres humains se sont trompés à plusieurs reprises, que ce soit, je disais, avec les esclaves, les étrangers, les minorités, de façon générale. Et aujourd'hui, on peut penser qu'ils se trompent encore avec les, avec les animaux, quoi.

Victor Duran-Le Peuch : En fait, vous décrivez ça comme un biais dans le livre, vous appelez ça le... enfin, ça s'appelle apparemment le biais du statu quo.

Martin Gibert : Oui, effectivement, c'est un autre élément. Donc ça, c'est pas tant lié au fait que plein de... c'est pas tant lié au fait que tout le monde l'a toujours fait, c'est surtout lié au fait qu'on a une tendance à ne pas prendre de risques. Et du point de vue de l'évolution, là, ça peut s'expliquer, si on arrive à être dans une situation où on a survécu, mettons, je sais pas, il y a des champignons dans la forêt, mais on va peut-être pas goûter des champignons qu'on n'a jamais goûtés, parce qu'il y a un risque de mourir empoisonné. Donc, on a tous et toutes une tendance, pas irrationnelle, à privilégier le statu quo, à être un peu conservateur, parce que c'est dangereux de faire des choses nouvelles. Sauf que là, c'est une explication psychologique. Et puis là, il y a plein d'expériences en économie comportementale, notamment, qui montrent ça. Mais c'est pas parce qu'on a une tendance psychologique à préférer le statu quo que ça justifie quoi que ce soit du point de vue moral. Mais ça permet peut-être d'être moins sévère avec les gens qui font pas le pas, en se disant... C'est pas parce qu'ils sont idiots, c'est pas parce qu'ils ont rien compris aux arguments, c'est aussi parce qu'il y a des forces psychologiques puissantes, comme le biais du statu quo, qui font que c'est difficile de changer ses comportements pour des raisons morales.

Victor Duran-Le Peuch : Une forme de pensée consonante extrêmement courante, c'est l'idée que l'humain est omnivore, donc on peut manger et digérer des animaux, alors c'est naturel de manger des animaux, et donc c'est éthique et justifiable. Et en fait, il y a deux propositions en une ici. On l'avait vu avec Élise Desaulniers dans l'épisode 6 sur l'industrie du lait. Quand je lui ai demandé si c'était si naturel que ça de boire le lait d'un autre mammifère, elle m'a dit « Ah mais attention Victor », elle m’a dit que même si c'était naturel, ça ne justifierait pas forcément sa consommation pour autant. Donc cette idée que si c'est naturel, c'est moral, en fait elle est fausse.

Martin Gibert : En tout cas, c'est pas un argument bien sérieux, parce que quand on fait l'argument que les hommes, les êtres humains, consomment naturellement des produits animaux, conclusion, donc il est moralement acceptable de consommer des produits d'origine animale, là du point de vue logique, on part d'une prémisse qu'on appelle descriptive, qui ne fait que dire comment les choses sont, en l'occurrence, les êtres humains sont omnivores, donc les êtres humains sont capables de manger des animaux, là on décrit la réalité, mais on passe d'une prémisse descriptive à une conclusion normative. Et une conclusion normative, c'est une conclusion qui nous dit comment les choses devraient être. Quand je dis qu'il est acceptable de manger des animaux, là j'ai une conclusion normative. Et donc en théorie de l'argumentation, ça on n'a pas le droit de le faire. Si on a une conclusion normative qui nous dit comment les choses devraient être, qu'est-ce qu'on devrait manger ou pas manger, il faut qu'on ait des prémisses normatives. Et alors la prémisse normative qui est sous-entendue dans ce genre de raisonnement, c'est tout ce qui est naturel est moralement acceptable, ou, il faudrait toujours se comporter comme on se comporte dans la nature. C'est un peu le même genre d'argument qu'il y a dans « l'homosexualité, c'est mal, pourquoi ? parce qu'il n'y a pas d'homosexualité dans la nature ». Ce qui est contestable aussi en soi.

Victor Duran-Le Peuch : Là aussi il y a deux niveaux en fait. Il y a la description, le fait qui est faux en l'occurrence, qu'il n'y a pas d'homosexualité dans la nature, et la prémisse prescriptive qu'il faut faire ce qui est dans la nature.

Martin Gibert : C'est ça. Quand bien même il n'y aurait pas d'homosexualité dans la nature, ça ne nous dit rien du tout sur est-ce que c'est une bonne chose ou pas qu'il y ait de l'homosexualité chez les humains. Donc aussi bien cet argument contre l'homosexualité que l'argument en faveur de la viande, pour les rendre corrects, il faudrait ajouter une prémisse normative. Et là la prémisse normative ça serait quelque chose comme tout ce qui est naturel est correct. Et ça on voit bien que c'est faux, parce que c'est très très facile de trouver tout un tas de contre-exemples de choses qui sont naturelles et dont on ne veut pas faire des exemples de moralité. Donc les maladies, les virus, les tsunamis, la violence, tout ça ce sont des choses qu'on peut qualifier de naturelles. Ce n'est pas pour autant qu'on pense que ce sont de bonnes choses dont il faut espérer qu'elles adviennent.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord. Pour être sûr de bien comprendre plus en termes de vocabulaire, quand vous dites le fait de passer d'une phrase descriptive à une phrase normative n'est pas valide en logique, c'est ce que vous appelez le sophisme naturaliste. Oui. Et plus largement le fait de s'appuyer sur une prémisse qui essaye de faire le pont entre les deux justement dans des raisonnements qui sinon tiennent pas, et qui dit en gros que ce qui est naturel est bon, ça c'est plutôt un appel à la nature qui est aussi une idée fausse, c'est ça ?

Martin Gibert : Je dirais que l'appel à la nature est un exemple de sophisme naturaliste où la proposition descriptive dans l'appel à la nature c'est ceci est naturel, en l'occurrence il est naturel de manger de la viande. Donc je vois l'appel à la nature comme un sous-ensemble du sophisme naturaliste, mais c'est peut-être pas nécessairement un sophisme si on l'admet, si quelqu'un dit moi je pense que tout ce qui est naturel est bien et qu'il faut toujours faire comme ce que fait la nature, donc ça ce serait un appel à la nature mais qui n'est pas sournois, qui est dit. Mais cette personne-là c'est quand même facile de contre-argumenter en disant il y a plein de choses que la nature fait qu'on veut éviter, ce qui détermine que quelque chose survit dans la nature, c'est pas des questions morales, c'est des questions de sélection naturelle qui n'ont rien à voir avec le bien ou le mal, il y a plein de souffrances dans la nature, c'est deux ordres différents.

Victor Duran-Le Peuch : D'accord, oui. Alors du coup toutes ces stratégies pour réduire la dissonance, toutes ces croyances carnistes, nous font avoir j'ai l'impression une perception très biaisée de la réalité, et même une perception morale du coup biaisée, c'est drôle parce que beaucoup de personnes, quand on leur demande comment elles sont devenues véganes, racontent qu'elles ont eu un déclic, qu'il y a quelque chose qu'elles ont vu d'un coup, dont elles se sont rendues compte et vous-même vous dites dans l'ouvrage que depuis que vous êtes véganes, vos intuitions morales fondamentales et vos valeurs n'ont pas changé mais ce qui a changé, c'est que vous voyez plus clair les implications de ces intuitions que vous dites, vous parlez de votre boussole morale qui serait devenue plus précise.

Martin Gibert : Oui, c'est une des choses à laquelle un psychologue moral a envie de réfléchir, c'est comment soi-même on change ou pas dans ses intuitions morales et donc là clairement il y a eu quand même une évolution parce que j'ai été pendant la majorité de ma vie un omnivore pas spécialement consciencieux, et puis pendant ma thèse je me suis intéressé à ces enjeux-là, en partie à cause de Valéry Giroux, grâce à Valéry et plein d'intuitions ont changé. Donc je me suis mis à trouver moralement inacceptable de consommer des produits animaux, mais c'est pas parce que j'avais acquis effectivement des nouveaux principes ou des nouvelles valeurs le principe de justice là, qu'on devrait traiter les cas similaires de façon similaire ben je le connaissais. Donc je pense que ce qui a changé c'est plus ma perception morale, c'est pour ça que j'insistais sur la notion de perception morale. C'est-à-dire qu'il y a des choses que je percevais pas avant que je me suis mis à voir en particulier que les choix alimentaires avaient des implications morales évidentes sur la vie des animaux. Donc j'ai les mêmes valeurs ou à peu près là, ça a peut-être bougeé un peu mais j'ai grosso modo les mêmes valeurs mais ce qui vient tomber dans mes... les éléments de la réalité qui viennent tomber sous mes principes eux sont plus larges, puisque en gros maintenant je considère que tous les animaux sont des patients moraux. Donc j'ai un devoir moral envers tous les animaux sentients donc c'est beaucoup ça qui a c'est beaucoup ça qui a changé

Victor Duran-Le Peuch : Oui donc en fait le principe qu'on a, qui est en fait extrêmement largement partagé, l'idée qu'il faut pas infliger de souffrance inutilement sans nécessité, tout le monde peut être d'accord avec ça en fait. Et ce qui change si on a le déclic, si on a une sorte de prise de conscience éthique par rapport aux animaux autres qu'humains, c'est qu'on se rend compte que ça peut les concerner elles et eux aussi, qu'ils peuvent être inclus dans ces souffrances et ces patients moraux qui peuvent souffrir du fait des conséquences de nos actions, c'est ça ?

Martin Gibert : Oui, c'est ce qu'on parle parfois d'un élargissement du cercle de la moralité donc le cercle de la moralité c'est l'ensemble des entités des patients moraux envers qui qu'on doit prendre en compte quand on prend des décisions qui ont des conséquences sur eux, donc comme acheter un végé-burger plutôt qu'un cheeseburger

Victor Duran-Le Peuch : Je vous ai demandé Martin Gilbert de nous lire un petit extrait de votre livre si vous êtes d'accord

Martin Gibert : Fort heureusement, on peut voir la viande autrement. On peut ne plus être dupe du carnisme ambiant. On peut lire, s'informer, regarder des documentaires. Alors lorsque le vernis se craquelle, lorsque l'imagination et la réflexion s'engagent, c'est notre perception morale qui s'approfondit. Lorsque l'écran carniste se brise on se met à voir son steak comme un animal mort.

Victor Duran-Le Peuch : Alors vous le savez Martin Gilbert, je demande à chacun et chacune de mes invités trois recommandations, et comme vous êtes co-rédactrice en chef de L’Amorce j'étais sûr que vous alliez vouloir la recommander, donc je le fais pour vous, et comme ça vous pouvez avoir vos trois recommandations libres qui ne soient pas L’Amorce. Donc allez lire L’Amorce, on ne le recommandera jamais assez dans ce podcast, lisez L’Amorce, la revue contre le spécisme. Et maintenant je vous laisse lire vos trois recommandations qui ne sont pas L’Amorce.

Martin Gibert : Merci Victor de m'avoir libéré une recommandation parce qu'effectivement j'en avais plein. Alors la première recommandation c'est une vidéo d'un youtubeur philo qui s'appelle Monsieur Phi et il a réalisé une vidéo pour expliquer l'argument de Michael Huemer qui est un philosophe américain, qui est un argument qui s'inscrit vraiment dans le sillage de l'argument utilitariste et de Peter Singer, mais qui dit, ok même si on n'est pas sûr, supposons qu'on n'est pas sûr que Peter Singer a raison, supposons qu'on n'est pas sûr que l'utilitarisme ait raison dans son analyse de l'oppression des animaux, par un argument probabiliste que je vous laisse découvrir, alors il faut aimer les probas, c'est une vidéo pour les nerds, mais par un argument probabiliste, extrêmement convaincant, on voit que même si on n'est pas sûr, on devrait quand même militer très sérieusement pour éviter la catastrophe morale. C'est ce qu'il appelle l'argument de la catastrophe morale, et de façon générale, il y a plein de vidéos Youtube qui sont très pertinentes

Victor Duran-Le Peuch : D'ailleurs j'ai parlé de cette idée là de catastrophe morale et du coup maintenant je me rappelle que c'est dans la vidéo de Monsieur Phi que j'ai entendu cette idée la première fois. J'avais oublié et on en a parlé dans le podcast parce que ça m'est revenu mais c'est Monsieur Phi qui m'a fait découvrir ça. Monsieur Phi si vous écoutez le podcast et que vous passez par là, n'hésitez pas à me contacter pour faire une vidéo commune sur l'éthique animale ou le spécisme, voilà ça c'est dit.

Martin Gibert : Ma deuxième recommandation c'est un podcast qui s'appelle Mansplaining qui est un podcast proféministe qui s'intéresse aux représentations cinématographiques. Donc en gros c'est des analyses de films mais avec un angle pro-féministe. Alors c'est intéressant parce que ça fait découvrir des films et puis des concepts des concepts féministes, des analyses du sexisme. Et je pense que c'est aussi intéressant pour les gens qui s'intéressent à l'antispécisme, au véganisme, parce que là encore on a ce que fait l'auteur du podcast, c'est d'essayer de décrypter une idéologie. Comment elle s'insinue dans les représentations cinématographiques ? Et puis des fois c'est vraiment si on analyse des films un peu anciens et puis même pas si anciens que ça, il y a plein de choses qui sautent aux yeux, avec le recul. On pourrait imaginer un travail similaire avec le spécisme, regarder dans les films les indices du spécisme et réfléchir à partir de ça. Donc « Mansplaining ». Il a d'ailleurs écrit un livre, il s’appelle Thomas Messias, l'auteur du podcast, il a écrit un livre qui s'appelle « Sortir de la meute » sur ces enjeux de masculinité. Je ne l'ai pas évoqué mais on peut faire des liens entre le virilisme, le côté homme qui chasse, qui est fier de sa force qui fait des barbecues et puis le spécisme c'est pas du tout sans lien.

Victor Duran-Le Peuch : C'est des choses dont on parlera dans le podcast, c'est prévu.

Martin Gibert : Excellent. Ma dernière recommandation c'est un documentaire sur lequel je suis tombé grâce à l'algorithme de Netflix, qui s'appelle Crip Camp. C'est un documentaire de 2020 qui a gagné un grand prix du public au festival de Sundance sur la naissance du mouvement pour les droits des personnes handicapées ou en situation de handicap. Et donc ça se passe dans les années 70, on a des superbes images d'archives où ces personnes se retrouvaient et c'était peut-être la première fois dans l'histoire récente qu'il y avait ces personnes ensemble et du coup ils se sont rendu compte qu'ils avaient des problématiques politiques communes. Et comme c'est la naissance d'une conscience politique. Non seulement le film est très riche, mais les idées qui sont derrière, c'est toute la question du capacitisme donc la discrimination à l'endroit des personnes handicapées ou en situation de handicap. Et là encore il y a certainement des liens à faire entre le capacitisme et puis le spécisme, même s'il n'y avait pas de lien le documentaire est vraiment intéressant. Et on peut en tout cas personnellement, en le voyant, je pense que ça dure 1h45, on éprouve vraiment un changement de perception morale. C'est-à-dire que les personnes qu'on voit à l'écran entre le début du film et puis la fin, on les perçoit vraiment différemment parce que le film nous fait prendre conscience de quelque chose. Le film enrichit notre perception morale, on perçoit des choses qu'on ne percevait avant. Donc « Crip Camp » et je pense qu'il est aussi disponible sur Youtube.

Victor Duran-Le Peuch : Oui il l'est je crois. Et merci beaucoup Martin Gibert pour toutes ces recommandations. Je mettrai tout dans la description comme d'habitude, et un grand merci d'être venu dans le podcast

Martin Gibert : Oui merci Victor pour l'invitation, et lisez l’Amorce !

Victor Duran-Le Peuch : oui lisez l’Amorce !

Le spécisme est comme cette eau dans laquelle on nage sans même le savoir. Ce n’est pas tant qu’on ne voit pas l’eau, mais plutot qu’on ne la voit pas en tant qu’eau, qu’on ne peut pas dire « c’est de l’eau » face à ce qu’on voit. Et surtout, qu’on n’y fait pas vraiment attention tant qu’on n’a pas de catégorie pour le décrire. De même, le spécisme est cette idéologie qui est à la fois omniprésente et invisible dans notre société. Nous sommes tous comme des poissons dans l’eau avant d’apprendre à voir ce qu’est le spécisme. Alors, vous aussi vous commencez à y voir clair dans l’eau du spécisme ?

Crédits

Comme un poisson dans l'eau est un podcast créé et animé par Victor Duran-Le Peuch. Charte graphique : Ivan Ocaña Générique : Synthwave Vibe par Meydän Musique : I Can't Stop par Punch Deck

3 livres cités :

Faire la morale aux robots Martin Gibert

Faire la morale aux robots - Martin Gibert

S’intéresser à l’éthique des algorithmes, c’est plonger au cœur de nos différentes intuitions et théories morales, questionner nos biais et préjugés, mais aussi explorer un nouveau domaine de la philosophie, expliqué avec ...

ISBN : 9782080251114 · publié le 6 avril 2021

Description complète et liste des 2 épisode(s) qui le citent

Une voiture pilotée par une intelligence artificielle est face à un choix tragique : pour éviter un enfant qui traverse la route, elle doit écraser un vieillard sur le bas-côté. Que faire, qui sauver dans l’urgence ? Voilà un dilemme qui rappelle la fameuse expérience de pensée du tramway, et qui illustre les enjeux moraux de l’intelligence artificielle. Comment programmer nos robots – de transport, militaires, sexuels ou conversationnels – pour qu’ils prennent les bonnes décisions lorsqu’ils sont confrontés à des choix ? Quelle morale pour les robots ? Y en a-t-il, comme nous, de bons et de mauvais ? S’intéresser à l’éthique des algorithmes, c’est plonger au cœur de nos différentes intuitions et théories morales, questionner nos biais et préjugés, mais aussi explorer un nouveau domaine de la philosophie, expliqué avec clarté et humour par Martin Gibert, chercheur en éthique de l’intelligence artificielle.

Cité dans 2 épisode(s) :

L'imagination en morale Martin Gibert

L'imagination en morale - Martin Gibert

Comment en tenir compte dans nos deliberations ? Martin Gibert propose de repenser le role de l'imagination en morale a la lumiere des recherches les plus recentes en ethique et en psychologie.

ISBN : 9782705689407 · publié le 1 janvier 1970

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Description complète et liste des 2 épisode(s) qui le citent

La morale n'est pas seulement affaire de raison. Elle engage aussi l'imagination. Tout ce qui compte moralement dans une situation ne se donne pas d'emblee, au premier coup d'oeil. Pour percevoir ce qui importe, il faut changer de perspective, recadrer la situation ou la comparer avec des alternatives contrefactuelles. L'imagination nous permet ainsi de voir les choses autrement et d'elargir notre perception morale. Elle enrichit notre connaissance, comme le montre encore le recours aux experiences de pensee. Quels sont les mecanismes psychologiques a l'oeuvre ? Comment en tenir compte dans nos deliberations ? Martin Gibert propose de repenser le role de l'imagination en morale a la lumiere des recherches les plus recentes en ethique et en psychologie.

Cité dans 2 épisode(s) :

Voir son steak comme un animal mort · Véganisme et psychologie morale Martin Gibert

Voir son steak comme un animal mort - Martin Gibert

Dans cet essai accessible et engagé, Martin Gibert propose une synthèse des débats contemporains sur le paradoxe de la viande.

ISBN : 9782895966609 · publié le 7 mai 2015

Description complète et liste des 3 épisode(s) qui le citent

La plupart des gens désirent le bien des animaux. Mais voilà: ils aiment aussi leur steak. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de la viande. Nous ne voulons pas voir que ce que nous mangeons, c’est de l’animal mort. De plus en plus de chercheurs expliquent ce phénomène de «dissonance cognitive» par des pratiques sociales et des croyances qui visent précisément à occulter la souffrance animale. Tout converge pour nous convaincre, depuis l’enfance, qu’il est normal, naturel et nécessaire de consommer des produits d’origine animale. Pourtant, dans les faits, rien n’est moins vrai – tant du point de vue de la santé que de l’éthique animale et environnementale. Dans cet essai accessible et engagé, Martin Gibert propose une synthèse des débats contemporains sur le paradoxe de la viande. Ce faisant, il présente le véganisme, un mouvement moral et politique en pleine émergence qui lutte pour la justice animale, sociale et environnementale.

Cité dans 3 épisode(s) :

6 autres références :